Pour Guillaume Lequien, qui enseigne la philosophie au Lycée d’Arpajon (91), l’évolution des pratiques est tout simplement une nécessité. Passionné par son métier, il admet être passé très vite d’un modèle magistral à un modèle participatif, pour ne pas perdre l’attention de ses élèves et leur faire cours efficacement. Toujours en recherche de nouvelles manières de procéder, il nous livre quelques-unes des idées qu’il met en œuvre et qu’il partage sur des réseaux professionnels. Réseaux qui pourraient, selon lui, beaucoup aider les professeurs à changer leurs approches en facilitant les échanges de pratiques.
Un présupposé : aller vers les élèves
Guillaume Lequien ne prétend pas détenir la solution, ni même inventer des procédés particulièrement innovants, mais il s’efforce de mettre en pratique des approches fondées sur la participation active des élèves. « Je suis parti d’un présupposé : ne pas hisser les élèves jusqu’à moi, mais aller vers eux », explique-t-il. Une disposition renforcée par le public difficile de ses débuts, des élèves de séries STG / STI, avec qui il précise qu’il adorait travailler, mais qui lui ont vite appris à éviter le cours magistral. Faire vivre les leçons sans perdre la rigueur, est-ce possible ? Guillaume Lequien ne donne pas de leçons mais il propose des exemples. «Pour une leçon sur le bonheur, je propose d’abord une série de 10 exemples. Je demande aux élèves d’y réfléchir, de comparer avec leurs propres exemples de ce qui peut représenter le bonheur, puis de les hiérarchiser en justifiant leur classement. En justifiant, on commence déjà à conceptualiser ; et si on fait le travail en groupe, on est forcé d’argumenter et de soutenir ses choix. » Un coup d’œil à la liste d’exemples, sur la page de l’auteur, pourrait rassurer les plus pointilleux : empruntés à la mythologie, ou plus discrètement référés à la tradition littéraire ou cinématographique, tous permettent des approfondissements féconds.
Contourner l’obstacle de la lecture des textes
Autre solution, pour l’approche d’un texte sans achopper sur l’obstacle de la difficulté de la lecture : le découvrir sans support écrit. Une première audition du texte enregistré fait l’objet de prise de notes , que les élèves sont invités à clarifier et à organiser avant une seconde audition, au cours de laquelle ils corrigent et précisent leurs notations. Après quoi, ils confrontent en petits groupes ce qu’ils ont compris du texte et rectifient leur reconstitution. « Sur un texte de Hume, pas évident, sur la perception du Moi, commente G. Lequien, très peu d’élèves sont finalement tombés dans un contresens. Et tous ont réellement travaillé le texte ! » Mais comment concilier de telles méthodes, qui demandent du temps, avec les impératifs d’horaires et de programmes ? Si la situation reste difficile pour les classes à 3 ou 4 heures hebdomadaires, (séries S ou ES), il y a davantage de marge dans les classes au programme moins lourd ou à l’horaire plus large (séries techniques et Littéraire), estime G. Lequien. « J’ai renoncé à l’idée que ce que je dis en cours puisse être magiquement assimilé ! Je préfère passer du temps sur des exercices qui permettent aux élèves de vraiment s’approprier les questions, même s’il en faudrait plus pour la reprise et la correction en classe. »
Construire une argumentation critique
Élaborer un paragraphe argumenté est une difficulté majeure pour les élèves. Guilaume Lequien les y prépare par un exercice d’argumentation sceptique : mettre en question ce qui semble évident. À partir d’un objet aussi concret aussi que leur table de classe, il leur demande de démontrer qu’elle n’est pas belle, ou pas rectangulaire, voire qu’elle n’existe peut-être pas. « Je les mets sur la voie, mais sans leur donner l’idée, précise-t-il. Ils présentent ensuite oralement leur argumentation et on voit si la classe est convaincue ou pas. Ils apprennent vite à faire la différence entre un exemple et un argument. » La rédaction de paragraphes argumentatifs est une autre étape, à partir d’une thèse imposée, pour laquelle il faut élaborer une idée générale, puis un raisonnement avec des définitions, des oppositions, des complémentarités, afin de revenir à la thèse à démontrer selon une trame précise qui varie selon le thème.
Montrer ce qui se joue dans une scène de film
Féru de cinéma, titulaire d’une certification complémentaire en cinéma et audiovisuel, G. Lequien recourt volontiers à des extraits de films, « non pas pour illustrer une théorie philosophique qui n’a rien à voir, mais pour montrer que quelque chose se joue déjà dans les images, tout en essayant de rester fidèle au réalisateur ». Documentaires, fictions, il choisit de brefs extraits (pas plus de 10 mn) pour lesquels il prépare une grille d’analyse avec des questions, à remplir pendant le passage de l’extrait. À titre d’exemple, il emprunte au Freud de Huston deux moments de démonstration par l’hypnose de l’origine non organique de la névrose. Ce qui permet aussi de revoir la démarche hypothético-déductive, mais mise en œuvre dans une fiction qui en facilite l’appropriation. Vertigo de Hitchcock sur la dynamique du désir, Zombie de Roméro sur les échanges économiques comptent aussi parmi les références qu’il emploie volontiers.
Les exercices classiques, trop contraignants ?
La dissertation et l’explication de texte traditionnelles lui semblent « imposer une architecture qui formate et contraint la pensée. Les élèves cherchent la réponse attendue, et bien souvent, elle est impliquée dans la formulation. » Ce qu’il préférerait ? « Peut-être une forme simplifiée de la dissertation : un essai argumenté, à partir d’une question ouverte, avec une moindre exigence de longueur. » Rédiger 4 ou 5 paragraphes argumentés, dont on évaluerait la rigueur argumentative, plutôt que l’apprentissage du cours, qui n’est pas le même d’un professeur à l’autre, ne lui semblerait pas moins formateur en termes de maîtrise de la réflexion et de la rédaction. Quant à l’explication de texte, un oral lui semblerait mieux permettre aux élèves de montrer ce qu’ils en comprennent.
Sortir du ressenti dans la notation.
« Si je pouvais me passer de notes, j’aimerais bien ! » admet Guillaume Lequien qui s’interroge sur la manière de progresser dans la fiabilité d’une notation qu’il estime encore trop souvent marquée par l’impression subjective du correcteur. « Sentir quelle note on doit mettre et argumenter cette décision, mais sans pouvoir dire pourquoi une copie vaut plus ou moins qu’une autre, ce n’est pas satisfaisant », estime-t-il. Et comment montrer aux élèves, leur rendre perceptibles les critères selon lesquels on les évalue ? « Depuis le début, je colle sur les copies une étiquette avec 4 ou 5 critères que j’ai choisis. Pour les épreuves type bac, ce sont analyser, problématiser, argumenter, expliquer, structurer. Ils sont discutables, bien sûr, mais ils permettent à l’élève de voir s’il progresse ou pas dans chaque critère. » Les élèves disposent d’un carnet de philo dans lequel ils reportent la grille pour tous leurs devoirs, ce qui leur permet de voir l’évolution, de mieux accepter et comprendre leurs notes.
Est-ce encore de la philosophie ?
Une expérience auprès de classes de collège, à la demande de l’établissement, a permis à G. Lequien d’explorer d’autres dimensions de l’enseignement philosophique, en particulier selon les méthodes de Jacques Lévine, reprises et développées par l’AGSAS. « Là, il ne s’agit pas d’écrire ou de faire cours, mais plutôt de laisser la parole circuler, pour extérioriser les confusions, le mal-être intérieur – avec de possibles dérives psychologiques, évidemment. L’idée était que des collègues d’autres matières prennent le relais. C’est un vrai travail de confrontation des représentations. » Mais est-ce encore de la philosophie ? « Oui, même en CP, même en maternelle, c’est de la philo, affirme-t-il. Moins exigeante, certes, moins précise et moins élaborée, mais de la philosophie. » Avec les plus jeunes, le point de départ est un thème proposé : l’amitié, grandir, le jeu, les monstres – qui permet d’aborder la question de l’altérité sans employer le mot.
Une expérience similaire l’a conduit auprès d’élèves de Lycées Professionnels : « ils se sentent exclus par leur orientation et aussi parce qu’ils n’ont pas d’enseignement de philosophie. Mais si on laisse l’écrit de côté, ils sont aussi capables à l’oral que les élèves de STG. »
Favoriser échanges et partages entre les enseignants
Toutes ces pratiques, ces idées et ces expériences, G. Lequien les partage : il les met aussitôt en ligne, où il puise aussi de nouvelles idées. Les réseaux de partage professionnels sont pour lui une ressource essentielle et trop peu utilisée par les professeurs de philosophie. Mieux que les blogs, ils constituent un moyen dynamique d’échanges et de commentaires en direct. Lui-même animateur et modérateur de réseaux sur Google + (voir ci-dessous), il encourage ses collègues à participer à cette mise en commun d’astuces ou d’idées « qui ne sont peut-être pas révolutionnaires ni même vraiment novatrices, mais qui aident à trouver des solutions dans la classe ».
Ce qu’il souhaite pour l’avenir ? Ne jamais perdre le contact avec les élèves. Rester professeur et continuer de faire classe, en essayant de s’améliorer. « Ce qui manque, conclut-il, c’est une formation réelle, d’une part, et la possibilité de constituer davantage de réseaux entre profs. L’an passé, dans l’Académie de Lille, nous avons fait de gros efforts pour nous retrouver et nous concerter entre nous, échanger des pratiques et des idées. Mais il manque encore une vraie culture de mise en réseau des solutions et des méthodes qu’on met en place. Il y a une tendance à l’individualisme qu’il faudrait réussir à dépasser. »
Jeanne-Claire Fumet
Des réseaux de professeurs de philosophie