La grande foire à la géographie qu’est devenu le festival international de Saint-Dié-des-Vosges (FIG) nous met dans une situation très particulière par rapport à nos bonnes vieilles disciplines devenues une telle évidence pour nous qu’il ne saurait y avoir de monde sans géographie, de système scolaire sans géographie, de France sans géographes.
Pourtant, en dépit des 50 000 visiteurs recensés sur le FIG, on se pose la question sur la moue à laquelle nous sommes confrontés – non pas dans nos milieux éduqués et « éduquants » – dans des milieux, disons-le, aisés ou populaires. Dans les hautes sphères sociales, s’il y a des liens avec l’école, c’est avec la philosophie et l’économie qu’on les envisage, parfois les mathématiques, un peu d’histoire pour les chinoiseries du musée Guimet. Mais la géographie est perçue comme quelque chose de très exotique ou alors, au mieux, une science de l’ingénierie urbaine. Dans les milieux populaires, la géographie ne suscite qu’un vague souvenir ennuyeux d’école. Elle n’est connectée à rien, ni au sport qui a envahi les quelques espaces de cerveau disponible laissés vacants par la télévision de masse, ni aux voyages (rares, il faut le dire), ni à la musique (pourtant très présente chez les jeunes). Au pire, les cartons de localisation d’une bourgade à la une de l’actualité télévisée à la faveur d’un accident tiennent lieu de sport spatial.
Pourtant, Yves Lacoste avait tenté de mettre du politique dans la géo en tonnant en 1976 sur les liens avec la guerre (livre réédité cette année). Et puis tout s’est emballé. Ce fut la surenchère, les pressions diverses des tenants de la chorématique, de la mondialisation, de l’environnement (version soft de la géographie physique abandonnant des pans entiers aux sciences de la terre) et, plus récemment, du développement durable. Les programmes ont pris de l’embonpoint, les manuels ont puisé dans l’actualité la plus catastrophiste pour justifier des cours alambiqués sur les risques (a-t-on bien réfléchi comment un adolescent perçoit la notion de « risque » ?) qui n’ont pas arrangé la situation de notre pauvre discipline : la géographie est toujours aussi mal aimée, les enseignants bien peu motivés. On fera exception de professeurs qui ont la « fibre » et qui aiment transmettre sur ces questions parfois bien techniques.
A quoi servent les paysages ?
On eut un débat à Saint-Dié sur les paysages. Le sujet n’a pas attiré TF1, à peine France-Culture. Finalement, les paysages sont-ils des outils pour les géographes qui pourraient « séduire », pour reprendre un mot de J.-R. Pitte, les élèves et Monsieur-Tout-le-Monde ? Des outils, oui, en urbanisme, en aménagement. Les lycéens sont plongés dans les paysages virtuels des jeux vidéo et tous les adolescents baignent dans le curieux monde des séries américaines. Mais aucun écho n’est donné à ces lieux-là. La question est de savoir si la géographie culturelle pourra, un jour, entrer dans les lycées avant les classes préparatoires. Pas sûr. Un positivisme de bon aloi plane au ministère où la géographie est vue comme une clé pour lire le monde, une géo économique mâtinée de géopolitique, n’en demandons pas plus. Les globes virtuels comme Google Earth resteront des entités hors champ au bon vouloir des professeurs les plus motivés.
Il est permis de se demander pourquoi, au fil des rencontres et des conversations à Saint-Dié, les professeurs présents sont si heureux d’argumenter, de découvrir et d’approfondir une autre manière de faire de la géographie. Pourquoi tant de monde à des débats qui paraissent marginaux dans la géographie académique ? Doit-on douter que les nouveaux responsables des programmes entendent ce besoin de géographie au moment où c’est toute notre manière de lire le monde qui change ? La vitesse, le virtuel, les cultures reformatent notre vision du monde. Il serait grand temps que les intuitions d’un Paul Claval et d’un Armand Frémont qui datent du temps d’Yves Lacoste franchissent la barrière de l’école.
Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle à l’université Paris-Sorbonne et à l’IUFM de Paris. Il a animé les Cafés géographiques jusqu’en 2010. Il est le rédacteur en chef de la revue La Géographie.