« Pour obtenir de bonnes conditions de travail dans les classes, les professeurs ont quelquefois tendance à demander une sous-traitance des élèves difficiles par les professionnels de la Vie Scolaire ». Massamba MBaye est chercheur en sciences de l’éducation. Depuis trois ans il consacre ses travaux à un collège de Paris, accueillant environ 545 élèves. L’établissement est classé en zone d’éducation prioritaire et offre de nombreux dispositifs de soutien scolaire. Les résultats au brevet sont d’environ 60% pour une moyenne académique de 83 %. Le taux d’orientation en seconde générale est de 50 %. Selon les critères du ministère, la part d’élèves défavorisés est de 49 % pour une moyenne académique de 19 %. La part d’élèves très favorisés est de 6 % pour un taux académique de 46 %.
Vos recherches en sciences de l’éducation portent sur un collège difficile…
J’observe en effet la vie dans un collège difficile selon la vulgate du milieu scolaire. Il faudrait s’entendre sur cette notion. Le quartier regroupe 188 415 habitants dans le Nord Est de Paris. Des tours immenses s’aboutent les unes aux autres et l’animation constante des rues caractérisent un quartier populaire qui sous divers aspects est aussi un quartier difficile. C’est l’un de ces territoires dédiés aux familles immigrées confrontées au chômage, à la précarité, ou dans le meilleur de cas, à des conditions de vie extrêmement modestes. Là, les jeunes, donnent l’impression d’être livrés à eux-mêmes tandis que leur incivilité semble inéluctablement faire partie de leur identité sociétale. L’approche que je fais depuis trois ans est ancrée dans cet environnement spécifique. Elle n’a pas pour objectif de décrire les missions de l’école en général mais d’examiner comment l’établissement concrétise in vivo les orientations mentionnées dans les points 6 et 7 du Socle (1)…
Collège difficile dans un quartier difficile… Les élèves sont-ils difficile aussi ?
Les élèves sont massivement issus de cet environnement à problèmes. Leurs prédécesseurs dans l’établissement sont leurs frères et sœurs, leurs cousins et cousines dans un continuum qui n’a pas installé un sentiment d’appartenance a collège car leur scolarité en général n’a pas été une réussite. Dans cet établissement, la notion d’élèves en difficulté est omniprésente. D’ailleurs, on peut observer de nombreuses initiatives internes d’une part visant à cadrer le comportement des élèves les plus rétifs aux codes scolaires ; d’autre part, cherchant à favoriser les apprentissages de tous. Dans le fond, l’établissement accueille un public plutôt homogène si l’on en juge par son appartenance à des couches sociales défavorisées ou très défavorisées selon la nomenclature propre à l’Éducation Nationale. Mais, je précise que l’incivilité se cristallise sur un pourcentage très restreint d’élèves. L’immense majorité des collégiens ne sont pas affectés par une dérive du comportement, même s’ils sont très nombreux à avoir besoin d’un accompagnement spécifique pour accomplir les apprentissages prévus par les textes officiels.
Votre recherche porte essentiellement sur l’acquisition des compétences sociales et civiques par les élèves, telles que les décrit le socle commun (2). Pourquoi ce choix ?
Les compétences sociales et civiques définies par le socle commun permettent de faire le portrait robot d’un élève exemplaire tel qu’il apparaît d’ailleurs (à quelques nuances prés) dans le règlement intérieur du collège. À cet élève théorique, l’établissement veut donner une formation sociale et civique idéale. Grosso modo il le fait par trois sortes de voies et moyens.
Premièrement, il y a les interventions didactiques des professeurs qui durant les cours du programme transmettent des données sur les compétences sociales et civiques. En plus, ils exigent un comportement en classe qui constitue de facto une mise en pratique des compétences liées à la sociabilité et aux civilités. Deuxièmement, l’établissement propose des activités (ateliers, animations…) qui sans être un apport didactique formel permettent une expérimentation (un vécu) de la vie collective et de la citoyenneté (par exemple la confection du Journal du collège).
Enfin, il faut noter le rôle essentiel, des personnels de vie scolaire et notamment les assistants (AVS).
Les Conseillers d’Éducation et les surveillants ne sont-ils pas uniquement des agents de coercition ?
Leur rôle éducatif n’est pas contestable. Leur intervention n’est pas nécessairement structurée et leur pédagogie n’est pas toujours très élaborée. Mais, leur seule présence, parfois leur simple passage sans un mot dans un couloir ou dans la cour, fonctionne comme un véritable rappel tacite à la règle et induisent un apaisement des collégiens, sans aucun rappel à l’ordre explicite. Ils incarnent les repères, les limites et ne sont pas identifiés a priori comme des vecteurs de répression.
Le Socle comprend sept compétences vous étudiez les compétences des points 6 et 7 par ce que le collège est « difficile » ?
En effet, le point 6 concerne les compétences qu’aura à maîtriser un élève quittant le collège après la classe de troisième. Comme individu, comme citoyen, il devra connaître le règles fondamentales de la vie en société notamment parce qu’il les aura vécues dans le cadre scolaire. En l’occurrence, il s’agit pour l’établissement de lui faire capitaliser des acquis au moins en trois domaines : les droits et les devoirs du citoyen ; les notions de responsabilité et de liberté et le lien qui existe entre elles ; enfin, les principes d’un État de droit.
Dans le point 7 du socle il est question d’autonomie et l’initiative…
Il s’agit d’une visée paradoxale. Le plus souvent une institution scolaire exige des élèves une obéissance voire une soumission qui ne développent ni l’indépendance d’esprit, ni la capacité d’initiative, mais au contraire induisent un conformisme. Pourtant, en théorie, l’autonomie et l’initiative s’acquièrent tout au long de la scolarité, dans chaque matière et chaque activité scolaire. Tous les collèges consacrent une partie de leur projet d’établissement à l’apprentissage de l’autonomie dans le travail personnel de l’élève et se fixe comme objectif d’encourager l’engagement des adolescents dans des projets, des activités, des clubs, des équipes… On considère qu’en développant ce type de compétences, d’une part l’élève réussira mieux ses études en cours ; d’autre part, on lui donne plus de chances pour son orientation future et ses perspectives socioprofessionnelles.
Sur la question de l’autonomie (point 7) quelles tendances repérez-vous ?
Les différents acteurs de l’établissement sont tous favorables à l’autonomie des élèves ? Ils sont conscients de la nécessité de les responsabiliser, particulièrement en leur demandant de s’investir dans la vie du collective. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. En réalité nombre d’actions présentées comme inductrices d’autonomie ne sont que des occupations stéréotypées comme les débats d’idées en ateliers, l’incitation à aller aux journées portes ouvertes pour obtenir des stages, les séances d’aide à l’organisation du travail scolaire, et plus largement la promotion d’une entente cordiale entre pairs.
Les professeurs et les personnels de Vie Scolaire font-ils équipe pour faire acquérir les compétences sociales et civiques aux élèves ?
Les observations sur le terrain m’ont amenées à me consacrer plus particulièrement à la question des missions et les fonctions distinctes des professeurs et des personnels de vie scolaire dans le domaine précis des compétences sociales et civiques des élèves. Il apparaît qu’un certains volontarisme soit de mise et qu’il faille prétendre officiellement que les deux corps de métiers seraient harmonieusement orientés dans la même direction. La réalité institutionnelle est plus complexe. Pour obtenir de bonnes conditions de travail dans les classe, les professeurs ont quelquefois tendance à demander une sous-traitance des élèves difficiles par les opérateurs de la Vie Scolaire et ce sans leur accorder une mission éducative spécifique pour se contenter d’une prestation spécifique tangible.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Notes :
1 http://www.education.gouv.fr/cid2770/le-socle-commun-de-connaissances-et-de-competences.html
2 Le socle commun de connaissances et de compétences et de culture présente ce que tout élève doit savoir et maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. Introduit dans la loi en 2005, confirmé par la loi d’orientation pour la refondation de l’École du 8 juillet 2013, il rassemble l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen. Depuis 2011, la maîtrise du socle est nécessaire pour obtenir le diplôme national du brevet (D.N.B.). http://www.education.gouv.fr/cid2770/ le-socle-commun-de-connaissances-et-de-competences.html.