Ce qui est impressionnant lorsque l’on observe un groupe devant l’écran d’un téléviseur ou d’un cinéma, c’est la fascination qu’exerce l’image animée et sonorisée sur le spectateur. Désormais sur l’écran de l’ordinateur, des tablettes et même des smartphones, la vidéo s’invite constamment à notre regard et notre fascination. Rappelons-nous la force des images : l’entrée du train dans la gare de Sète a fait fuir ses premiers spectateurs, les images projetées dans les cinémas avant et pendant la seconde guerre mondiale ont mené nombre de personnes dans l’illusion et la croyance de malheur, de bonheur, de victoire et de défaite. « Vu à la télévision » est désormais un argument aussi bien employé dans les catalogues de vente que dans les salles de classe, voire les salles des professeurs.
Avec la télévision professionnelle, le niveau de complexité de réalisation d’une image vidéo était telle qu’il était très difficile d’en réaliser soi-même (le super 8 était alors l’image vidéo du pauvre). L’apparition du caméscope n’a pas, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, été accompagnée d’une explosion des réalisations et des réalisateurs. Un peu avant que ces produits ne se démocratisent, entre 1960 et 1980, seuls quelques établissements scolaires étaient dotés d’un studio de télévision. Celle-ci, la télévision, était d’ailleurs l’objet de toutes les méfiances, en particulier dans le monde scolaire. L’écriture vidéo est restée longtemps l’apanage des professionnels. Seule la lecture critique (éducation aux médias ?) a eu droit de cité dans le monde académique hormis de rares exceptions.
Que l’on se rappelle la disponibilité des cartes « vidéoblaster » à partir de 1990, qui permettaient alors la numérisation d’images vidéos sur ordinateur, pour resituer le moment récent de basculement. A partir de cette époque, retraiter la vidéo sur l’ordinateur est alors devenu à la portée des passionnés d’informatique. Le montage vidéo s’est progressivement informatisé, renvoyant aux coulisses les vieux bancs de montage, et surtout ouvrant une ère nouvelle que les évolutions techniques qui vont suivre vont amplifier. En vingt années, on est passé de la vidéo analogique laborieusement numérisée de manière artisanale à la banalisation de la prise de vue numérique sur téléphone portable… Autrement dit, les moyens professionnels de l’époque sont devenus les outils de tout le monde, pas forcément la qualité finale, mais au moins le moyen d’expression. Il suffit de voir le succès des sites de partage et diffusion de vidéos en ligne pour comprendre qu’à la lecture frénétique et fascinée d’images animées s’est adjointe désormais la possibilité de filmer, de monter et de diffuser ensuite selon son choix et par des canaux variés, individuels, collectifs, privés ou publics. Que l’on regarde le développement des systèmes de projection à domicile (grands écrans ou vidéoprojecteur – home cinéma) et l’on comprend la place prise par l’image animée dans la vie quotidienne.
Les moocs (CLOM) et l’enseignement inversé ont remis au devant de la scène la question de la pertinence des vidéos pour enseigner et/ou apprendre. Nicolas Roland, dans l’expérimentation qu’il a récemment présentée dans différents colloque, a mis en évidence le potentiel des vidéos mais aussi les limites à partir d’un outil d’indexation collaborative permettant de commenter et indexer les vidéos à plusieurs. Il expliquait aussi l’importance de la durée sur l’acceptabilité d’un produit. Ainsi aborder la vidéo dans un contexte d’apprentissage peut avoir les aspects suivants : regarder, critiquer, enrichir (individuel ou collectif), modifier, créer.
Regarder : c’est simplement utiliser les ressources vidéos comme on assiste à un cours ou un spectacle.
Critiquer : c’est mettre l’objet vidéo en perspective et tenir une parole dessus
Enrichir : c’est individuellement y ajouter des éléments soit de compréhension pour soi (le surlignage ou la note de marge) soit d’explicitation pour les autres (la vidéo commentée). Collectivement c’est partager et confronter avec d’autres les compréhensions que l’on a d’un objet vidéo pour en dégager du sens
Modifier : c’est, à l’instar de nombreux DJ, reprendre des morceaux ou la totalité d’un objet vidéo pour en faire un nouvel objet (oeuvre de création) intégrant une dimension personnelle complémentaire (émotionnelle, cognitive, etc.)
Créer : c’est simplement accéder à l’acte complet de conception, fabrication et diffusion d’un objet vidéo
De la vidéo souvenir de famille à la vidéo de partage, de la vidéo de partage à la vidéo d’enseignement/apprentissage, il y a des logiques possibles à déployer mais surtout il y a des possibilités qui se sont accrues récemment. L’attrait des jeunes pour la création de petites vidéos est certes un bon moteur ludique, mais il peut rapidement devenir un moteur d’apprentissage, comme le montrent tous les enseignants qui invitent leurs élèves à construire des projets débouchant sur des vidéos d’explicitation, de partage de connaissances, voire d’enseignement.
La disponibilité nouvelle de l’outil vidéo sur téléphone, smartphone et tablette modifie progressivement le rapport au regard (et pas seulement à l’image). Pour l’instant cette notion de « regard » est encore peu travaillée, elle rejoint celle de point de vue, ou encore celle d’intention. On l’identifie bien désormais, ce potentiel technique « à portée de la main » peut rapidement se transformer en potentiel pédagogique… à condition que l’on veuille faire passer la finalité avant la maîtrise seule du moyen technique. Faire une vidéo c’est facile, concevoir un discours vidéo c’est autrement plus difficile…, c’est un peu comme l’écriture traditionnelle, qui est si difficile pour certains…
Bruno Devauchelle