Le vote solennel de la loi d’orientation ne règle pas les problèmes de son application. La loi laisse les mains libres à Vincent Peillon. Mais c’est sa perception par les acteurs de terrain qui sera déterminante. Le rôle des hiérarchies intermédiaires sera crucial.
La loi est d’abord dans les mains des parlementaires. En consacrant une bonne cinquantaine d’heures de travail à l’examen en séance du texte de la loi de refondation, les députés ont rappelé l’importance de la chose écrite, de la loi pour installer l’action publique. Pourtant ils ont aussi marqué les limites. A plusieurs reprises, ils se sont surpris de ne pas pouvoir intervenir sur des points importants, comme le contenu du socle, qui relèvent du domaine réglementaire c’est à dire des décrets et circulaires que le ministre prendra. Si la loi est d’abord dans les mains des parlementaires – et elle va y revenir au Sénat – l’essentiel de la réforme, ce qui la rendra visible sur le terrain, leur échappe.
La refondation est déjà dans les mains des lobbys. On les a vu à l’ oeuvre à l’Assemblée où chacun – et c’est légitime – est venu défendre ses intérêts. Ce travail va continuer. On a vu les députés agir sur le texte à plusieurs reprises à leur demande. C’est que la loi a des conséquences économiques – sur le numérique par exemple. Elle a aussi des retombées sur la répartition des postes. Disons le simplement : la chasse aux postes des Espe est ouverte et les candidats se poussent du coude. Les lobbys disciplinaires se battent déjà pour savoir qui enseignera la fameuse morale laique, des professeurs d’histoire-géo , de philosophie, de droit ???
Surtout la refondation sera dans les mains des acteurs de terrain. Plus que les textes ce sont les réactions des enseignants qui feront de cette refondation un texte vide ou une véritable occasion pour l’Ecole. Les leviers d’action du ministère sont minces pour les toucher. Si la formation initiale va être dotée correctement, la formation continue ne dispose pas des budgets qui permettraient d’impulser des dynamiques que l’on a vu à l’oeuvre dans d’autres pays. Il faudra compter sur la bonne volonté des enseignants. Or ceux -ci sortent meurtris par des années noires. Ils ont nourri une insondable défiance envers l’institution.
La refondation sera dans les mains des cadres. L’étude d’Aurélie Llobet, analysée dans L’Expresso du 20 mars, démontre que leur rôle est crucial. Elle montre que la hiérarchie s’empare des réformes par rapport à ses propres intérêts et contraintes. Le principal de collège doit rendre des comptes à sa hiérarchie et est seul à chercher les solutions qui risquent d’être plus dans l’apparence que dans le réel. D’autres exemples donnent à penser que des sabotages existent. On a vu par exemple comment la réforme du lycée a été sabotée au long de la chaine hiérarchique pour devenir à de nombreux endroits – mais pas partout – un cauchemar.
« La réforme est un art d’application » disait Claude Thélot. On n’a donc pas fini d’observer et de suivre son chemin.
François Jarraud