La fiction radiophonique est un genre en soi, méconnu : peut-elle devenir une activité pédagogique à part entière ? Mathieu Kerbrat, professeur de français au collège Thiers de Marseille, en a mené l’expérience : ses quatrièmes ont été invités à analyser une création en ligne de Mamadou Mahmoud N’Dongo, puis à réécrire un fait divers sur son modèle, enfin à produire un enregistrement audio polyphonique de qualité. Dans ce contexte pédagogique, les collégiens ont pu utiliser leurs propres smartphones. Mathieu Kerbrat éclaire ici les dispositifs collaboratifs mis en place pour cheminer vers ces œuvres originales : un travail « ludique, donc efficace », pour développer capacité d’écoute et d’attention, maîtrise de l’écriture narrative et théâtrale, compétences orales et numériques.
Le travail mené s’appuie sur l’écoute d’une création radiophonique, Colporteur d’âme, de Mamadou Mahmoud N’Dongo : pourquoi le choix d’intégrer une création radiophonique au travail scolaire ? pourquoi le choix de cette création en particulier ?
Ce travail a été conçu pour que les élèves réinvestissent dans un travail d’écriture long des notions énonciatives travaillées lors de la séquence précédente sur le réalisme. Colporteur d’âme raconte la rencontre d’un jeune chauffeur de taxi et d’une femme qui revient à Paris à l’occasion de la mort d’un proche. Tout collait : la profondeur temporelle du vécu des personnages, le jeu des regards de la première rencontre, le cadre connu de tous. C’était un bon point de départ.
Vous avez invité les élèves à réécrire cette œuvre de Mamadou Mahmoud N’Dongo : quelles étaient les consignes ? quelles ont été les étapes et les modalités de travail pour amenés les élèves à (re)construire les personnages et l’histoire ?
La première écoute de la pièce permet d’identifier personnages et fonctionnement de la narration. Parallèlement, j’avais demandé aux élèves d’apporter des articles de faits divers lus dans la presse. Le travail dans un second temps consistait à créer des personnages de fiction à partir de ces articles, pour petit à petit les substituer au chauffeur de taxi et à sa passagère. On pose comme contrainte que la rencontre dans le taxi a lieu dix à vingt ans après la première rencontre. Dans un troisième temps, la classe devait enregistrer une lecture de leur texte et réaliser un petit montage audio en intégrant bruitage, musique d’ambiance après une seconde écoute de la pièce de Mamadou Mahmoud N’dongo.
Il est inhabituel d’étudier en classe une création audio : quelles modalités de travail avez-vous mises en place pour mener cette tâche à bien avec les élèves ?
Le travail d’écriture a été mené en groupe de deux puis quatre, avec des retours de ma part. Lors de l’enregistrement et du montage audio en salle informatique, les élèves étaient en groupes de deux puis quatre, avec des tâches différentes à effectuer.
On peut imaginer combien a pu être délicat le travail d’écriture à proprement parler : comment s’est déroulée cette séance ? en quoi la dimension collaborative de ce travail d’écriture vous a-t-elle paru intéressante ?
Cette séance en deux temps démarre sur le relevé des informations présentes dans les articles de faits divers. Le but est de construire une représentation juste des personnes concernées par l’article. On fait remarquer aux élèves que l’on ne sait pas tout sur eux, sur leurs motivations, leurs buts, leurs sentiments : on imagine, travaille sur cet implicite, et c’est le point de départ de la fiction réaliste. Comment peut-on les faire évoluer dans le temps ? Après un retour de ma part qui consiste à sélectionner les propositions d’élèves les plus pertinentes, le second temps d’écriture vise à écrire une scène dialoguée, dix ans après, dans un taxi, entre les deux personnages construits. La contrainte est de reprendre le dispositif narratif de la pièce radiophonique.
Les élèves ont alors enregistré leur propre création radiophonique : comment avez-vous mené cette phase de mise en voix ?
A cause de la nécessité posée par le travail en groupe consistant à diviser le travail et à attribuer des tâches complémentaires à tous, j’ai fait l’erreur de leur faire enregistrer les répliques des personnages en salle info, puis chez eux, après avoir distribué les rôles, comme une séance de mise en scène théâtrale habituelle. Erreur double, car les formats d’enregistrement de leurs téléphones n’étaient pas toujours compatibles, et la texture des voix, l’ambiance sonore, étaient parfois trop différentes. Les élèves ont alors proposé de réaliser une prise audio en groupe, à l’aide de leurs téléphones, en se répartissant l’espace disponible.
De manière générale, quel bilan tirez-vous de cette expérience originale ? Quelles compétences les élèves ont-ils selon vous développées ? Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés de s’inspirer de votre travail ?
Les élèves ont réussi à créer une pièce radiophonique, donc le bilan est bon. Ce qui est intéressant dans ce travail collectif, c’est que les différences de motivation entre les élèves les plus faibles et les élèves les plus à l’aise ont tendance à s’estomper, puisque les compétences techniques, le rôle de l’oral, l’apport de représentations issues de la vie quotidienne jouent un rôle crucial. Ce projet permet de travailler des compétences de lecture et d’écriture sur un mode ludique et donc efficace. Les difficultés se trouvent plutôt du côté de l’enseignant, puisque le travail de « feed-back » est énorme et chronophage : il faut accepter de travailler deux à trois fois plus sur un temps limité, mais c’est aussi ce qui est excitant, on ne sait pas ce qui peut se produire à partir d’un cadre très longuement construit. L’imagination des dispositifs de travail en groupe nécessite également beaucoup d’anticipation et de travail. Le retour d’expérience est par contre très enrichissant.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut