Des ateliers d’écriture, parce que « 4000 ans, ça suffit… »Après avoir acquis l’accès au secondaire, comment penser l’accession de tous au savoir ? C’est la question que pose en conclusion Jacques Bernardin, en citant l’exemple du passage de la lecture à l’écriture. Comment ouvrir l’écriture à tous ?
Michel Ducom se veut à la fois témoin et acteur.
Dans les années soixante-dix, l’écriture passe de la rue aux ateliers d’écriture, dans les salons d’Elisabeth Bing. « Il n’était alors pas permis d’imaginer qu’on puisse former des écrivains, alors que cette idée était courante dans d’autre pays ».
A l’époque, se souvient Michel Ducom, « nous étions privés d’écriture », alors qu’au début du XXe siècle, la monographie personnelle des instituteurs était une production destinée à introduire le savant dans la culture populaire. « Ces monographies, si elles n’étaient pas littéraires, constituent un trésor conservé dans nombre d’archives de mairies, dont les enseignants eux-mêmes n’étaient pas conscients à l’époque ». Mais à l’époque, on n’écrit pas sur la pédagogie, sauf exceptions dont Freinet fit partie en écrivant depuis le fond de sa classe, alors que la norme était que ces écrits soient réservés aux corps d’inspecteurs.
La question de l’écrit revient dans les années cinquante, quand R. Barthes ose écrire que les romans policiers pourraient être de véritables romans. Cela fait scandale à l’époque, mais qui pourrait constituer l’ancêtre du concept de littéracie. L’idée que les non-écrivains pourraient écrire, ou faire écrire d’autres personnes, se fait jour. Pas de lien entre bon écrivain et bon animateur d’atelier d’écriture, pour Michel Ducom : il faut surtout que cet animateur soit « travaillé par les questions d’écriture ».
En finir avec les entrainements sans matches…Avec la démocratisation, la rédaction passe du statut d’oeuvre littéraire au statut d’exercice d’entrainement. « On s’entraine, mais quand à lieu le match, diraient les sportifs ? » Progressivement, l’idée qu’un écrit scolaire puisse être apprécié, critiqué, publié, lu, devient révolutionnaire. Pour M. Ducom, le choix est politique, au sens fort : plutôt que de participer à un mensonge social (« travaille et tu vas réussir »), les ateliers d’écriture introduisent la possibilité d’engager un véritable travail, des analyses autour de la production de ce travail, avec l’aide de la socio-linguistique naissante. Le « travail pour de bon » permet de poser de nouvelles questions : à qui appartient la littérature ? « Si tout le monde devient écrivain, où allons-nous ? Le « rapt de l’écriture » a plus de quatre mille ans, quand les castes supérieures continuent à sacraliser les hiéroglyphes alors qu’ils n’avaient mis que deux cents ans à inventer la cursive. Les scribes n’étaient pas les instituteurs, ils étaient à la tête des domaines et du pouvoir. »
Par les ateliers d’écriture, apprendre à analyser les processus de production, conscientiser en portant un regard sur les traces de pensées que constituent les écrits, leurs détours, leurs abandons, permet de passer des idées intérieures aux pensées explicites, par la confrontation, la mise sur le papier, mais surtout de permettre aux gens de penser que non seulement ils peuvent accéder à l’écriture, mais aussi qu’ils sont pleins de ces pensées possibles qu’ils ont tant de mal à se reconnaitre. « Les ateliers d’écriture déménagent l’histoire, à condition d’user des ruses nécessaires… Brecht le disait déjà, et nous avons appris non seulement à faire des ateliers, mais à y organiser la discussion nécessaire pour comprendre ce qu’on y avait fait, rompre enfin avec cette posture soporifique de certains individus : « Je suis idiot, je ne pense pas, je peux continuer à dormir tranquille ».
Après ces précurseurs, l’Oulipo se met dans les traces de Saussure pour se focaliser sur la forme plutôt que sur le sens, « comme nous le faisions précédemment ». Bientôt, les ateliers d’écriture se professionnalisent : mener un atelier d’écriture devient un métier, sans forcément pour autant dénaturer les pratiques, comme le prouve le récent ouvrage d’Alain André et Mireille Cifali, ou les activités du Cyclope.
Quel avenir ? « Il est possible de décider que le peuple entier puisse écrire, nous devons continuer à appuyer les initiatives novatrices, y compris avec des étudiants de l’université, rassembler les animateurs d’ateliers d’écriture, à la fois sur la déontologie et le partage, pour partager l’idée qu’on peut écrire partout, dans toutes les disciplines, pour apprendre chaque jour un peu plus que nous pouvons penser… » conclut Michel Ducom. « Les enseignants sont des co-acteurs d’un énorme établissement culturel. Il faut oser se le dire, pour regarder les ministres droit dans les yeux.«
« Entre savoir et pouvoir » disait B. Lahire il y a quelques années… « La formule nous dit tout », reprend Jacques Bernardin en clôture. « La trace écrite est toujours davantage utilisées pour contrôler que pour créer, pour recopier que pour inventer », écrivent les rapports successifs de l’inspection générale. « On a donc de quoi faire ».
Pour le président du GFEN, « la preuve est faite et refaite », que les difficultés d’accès au lire-écrire ont à voir avec la spécificité du langage scolaire, par définition étrange, étranger, demandant de se mettre à distance, « que certains supposent « déjà-là » quand il est encore à construire ». L’écrit permet d’arrêter de parler pour comprendre comment fonctionne le langage, de suspendre un instant le faire pour comprendre comment on va classer les objets du monde, progressivement passer des listes sémantiques aux listes grammaticales, cette longue émancipation du sens met des siècles.
« Quand on a fini, on a jamais fini », ose-t-il en faisant un parallèle entre ce qui vient de se passer dans les deux jours de ces rencontres réussies, et ce qui se passe dans la classe ou dans la culture.
« L’Ecole ne doit pas défausser sa responsabilité vers le tissu local et associatif, pour la réussite des « plus en difficultés ». C’est un défi à tenter, même dans une période où l’horizon semble bouché. Mais rien ne se passera pour nous sans que nous nous ne nous en occupions. Avec qui le voudra, nous sommes tournés vers le projet d’Assises Nationales pour l’Education ».
Prochain rendez-vous, Aubagne, début juillet, du 5 au 7 juillet. « Vous pouvez entrer dans le chantier et mettre votre bleu de travail, nous n’en n’aurons que plus d’efficacité. S’il n’y aura pas de lendemain qui chantent, à chacun de mettre sa musique pour échapper à l’indifférence sociale…. »