Mise à jour le 24 décembre. « Le milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé ». Dans un communiqué publié le 23 décembre, le ministère de l’Education nationale réagit à la décision du Conseil d’Etat du 19 décembre en maintenant l’application de la circulaire Chatel. Une décision qui heurte, pour des raisons différentes, le Snuipp, premier syndicat du primaire, et le Snpden, premier syndicat des chefs d’établissement.
La décision du ministère
Le Conseil d’Etat a rappelé que les usagers du service public et les tiers à ce service ne sont pas soumis en tant que tels à l’exigence de neutralité », explique le communiqué du ministère de l’éducation nationale. « Toutefois, il a admis que l’autorité compétente pouvait fixer des restrictions à la liberté de manifester leur appartenance ou leur croyance religieuse soit sur la base de textes particuliers, soit pour des considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service… Le milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé. Ainsi s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, ils doivent faire preuve de neutralité dans l’expression de leurs convictions, notamment religieuses. C’est ce qu’indique la circulaire du 27 mars 2012 dont l’application est mise en œuvre sur le terrain avec intelligence, en privilégiant toujours d’abord la voie du dialogue. Cette circulaire reste donc valable ».
La circulaire de 2012
La circulaire citée précise que « il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ». La consultation du Conseil d’Etat initiée par le Défenseur des droits, un autre reliquat du sarkozisme, avait justement pour but de clarifier la situation juridique de cette circulaire.
Or le Conseil d’Etat n’a rien apporté de neuf à ce niveau. Il rappelle la loi : » les usagers du service public et les tiers à ce service ne sont pas soumis en tant que tels à l’exigence de neutralité » ce qui veut dire clairement que les directeurs ou chefs d’établissement n’ont aucun droit à imposer aux parents accompagnateurs une tenue précise. L’obligation de neutralité religieuse n’existe que pour les agents publics. La décision d’un directeur d’exclure un parent des sorties en raison de sa tenue vestimentaire est légalement contestable.
Un tournant droitier pour Vincent Peillon ?
A la rentrée 2013, Vincent Peillon a diffusé dans les établissements une « charte de la laïcité » sensée répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain. A cette occasion, le ministre avait défendu une vision ouverte et intégratrice de la laïcité. » Plutôt qu’une arme et une défiance, voyons (la laïcité) comme un pacte de confiance où chacun d’entre nous accepte qu’il y ait un espace commun dans lequel nous devons réserver un certain nombre de nos opinions personnelles, et où en contrepartie personne ne doit être inquiété pour une opinion, une croyance ou une appartenance. La laïcité libère, mais elle garantit et protège aussi… La laïcité libère, elle n’opprime pas. La laïcité respecte, elle ne stigmatise pas. La laïcité pacifie, elle ne brutalise pas « . La décision d’écarter certains parents des sorties semble en contradiction avec cette vision. Elle met aussi en danger les directeurs. Ce sont les deux points de vue développés par les syndicats.
Le Snuipp préfère l’intégration
Pour le Snuipp, « très clairement, il est rappelé que les parents d’élèves quand ils sont collaborateurs du service public d’Éducation nationale ne sont pas soumis aux règles strictes des agents de ce service public ». Le premier syndicat du primaire enfonce le clou : « la circulaire de Luc Châtel ne peut donc être lue comme une interdiction systématique des mamans voilées lors des sorties scolaires ». Le Snuipp s’appuie sur les pratiques de terrain : » les pratiques enseignantes montrent qu’il est tout à fait possible à la fois de faire respecter les principes de laïcité en bannissant tout prosélytisme et de favoriser la participation de toutes les familles, partenaires indissociables de la réussite de leurs enfants. Il rappelle que l’école publique a pour mission l’intégration et pas la stigmatisation ni l’exclusion d’une partie de la communauté éducative ».
Le Snpden demande une loi
Pour le Snpden, les propos ministériels ajoutent à une confusion que seule la loi peut trancher. » Le conseil d’Etat estime qu’une circulaire ministérielle pas plus qu’un règlement intérieur n’ont à se substituer au législateur en matière de libertés publiques. Il estime donc que les collaborateurs temporaires et bénévoles du service public ne peuvent pas être soumis au principe de neutralité pour le motif formel qu’ils ne constituent pas une catégorie juridique. Le même avis souligne pourtant que les missions qui leur sont confiées relèvent du principe de neutralité mais que, en l’absence de loi, il passe par des « recommandations » abandonnées à l’appréciation des directions des établissements mises dans une situation qui rappelle celle qui prévalait avant 2004 pour les élèves ». Pour le Snpden, « si la circulaire s’applique toujours, elle ne constitue plus le point d’appui juridique suffisant dont ont besoin les directions d’établissements auxquelles ne peut être renvoyé le soin de résoudre des questions de libertés publiques relevant du législateur. Seule la loi évitera la multiplication de polémiques et de contentieux qui desservent le projet républicain ».
L’école piégée par la question laïque ?
Lancée par la droite, sous Darcos, la question de l’enseignement des valeurs morales s’est imposée dans le débat scolaire. Arrivé au ministère, V Peillon en a tenté une lecture de gauche en faisant inscrire dans la loi d’orientation l’enseignement de la morale laïque puis en publiant sa « charte de la laïcité ». Celle ci pouvait sembler mettre un terme à la surenchère sur la laïcité. En pleine période électorale, la démarche du Défenseur des droits a relancé une machine dont on connait bien les arrière-pensées. La question de la laïcité divise la gauche où une fraction chevènementiste alimente aujourd’hui le Front national. Visant des minorités religieuses et particulièrement l’Islam, elle entre en conflit avec le projet d’intégration de l’Ecole. La décision ministérielle de se rabattre sur les thèses sarkozistes est-elle à même de clore le débat ou va-t-elle alimenter les fantasmes ? Elle interroge aussi sur les priorités éducatives du ministère. Les résultats de Pisa semblent imposer de mettre l’intégration des populations éloignées de l’Ecole au premier plan. Or en France il s’agit de populations défavorisées et d’origine étrangère. Intégrer les élèves de tradition musulmane c’est bien le défi de l’Ecole française.
François Jarraud
A propos de la charte de la laïcité