Professeure de lettres au collège Anne Frank de Miribel, Marie-Giberte Cadart invite ses élèves à mener de passionnantes activités créatives: dans un cadre pédagogique précis, les collégiens font la double expérience de l’intelligence collective et de l’ouverture vers l’inconnu. Par exemple, une séquence sur la ville est travaillée suivant différents axes interdisciplinaires : littéraires (étude de textes, atelier d’écriture hors les murs), historiques (évolution de l’urbanisme de la ville de Lyon à travers les époques) et artistiques (découverte de l’architecture contemporaine lors d’une journée au quartier de la Confluence et réalisation de reportages multimédia) Les textes produits pendant l’atelier d’écriture sont mis en voix et illustrés par des sons. La présentation finale des travaux d’élèves prend la forme d’une exposition sonore à laquelle renvoient des flashcodes disposés aux portes du collège. Le site de l’enseignante, « Rue du figuier », témoigne ainsi de tout un art du braconnage et du bricolage, particulièrement formateurs à l’ère numérique.
Votre projet porte sur la ville, que vous avez abordée suivant des axes interdisciplinaires : pouvez-vous présenter précisément les différentes activités que vous avez menées dans ce cadre ?
Au cours d’une séquence en 3ème, « La ville et ses représentations », le travail avec les élèves a suivi plusieurs chemins : littéraire et iconographique avec la lecture détaillée de textes d’Aragon, Senghor et Calvino et le décryptage d’un tableau de Chagall. Ces textes et supports visuels ont été choisis et préparés en équipe avec les autres enseignantes de 3ème (B. Bouvier, G. Kergall, A. Poirier et S. Schilling) ; nous avons en effet élaboré une banque commune de textes, de tableaux et d’extraits de film possibles et chacune a fait son choix suivant ses goûts dans les préparations qui ont été mutualisées. Pour prolonger ces lectures nous avons organisé toutes les cinq une journée à Lyon pour chacune des classes de 3ème du collège. Cette sortie a été l’occasion d’une découverte de l’architecture du nouveau quartier de la Confluence avec le professeur d’histoire de la classe (en lien avec son programme). Nous avons aussi participé à un atelier des Archives Municipales autour de la ville et de ses différents plans à travers les époques. Mes élèves ont ensuite écrit un reportage multimédia que nous avons mis en ligne sur le site de la classe.
Ils ont aussi exploré une dimension plus créative à travers un exercice inhabituel, un atelier d’écriture autour de Fenêtres sur le monde de Raymond Bozier, une proposition faite par François Bon sur le site de la BNF « Ecrire la ville ». Le travail de François Bon que j’admire depuis longtemps a été l’occasion d’une séance enthousiasmante pour les élèves.
Après avoir écouté des mixes de poèmes sur SoundCloud, ils ont fabriqué en équipes des fichiers sonores à partir de leur texte.
La présentation finale des travaux d’élèves est particulièrement originale puisqu’elle prend la forme d’une exposition sonore à laquelle renvoient des flashcodes disposés aux portes du collège : pourquoi un tel choix ? comment avez-vous procédé ? comment ont réagi/interagi les spectateurs potentiels ?
J’ai fabriqué des flashcodes à partir de leurs fichiers son qu’ils avaient déposés sur Soundcloud et nous avons affiché ces flashcodes à l’extérieur du collège en abandonnant l’idée d’aller les disséminer au quartier de la Confluence. On aurait pu imaginer encore d’autres dispositifs comme une chasse au trésor avec un parcours de flashcodes en flashcodes. J’ai gardé l’idée la plus facilement réalisable mais chacun est quand même reparti avec une feuille imprimée de cinq flashcodes qu’il a pu afficher dans les quartiers où il vit. Pour l’instant, certains fichiers ont été très écoutés d’autres moins, les élèves ont été intéressés et motivés par le projet et j’attends le retour des vacances pour en savoir plus. Les flashcodes nous ont permis de proposer une exposition mobile et interactive de leur travail de création littéraire et musicale en adéquation avec ce projet qui nous a fait voyager dans des représentations de paysages urbains proches et lointains.
Sur votre site d’enseignante « Rue du figuier », vous présentez d’autres travaux de vos collégiens, notamment autour d’Ulysse ou d’Ovide : pouvez-vous nous expliquer en quoi ils consistent ?
Dans le prolongement de la lecture de plusieurs métamorphoses, les élèves ont écrit leur métamorphose en un animal de leur choix, chaque texte a été inséré entre un portrait stylisé de l’élève et une illustration du point d’arrivée de la métamorphose. Le texte était ainsi mis en scène comme le lieu où s’effectuait la transformation.
Ils ont effectué un travail différent pour la lecture de l’Odyssée. Chacun des épisodes racontés par Ulysse lors du banquet a été pris en charge par une équipe sur trois semaines sauf celui du Cyclope qui a fait l’objet d’une lecture détaillée. Le travail des équipes a été séquencé autour de trois points d’étape hebdomadaires : avant le premier, lecture de l’épisode et des documents mis en ligne sur le site de la classe ; avant le second, réponse à un questionnaire collaboratif sur Framapad et choix d’une illustration ; avant le troisième, proposition de résumé sur le document Framapad, enfin enregistrement et publication sur le site sous la forme d’une carte interactive (Thinglink).
Du coup, cela a permis de rendre compte du côté feuilleton de cette partie de l’épopée en stimulant leur intérêt.
Vous utilisez régulièrement l’outil en ligne Padlet : quels usages en avez-vous ? quels en sont les intérêts selon vous ?
J’ai découvert Padlet cette année et c’est un outil dont j’aime beaucoup me servir. Très facile à prendre en main, il est ensuite souple puisqu’on peut mettre du texte, de l’audio ou des vidéos sur chacun des post-it qu’on écrit et simplement publiable sur Internet. Pas besoin pour les élèves de s’inscrire, un simple clic sur un cahier de textes en ligne suffit. On peut donc imaginer des usages variés : préparer une lecture, chercher des arguments pour un paragraphe, publier des travaux d’élèves et sûrement encore beaucoup d’autres possibilités que j’ai hâte de découvrir. Sa facilité de personnalisation permet enfin de mettre en scène des contenus de manière très graphique.
La créativité semble être une de vos valeurs pédagogiques : à la lumière de vos expériences, pourquoi selon vous les enseignants auraient tout intérêt à la favoriser chez les élèves ?
Des projets pédagogiques créatifs permettent aux élèves de produire des réalisations dont ils ne se seraient pas cru capables. Ils sortent de leurs préoccupations habituelles en travaillant en équipe, en poursuivant des objectifs ambitieux et ils voient les résultats de leurs efforts sous la forme de production de qualité dont ils peuvent être fiers.
Les projets doivent à la fois construire des apprentissages qui peuvent être mesurés et évalués et aménager des marges à l’intérieur desquelles les élèves peuvent laisser libre cours à leur inventivité. Lorsque je donne les consignes au début du projet, nous ne savons pas exactement les uns et les autres quel sera le résultat. C’est un peu le braconnage dont parle Certeau, on s’appuie sur des passages obligés en restant ouvert à un certain imprévu. J’aime assez l’idée de leur faire faire dans un cadre précis une expérience d’intelligence collaborative, chacun découvrant qu’il peut apporter sa contribution aussi modeste soit elle.
Ces deux expériences, une certaine incertitude dans un cadre rassurant et l’intelligence collaborative, me semblent essentielles dans le monde qui est en train d’émerger sous nos yeux et dont on aimerait que nos élèves soient partie prenante sans se sentir laissés de côté.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
« Rue du figuier », le site de Marie-Gilberte Cadart :