On ne les a pas bien vus naître. Mais les festivals et autres « salons » et « rendez-vous » d’historiens-géographes ont envahi nos agendas et, démultipliés sur la toile par toutes sortes de manifestations, ils peuplent l’environnement du professeur comme nul ne pouvait l’imaginer il y a seulement vingt ans.
Ma rentrée à l’ESPE devant les candidats au professorat a été de dire que jamais autant qu’aujourd’hui, on ne formait des jeunes professionnels sans autre certitude que le métier qu’ils auraient à exercer ne ressemblerait pas longtemps à celui pour lequel nous les formons aujourd’hui. Les stages dans les classes aident les étudiants à s’imaginer en train d’enseigner dans un an ou deux, à anticiper ce que peut être leur place, leur manière de travailler avec des élèves, mais rien ne peut s’enseigner qui puisse donner à 100% l’envie, le punch, la frite. L’enseignement est aussi un pari fait avec un groupe sur des individus à la fois distincts les uns des autres et intégrés dans un collectif qui est la classe et l’établissement.
Ces pensées, très banales, se carambolent avec l’injonction de participer aux festivals d’automne qui prennent la recette des festivals d’été où, dans un sorte d’euphorie des rencontres, on frotte nos savoirs à ceux des autres, on imagine ce qu’on aurait pu dire dans un débat, on élague dans ses certitudes pour faire évoluer ses questions. Avec un tel sujet que la Chine à Saint-Dié, les géographes veulent bousculer les idées reçues, installées, enkystées qui font obstacle à ce qui pourrait pousser des élèves à s’intéresser à la Chine, trop lointaine, massive, incompréhensible.
Car la Chine est partout aujourd’hui. Le temps est loin où Mao était l’étoile rouge de l’Orient, les restaurants chinois inconnus, les livres maolâtres (je pense à ceux de la Macciocchi) ou libres comme ceux de Simon Leys. Que peut-on apprendre dans un festival qui ne soit pas du décousu, du réchauffé, du ressassé en moins bien de ce qu’il y a déjà dans les livres ? Quelle justification peut-on trouver à écouter un auteur parler d’un livre qu’il vient d’écrire et qu’il suffirait de lire ? Une justification qui serait que la société des écrans a ses limites, que le savoir est un bien qui se confronte, se cherche, se donne à construire au lieu de se donner comme un prêt-à-penser et à manger.
L’autre question de cet automne serait de savoir si 2013 n’est pas le dernier des Festivals de géographie à Saint-Dié au cas où le maire actuel, Christian Pierret, ne serait pas candidat à sa succession ou serait battu. Nul n’ignore ici qu’un festival est monté par une petite PME financée par l’entregent et les qualités de son fondateur dont on rappellera aux tous jeunes lecteurs qu’il fut ministre de l’industrie (avec un bon carnet d’adresses du CAC 40) pendant les cinq années de la mandature Jospin. Faute de financements, le festival pourrait agoniser au pied des Vosges après les municipales.
Ce serait donc l’occasion d’un bilan qu’on ne fera pas ici au risque d’être indécent. Mais on pourra s’étonner qu’un homme politique ait eu cette audace et ce talent de monter un tel événement avec des géographes appelés à sortir de leurs amphis et leurs labos. Que représente pour le public que l’interpellation de la géographie ? A vrai dire, peu de chose si on constate qu’aucun média télévisuel de masse n’a jamais vraiment rendu compte du FIG. « La géographie n’est plus emm… ? » raille-t-on à TF1 et chez BFM-TV. Certes, les auditeurs de France-Culture, les lecteurs du Monde et de Libération suffisent amplement à justifier que les géographes sont perçus différents dans leur explication du monde. Il n’empêche. La géo est bien présente dans les journaux télévisés, mais le sensationnel écrase tout et ne laisse rien voir de ce que nous faisons.
En même temps, la question vaut pour nos élèves et nos étudiants. Sommes-nous sûrs d’avoir utilisé tous les ressorts en notre possession pour transmettre ce questionnement par l’espace ? Les jeux vidéo qui circulent et les films donnent parfois envie de connaitre le milieu urbain, les montagnes, les océans, le karst, le monde polaire, tel Etat ou telle activité économique ? Mais qu’en faisons-nous dans nos parcours annuels ?
La saison des festivals – comme toute saison, d’ailleurs – avec ses départs et ses rentrées sont l’occasion de remettre les pendules à l’heure. Pour l’année qui vient, ouverte par des réductions d’exigences programmatiques, il faut souhaiter, Saint-Dié ou pas, qu’Albert Jacquard, le grand esprit qui vient de disparaître puisse être entendu : « La finalité de l’éducation est de provoquer une métamorphose chez un être pour qu’il sorte de lui-même, surmonte sa peur de l’étranger, et rencontre le monde où il vit à travers le savoir. » On ne saurait dire mieux..
Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle à l’université Paris-Sorbonne et à l’IUFM de Paris. Il a animé les Cafés géographiques jusqu’en 2010. Il est le rédacteur en chef de la revue La Géographie.