« Monsieur, c’est un peu notre Encyclopédie à nous ! »
Propos de René Fix recueillis par Jean-Michel Le Baut
Dans l’ère où lire-écrire-publier devient par la grâce du numérique une seule et même activité, et si les élèves devenaient éditeurs ? En collaboration avec Bruno Gonzales, enseignant d’arts plastiques, et Karen Lerebourg, professeur-documentaliste, René Fix, professeur de lettres, a lancé un beau défi à ses élèves de quatrième : réaliser une nouvelle édition d’un célèbre conte de Voltaire, depuis la maquette jusqu’à l’appareillage critique. Le projet renforce le compagnonnage avec un classique de la littérature, il permet d’entrer à l’intérieur de la fabrique d’un livre, il développe les capacités d’écriture, de traitement de l’information, de travail collaboratif etc. Un travail passionnant, amené à faire des petits ?
Que sont les « Editions Nolan » ?
Les éditions Nolan (Nos Livres à Nous) entendent présenter à des collégiens une collection de « classiques » de la littérature consultables sur des téléphones portables (format EPUB). En plus du texte intégral, chaque exemplaire comporte un complément ludique et pédagogique élaboré par des élèves (niveau 4ème, puis 4ème et 3ème en 2013) destiné à encourager et à dynamiser l’entrée dans l’œuvre.
Comment est né ce projet un peu fou ?
Après une première séance « délicate » consacrée à Candide, les élèves de 4ème m’ont très vite « recraché » naïvement des pans entiers de Wikipedia à la place du travail personnel demandé. Il suffisait, dès lors, de suivre simplement cette inclination naturelle et de leur proposer de construire ensemble notre propre appareillage critique et ce à partir de leurs propres incompréhensions réelles, mais aussi de leur engouement à tenter de comprendre.
Vous avez mis en place un « cahier des charges » propre à la collection : quels en sont les principes ?
Le cahier des charges devait donc comprendre tous les éléments techniques, esthétiques et intellectuels propre à la démarche.
Chaque élève doit prendre en charge, de façon complète, un chapitre avec les activités suivantes. D’abord saisir le texte original (et sa nécessaire correction). Puis proposer une série d’activités autour du chapitre : un jeu simple autour du vocabulaire, des questions de compréhension et de grammaire, la réécriture en français contemporain d’un passage complexe, un quizz autour de deux titres possibles pour le chapitre, ainsi que deux propositions iconographiques soigneusement identifiées pouvant illustrer le chapitre.
Il s’est agi aussi de construire une charte graphique (en collaboration avec le professeur d’arts plastiques) transposable pour l’ensemble des titres de la future collection (étape en cours d’achèvement), d’élaborer un logo Nolan, de choisir la typographie et la composition du livre électronique, de procéder à la composition du chapitre, enfin de-procéder à la transformation du fichier .Doc en fichier EPUB à l’aide du logiciel libre CALiBRE.
Concrètement, comment les élèves travaillent-ils pour réaliser ces objectifs ?
Chaque élève prend en charge l’intégralité du travail sur son chapitre lors de séances TICE avec la collaboration de la documentaliste (huit séances de deux heures février –mars 2012)
Des séances en classe entière ont permis de dégager un accord majoritaire autour des options esthétiques et des activités complémentaires au texte original.
Après un travail préalable et nécessaire autour du contenu du livre, une deuxième étape (mai-juin) est consacrée à l’élaboration du livre électronique lui-même. En étroite collaboration avec le cours d’arts plastiques, chaque élève applique à son document Word les transformations nécessaires avant la mise en commun finale.
En quoi le projet vous semble-t-il formateur et stimulant pour les élèves ?
Le simple fait d’autoriser en permanence une vérification du travail en cours sur les téléphones est un vrai « plus », avec un zeste de « démagogie » technique que j’assume pleinement. De plus je tiens à disposition des élèves trois tablettes numériques et deux E-books Sony.
En travaillant sur les illustrations des chapitres, les élèves étaient autorisés à sortir de l’aspect purement illustratif et historique et proposer aussi des « visions » plus modernes (exemple l’usine d’Ipad en Chine pour illustrer l’épisode du nègre du Surinam). Cette licence aura été un formidable facteur d’émulation. Enfin la proposition de construire des « jeux », avec des pièges pour les futurs lecteurs, aura définitivement contribué à souder le projet.
En dernier lieu, je ne peux passer sous silence la « familiarité » qui s’est installée entre les élèves et les personnages du conte de Voltaire. Entendre des élèves, en plein travail, se « traiter » de Cunégonde ou de Candide n’était pas le dernier de mes plaisirs. Ce travail aura véritablement permis, si ce n’est une compréhension pleine et entière du texte de Voltaire, du moins une complicité certaine avec l’œuvre, bien au-delà de la simple assimilation de l’intrigue. Même si cela peut sembler trop beau pour être vrai, je ne cesse de penser à cet élève qui lors d’une séance m’a dit : « Monsieur, c’est un peu notre Encyclopédie à nous ! ». Si l’enseignant peut dépasser l’émotion légitime face à cette prise de conscience, il ne faut jamais oublier que ces élèves appartiennent à un collège ECLAIR, et qu’ils ont appris, en février, la fermeture définitive du collège en septembre 2013. Même s’il ne s’agissait surtout pas de construire un projet testimonial, cette dimension ne peut pas être ignorée.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ou qui sont devant vous ?
La difficulté majeure est évidemment celle consistant à maintenir un engouement actif et productif sur la durée complète du projet, et accessoirement celle de ne pas laisser de côté le reste du « programme ».
Pour mener à bien l’ensemble du travail sur la simple constitution du texte complet (Candide + le paratexte), il a fallu demander à certains élèves de venir en dehors des cours et, inutile de le taire, épauler fortement quelques rares élèves qui se sont vite sentis submergés par l’ensemble du projet.
Après Candide, envisagez-vous d’autres titres dans cette collection ?
Pour l’année 2012-2013, nous avons déjà décidé, après un petit travail exploratoire (lecture de quelques extraits) de mettre en chantier, avec deux classes cette fois-ci les titres suivants : La Grammaire, de Labiche (niveau 4ème), L’Eveil du Printemps, de Wedekind (niveau 3ème) à partir de la traduction que j’ai faite pour le metteur en scène Gerold Schumann en 1999. (Ce texte me semble plus que pertinent pour aborder avec des élèves de cet âge la question de l’adolescence. C’est uniquement pour des questions de droit d’auteur que je propose mon travail de traducteur. Vous l’avez compris cette collection ne repose que sur des œuvres libres de droit).