Par Lucie Gillet
Entretien avec Céline Barriol-Décot
Céline Barriol-Décot nous livre ici son témoignage sur le projet qu’elle présente à Orléans : Des enfants et des jeux, des photos et des mots, vivre et apprendre en petite section à l’heure du numérique.
Pour te présenter, peux-tu commencer par me dire depuis combien de temps tu enseignes ?
– « Il y a un peu plus d’une vingtaine d’années. Je fais partie de la fameuse promo FPS (Formation Professionnelle Spécifique). J’ai été recrutée au moment où l’école normale disparaissait au profit des IUFM. J’ai eu une drôle de formation étalée sur plusieurs années…durant lesquelles j’ai rencontré beaucoup de professionnels de l’éducation qui m’ont aidé à combler les lacunes liées à cette époque d’entre-deux. Désormais, je suis rattachée au service départemental des usages et ressources numériques du CDDP 43. »
Comment s’est passée ton installation dans le métier, et qu’est-ce qui te motive avec le numérique ?
– « Pour moi, le numérique c’est d’abord le hasard d’une nomination dans une école qui faisait figure de modèle en terme d’équipement à Bas en Basset en Haute-Loire Je me suis retrouvée dans un groupe expérimental autour des TICE lorsque les premiers modems sont arrivés dans les écoles. Avec un autre collègue, nous avons proposé à nos élèves d’écrire un roman en utilisant la messagerie… c’était nouveau et très motivant pour les élèves. Malgré les aléas techniques, le projet a abouti et depuis, je poursuis cette aventure numérique avec le même enthousiasme.
Ce qui m’intéresse dans le numérique, c’est les liens et les réseaux que cela permet de créer… à travers les rencontres, les échanges, les outils… tu te nourris de l’expérience des autres, tu remets en question tes partis pris, tu apprends, tu cherches et tu trouves des solutions pour mieux préparer ta classe, pour mieux cibler les aides…
C’est aussi un formidable outil pour apprendre autrement, diversifier les parcours et les approches pour développer une compétence donnée. J’ai un attachement très fort à la reconnaissance des enfants différents et le numérique m’a aidé à développer de nouvelles manières d’enseigner au profit du respect du rythme et des capacités individuelles mais aussi de créer des liens forts autour de projets. Un outil pour l’élève, mais aussi un outil pour les familles… je suis une partisane de la communication avec les parents, donner à voir, à valoriser et à comprendre ce qui se joue à l’école et comment, c’est extrêmement plus facile depuis que le numérique s’est démocratisé. Cela permet de tisser des liens de confiance, des liens de parole et d’expérience partagée entre les enfants et les parents.
Donc, pour moi le numérique c’est du vivre ensemble pour mieux se connaître et apprendre. »
Depuis peu tu exerces de nouvelles fonctions, peux-tu nous en dire plus ?
– « Après un congé formation, j’avais la possibilité de changer de poste. J’avais pris conscience que mon expérience numérique était loin d’être une réalité partagée partout ailleurs, dans d’autres classes. Donc, ce poste de SDUR me permet de prendre appui sur mon expérience singulière pour accompagner des collègues ou des élèves dans des projets… de faire bouger les lignes au-delà des murs de ma classe où j’avais réussi à créer un environnement numérique très favorable grâce au soutien de la mairie et de l’association de parents d’élèves. C’est aussi pour développer de nouvelles compétences professionnelles, apprendre à travailler dans d’autres contextes, avec une grande diversité d’acteurs de l’éducation. »
Dans le projet proposé, vous travaillez par conséquent à deux, comment s’est construit le partenariat avec ta collègue, chargée de classe ?
– « C’est dans le cadre d’un projet fédérateur proposé par le CDDP 43 que j’ai commencé à travailler avec Isabelle. Il s’agissait d’initier les enfants à la lecture et à la production d’images, ce projet s’intitule « jeunes écrivains d’images ». Lorsque j’ai pris connaissance du projet d’Isabelle, je me demandais bien comment m’y prendre ; mes collègues n’avaient jamais réaliser un tel projet avec des petits. Isabelle a peu de compétences numériques mais elle souhaitait utiliser les ressources numériques pour initier ses élèves à la production d’images et de sons, en tirer profit en terme d’apprentissages tout en répondant à la nécessité de faire vivre et comprendre l’école aux familles, créer du lien. Donc, j’ai été sa boite à outils, le technicien et réalisateur à partir de la matière et du projet qu’elle avait. »
Comment le projet a-t-il évolué au cours de sa réalisation ?
– « Régulièrement, Isabelle sélectionnait des situations vécues, photographiées…, ensemble nous arrêtions les situations intéressantes puis je m’occupais du montage, je revenais pour les prises de sons… ainsi de suite… Plus tard, j’ai proposé à Isabelle d’aller plus loin en réutilisant les images et les sons dans un environnement numérique où les enfants pourraient s’exercer, progresser à leur rythme, en partant d’objets du vécu. Ils ne comptent pas des lapins mais des copains. Ils ne nomment pas le A de âne mais le A d’Alban. Ils jouent avec des consignes qu’ils ont rencontrées dans des situations vécues pour de vrai… ils reconnaissent les outils qu’ils ont utilisés, les types de graphismes qu’ils ont découverts… mais ce sont leurs productions à EUX pas une image téléchargée sur une banque d’images. C’est aussi cette particularité qui donne du sens au projet et aux apprentissages de l’école…Grâce au soutien et à l’esprit de mutualisation des collègues qui ont créé les logiciels de FLOCS, j’ai préparé les données pour réaliser un premier mémory interactif puis un autre. Ils ont mis à ma disposition une coquille et m’ont guidé dans la réalisation. Sur le site matvhugo, on peut trouver plusieurs logiciels gratuits créés dans cet esprit de collaboration. C’est très intéressant car le concept de mémory porté par Yves Cohen, José Lopez et Régine BD s’appuie sur une expérience enseignante soucieuse de prendre en compte l’élève et offre différents paliers de difficultés, un statut de l’erreur formateur. Sur notre projet, j’espère pouvoir aussi proposer des applications pour les tablettes d’ici la fin du mois. Ce qui me plait avec le numérique, c’est le foisonnement des possibles, la créativité, la recherche des solutions les plus adaptées au contexte, avec la dimension de personnalisation qui en fait un véritable atout »
Avec ce projet, parle-nous de ce que vous avez constaté sur l’implication des enfants, leurs apprentissages ?
– « Apprendre en prenant appui sur l’expérience et sur le vécu donne une large place à la dimension affective. C’est sécurisant. Pouvoir le partager dans la cellule familiale, cela valorise, encourage, rassure et implique davantage aussi les parents. Le numérique diversifie et enrichit les liens et les manières d’apprendre. Mais notre projet s’ancre avant tout dans l’expérience réelle, dans des jeux de rôle, des activités. C’est la complémentarité des stratégies, des outils et situations que nous avons imaginés qui participent à donner du sens aux apprentissages. Quand j’arrive dans cette classe, je suis accueillie un peu comme le père noël mais les enfants savent bien qu’on travaille autour des sons et des images et avec plein d’outils différents. Ils sont très volontaires, font de nombreux efforts pour améliorer leur production, s’écoutent avec attention, s’étonnent de ne pas reconnaître untel… interagissent avec les copains, le TBI, l’ordi… C’est une expérience très enrichissante Elle met en avant une approche humaine et bienveillante des premiers apprentissages à l’école maternelle portée par Isabelle Bonnet et son ATSEM Cathy. Ici les enfants s’épanouissent et apprennent avec plaisir, beaucoup de plaisir à une époque où on peut regretter certaines dérives « d’élémentarisation » de l’école maternelle. »
Les parents ont-ils fait écho auprès de vous de remarques à ce sujet ?
– « Quel travail formidable ! Je suis très admirative ! » voilà pour la première impression que j’ai récoltée… mais j’aurai plus à dire à Orléans, la projection pour les familles aura lieu jeudi prochain!
Comment pense-tu continuer cette aventure, quel champs de possibles t’ouvre-t-elle ?
– « J’aimerais que le numérique dans les écoles se concrétise davantage par de réels projets, avoir suffisamment de temps pour accompagner les collègues volontaires et créer des espaces ouverts qui leur permettent d’être autonome sans que cela ne soit trop chronophage. L’idéal serait de créer des environnements numériques paramétrables à souhait où chacun puisse déposer sans trop de manipulations des données issues de la vie de la classe. Une petite formation pour comprendre comment insérer les données, éventuellement un petit coup de pouce et puis, les apports feraient leur chemin et prendraient une place toute naturelle à l’école avec la possibilité d’utiliser ces ressources dans la sphère familiale. Donc dans l’immédiat, je lancerai bien une invitation aux collègues à expérimenter la possibilité de créer des ressources personnalisées grâce à la proposition de Floc production multimédia. Mettre en évidence qu’il est important de partir du vécu des enfants voire de leur donner la possibilité de créer eux mêmes les données, c’est ce que j’ai fait avec les écoliers de Valprivas et le résultat est saisissant. Le numérique peut être un formidable vecteur pour donner du sens aux apprentissages tout en accompagnant la construction des compétences numériques et la réflexivité nécessaire sur les usages. Rendre possible et facile le numérique, je crois que c’est ce qui motivera la suite de mon aventure. »
Enfin, pourquoi venir à Orléans ?
– « La participation au forum des enseignants innovants est une opportunité pour aller à la rencontre d’autres personnes porteuses de projets et d’histoires différentes. Une manière de se nourrir et de s’enrichir des expériences des autres, de faire évoluer ses pratiques et ses partis pris pédagogiques, d’avoir du temps pour en parler et pourquoi pas construire des projets communs. En bref, un grand rendez-vous! »
Le projet de Céline décrit sur son site :
http://sites.google.com/site/lesmaternateurs/home/forum-1
Entretien avec Monique Ducroux
Monique Ducroux réussit un double exploit : elle tient un blog de classe depuis plusieurs années, qui plus est en Petite Section. Elle présentera à Orléans ce projet et l’intérêt qu’il présente en terme d’apprentissages même avec de très jeunes enfants.
Pour mieux vous connaître dites-nous quelques mots sur votre parcours professionnel… Depuis combien de temps vous enseignez, dans quelle région ?
– « J’enseigne depuis 30 ans dans la région lyonnaise. J’ai enseigné en élémentaire, puis 15 ans en Classe d’Initiation et ensuite en maternelle. Je suis en Petite Section depuis 6 ans. »
Vous présentez la tenue d’un blog d’une classe de … petite section, pouvez-vous nous préciser ce qui vous a mené professionnellement à choisir ce support ?
– « Lors d’un stage TICE d’une semaine il y a 6 ans, nous avons eu une demi-journée sur le thème des blogs et je me suis dit que c’était le support idéal pour remplacer mon cahier de vie papier que j’avais du mal à faire (coût de l’impression photos ) et à faire circuler dans les familles.
L’occasion m’était donnée de raconter nos activités aux familles et de pouvoir entrer en interaction avec elles. »
Ce choix vous a-t-il conduite à modifier vos façons de travailler ?
– « Oui car il faut penser au récit à chaque instant et aussi parce que le lien aux familles est devenu beaucoup plus important, beaucoup plus étroit. Je travaille sous le regard « public » et ça m’oblige à plus de cohérence, à plus d’adéquation aux programmes. Je réfléchis plus qu’avant.
Cela a changé aussi le regard des enfants sur nos activités car les « fidèles » du blog pensent aussi à ce que nous allons raconter. »
Qu’estce que ça vous demande en temps et préparations matérielles ?
– « Je dois faire des photos, des films, des enregistrements et surtout chaque jour à midi, je dois écrire l’article afin que les familles puissent le lire en rentrant dès la fin de la classe l’après-midi. Tout ce temps s’ajoute au reste de mes préparations, c’est un investissement personnel important. »
Vous tenez un blog de classe depuis plusieurs années, comment ce projet évolue au cours du temps ?
– « Ce projet a déjà évolué car, parti de ma classe, il a essaimé chez mes collègues qui elles aussi font un blog pour leur classe. Certains enfants ont donc pu avoir un blog sur toute leur scolarité maternelle.
Je suis partie d’un blog avec 3 ou 4 photos par article à un blog avec des vidéos, des diaporamas, des livres numériques, des enregistrements sonores.
J’ai ajouté des conseils aux familles ou des liens vers des sites qui me paraissent intéressants pour des enfants de 3 ou 4 ans.
Pour les suites, c’est encore incertain car je change d’école pour prendre une direction l’an prochain. Je pense qu’il y aura toujours un blog mais peut-être avec plus de participation des enfants (si j’ai des élèves de Grande Section). »
Que constatez-vous des bénéfices de ce projet sur l’implication des enfants, des parents ?
– « Les enfants sentent que leurs activités ont de l’importance, ils ont compris que chaque progrès ou prouesse est susceptible d’être annoncé dans le blog. Ils connaissent beaucoup plus rapidement les comptines et chansons puisqu’ils les rechantent ou redisent avec leurs parents à la maison.
Ils réinvestissent le vocabulaire de la classe et le maîtrisent donc mieux.
Chaque année en fin d’année scolaire, je fais passer un sondage anonyme aux familles leur posant des questions sur leur fréquentation et leur vision du blog. Ce qui m’est répondu chaque année, c’est que le blog améliore la connaissance des activités de l’école maternelle et la confiance accordée à l’enseignante. Pour beaucoup, il améliore aussi la motivation de l’enfant parce qu’il est fier de partager avec sa famille, parfois avec des grands parents ou oncles, tantes , loin de l’école, de sentir leur intérêt et de pouvoir en reparler. Et pour certaines familles, il améliore même le dialogue avec l’enfant. »
Sortons un peu de la classe et de vos élèves, votre blog est très populaire et attire beaucoup d’internautes, il est également un relais pour les enseignants débutants, quels sont vos échanges avec eux ?
– « Ce blog est pour moi un grand bonheur dans l’échange avec les collègues. Que ce soient celles qui ont un blog avec qui les échanges sont presque quotidiens grâce aux commentaires, je pense à Nadine à la Réunion, Christine dans l’Isère ou Delphine dans le Nord, Joséphine et son blog d’arts visuels, ou celles qui n’en ont pas et qui me laissent des messages. Des enseignants débutants m’écrivent pour me demander des conseils mais aussi des enseignants chevronnés que telle activité ou tel document intéressent. Ou alors pour une réaction « off » à un commentaire de parents ou un événement de la classe. J’ai maintenant des contacts dans plusieurs pays du monde, échangeant avec des enseignantes québécoises, marocaines, chinoises, brésiliennes, anglaises.
Par exemple, lors de notre travail sur la Chine au mois de janvier, février, une enseignante chinoise du Lycée Français de Pékin de m’a envoyé un diaporama sur la fabrication des lanternes traditionnelles et une vidéo d’enfants qui apprenaient à dire Bonne année en chinois.
En principe, comme notre thème de la période est le Brésil, nous devons finir cette année par un échange avec une enseignante de Petite Section du Lycée français de Rio. J’ai commencé le thème et nous avons prévu que les enfants se racontent leur quotidien respectif par mail avec des photos. Je publierai celles où l’on ne voit pas les visages sur le blog.
Il y a aussi des aller-retour car quand une enseignante me demande un document tel que le livret d’identité, je demande toujours qu’on me commente ce qui se passe dans la classe autour de ce livret. J’ai reçu ainsi de nouvelles versions du même document qui m’ont amenée à enrichir le mien.
Ce matin, Manon, enseignante au Québec m’a envoyé un document qu’ils ont conçu à destination des familles en voyant un article récent du blog où je donnais des conseils simples pour aider son enfant à approcher l’écrit.
Donc je donne mais je reçois aussi beaucoup ! »
Le blog de Monique Ducroux :
http://petite-section-a-chouffet.over-blog.com/
Les mascottes voyageuses
Christine Raymond, de la rubrique langues vivantes du café nous livre l’entretien qu’elle a mené avec Claude Richerme-Manchet, un autre projet ou la maternelle et les langues sont à l’honneur.
Découvrez-le en suivant ce lien :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/langu[…]
Sur le site du Café
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