Les épreuves de français au baccalauréat professionnel, technologique et général ont eu lieu le 17 et le 19 juin. Au menu : le spectacle judiciaire de la parole publique, l’animalité dans le roman, la représentation théâtrale de la mort, l’invitation poétique au voyage … Au final, comme chaque année, un ridicule buzz (autour du « Tigre bleu » dans un texte de Laurent Gaudé, référence plus ou moins facile à décrypter). Au bout du compte, par-delà les questions immédiates (les sujets étaient-ils conformes aux programmes et aux cours reçus ?), subsistent bien des interrogations et des attentes : et si le français au lycée dévitalisait la littérature pour en faire une fabrique à supports d’examen ? et si le baccalauréat 2015 en était, comme d’habitude, le révélateur ? et si on réformait enfin le français : au lycée aussi ?
Les sujets
Au bac professionnel, avec Antoine Garapon, Albert Camus et une photo de la Cour d’appel de Paris, les lycéens devaient interroger la parole publique telle qu’elle peut se donner en spectacle, en particulier dans un tribunal. Dans les séries technologiques, Victor Hugo, Joseph Kessel et Joy Sorman étaient supports d’un travail sur l’animal comme possible personnage romanesque. En séries ES/S, le théâtre était à l’honneur avec des textes de Racine, Ionesco et Laurent Gaudé centrés sur la question de la représentation de la mort. Les littéraires ont planché sur l’objet d’étude « Ecriture poétique et quête du sens » : des textes de Florian, Lamartine, Jean de La Ville de Mirmont et Jean-Michel Maulpoix invitaient à réfléchir sur les relations entre la poésie et le voyage.
Guère de surprise hélas ?
Guère de surprise donc, tant dans les sujets, avec leurs parts habituelles de possibilités offertes et de difficultés réelles, que dans les corpus, avec les « écrivains officiels du régime » de l’Education nationale (Victor Hugo toujours, Laurent Gaudé encore) et, comme souvent, quelques auteurs moins connus que le baccalauréat vient « panthéoniser ».
En 2015, on préfère toujours demander aux littéraires de commenter de mauvais vers posthumes de Lamartine plutôt qu’un poème en prose du vivant Jean-Michel Maulpoix. Une certaine tendance d’ailleurs se fait jour : la place prise par des textes qu’on considère sans doute adaptés au contexte (Florian, La Ville de Mirmont, Lamartine, Hugo, Herédia deux fois aux Antilles avec le come back des imputrescibles « Conquérants » …), entrelacs plus ou moins savant de « procédés » (essentiellement rhétoriques, de préférence versifiés, souvent fort lourds), de « références » (mythologiques, historiques, littéraires…) et de « thèmes » (de « grands thèmes » bien sûr, comme la mort, le voyage, la mer, l’héroïsme…). Peu importe en l’occurrence que les écrivains en question soient des classiques ou des contemporains : pour des exercices académiques il faut des textes académiques, l’épreuve dicte sa loi pour faire de la littérature un art pompier.
L’écriture d’invention sans invention…
En 2015, l’écriture d’invention peut encore être aussi aberrante que celle proposée en L : « Deux lycéens confrontent leurs points de vue sur le rôle du voyage pour nourrir l’inspiration poétique …» De l’artifice plutôt que de l’art ? La question évidemment ne se pose guère pour ceux qui sont censés la traiter… Le sujet n’invite d’ailleurs à aucune posture énonciative ni exploration stylistique : à aucune invention de soi par les mots. Cette dissertation déguisée est fort éloignée des sujets proposés aux Antilles sur le même objet d’étude : des compositions poétiques qui, bien que très formatées ici, prennent le risque de la créativité. Autant dire que l’invention au lycée n’est toujours pas considérée à sa juste valeur : comme la possibilité offerte de faire l’expérience de la littérature pour faire l’expérience du monde. Si la poésie, comme le suggèrent les textes du corpus proposé en L, est une belle « invitation au voyage » elle ne semble toujours pas envisagée comme telle pour les lycéens : comment pourrait-elle l’être par eux ?
Ainsi, alors même que le français au collège travaille à sa refondation, le français au lycée s’endort sur son baccalauréat. « Je vous souhaite à tous de lire le livre vide le livre ivre le livre de votre dernière pile le livre à la pierre blanche le livre aux marques noires le livre sans relief le livre aux pages précipitées le livre avec un point de départ » : ce vœu de l’auteure Ana Nb partagé en ligne par une lycéenne au lendemain du bac donne à espérer qu’un jour au lycée la littérature s’éveillera. Qu’elle renaîtra aussi d’un bac métamorphosé.
Jean-Michel Le Baut
Sujets des séries générales et technologiques
Sujet du bac professionnel
« Le livre avec un point de départ »
L’invitation au voyage dans le Café