Par Virginie Mège
« Qui veut recalibrer le tableau ? » demande le professeur à sa classe. La question semble étrange mais ici le tableau n’est pas n’importe lequel : c’est un Tableau Blanc Interactif (ou TBI). Encore expérimentale au collège, son utilisation change les codes de comportement en classe et ouvre des perspectives sur l’avenir. Mais le TBI est-il vraiment un outil révolutionnaire ou seulement un gadget démagogique ? Pour en savoir plus, le Café Pédagogique a rencontré Sophie Roy, professeur de français au collège Clémenceau à Lyon, qui a accepté de nous ouvrir les portes de sa classe équipée d’un TBI.
Attention, expérience TBI-ENT en cours…
Depuis la rentrée 2009, c’est LA grande expérimentation : l’utilisation de manuels scolaires numériques via les Espaces Numériques de Travail (aussi appelés ENT) en collèges. Ainsi, comme l’indique le Ministère de l’Education Nationale sur son site, ils sont plus de 8 000, élèves comme enseignants, répartis sur 342 classes de 6ème dans 69 collèges et 12 académies, à tenter cette expérience. Les professeurs sont volontaires, Sophie Roy est l’une d’entre eux. Très gentiment, elle nous a reçus pour nous faire partager cette expérience.
« Chez nous, au collège Georges Clémenceau, c’est le Conseil Général du Rhône qui est à l’origine du projet et qui fournit le matériel, ayant passé des accords avec les éditeurs. Le Principal a accepté que le collège devienne établissement pilote. L’expérience est donc menée depuis la rentrée en français, mathématiques, histoire-géographie et technologie dans des salles de 6ème équipées spécialement » explique-t-elle.
« Le jour de la rentrée, ce projet a été exposé aux parents, qui ont tous accueilli la nouvelle de façon positive. Les élèves étaient aussi partants, vraiment tous ravis. Quant aux collègues, même si certains ne sont pas encore très à l’aise avec l’outil informatique, ils ont été d’emblée très ouverts à ce projet. Pour ma part, j’étais volontaire. »
Depuis, c’est le défilé, tout le monde veut voir ce fameux TBI en situation. Ainsi les enquêtes et les visites se multiplient, notamment par France 2 pour un reportage ou encore fin mars, par douze inspecteurs, venus en observation. « Les élèves sont très contents de cette médiatisation ! » remarque Sophie Roy.
Des élèves plus attentifs et des cartables moins lourds
Concrètement, quand on entre dans la classe ENT de 6ème, on se croirait dans une classe ordinaire. Des tables et des chaises sont disposées en rang devant un simple tableau blanc de type Velleda. Pourtant, en y regardant bien, on observe la présence d’un petit appareil en forme de boomerang à l’angle gauche du tableau ainsi qu’un vidéoprojecteur accroché au plafond. Sur une petite table, est posé un ordinateur portable, scellé au sol. Sophie Roy allume les installations et glisse le DVD du manuel de français Bordas dans l’ordinateur. Pendant ces préparations techniques qui durent quelques minutes, les élèves observent un silence respectueux et attentif. Puis ils sont nombreux à lever le doigt pour aller « recalibrer » le tableau, c’est-à-dire pour redéfinir les limites du cadre projeté.
Attention et application sont précisément les mots qui viennent à l’esprit quand on regarde ces élèves. Ils ont conscience de leurs gestes, ils respectent le matériel, stylet comme tableau. Ils savent aussi rester tranquilles quand un problème technique surgit. C’est peut-être le premier avantage du TBI. Comme tout objet de technologie, il impose sa loi. Et après l’entrée en classe en silence, la position debout près de sa table en début d’heure, le lancement du TBI paraît participer au « rituel pédagogique », si important pour contrôler les énergies et favoriser les apprentissages.
Durant le cours, l’attention des élèves est aussi plus facile à obtenir. Sans livre ouvert devant eux, ils sont « obligés » de lever les yeux pour regarder le tableau, contraints de suivre le cours, presque malgré eux. Aujourd’hui, Sophie Roy a choisi de leur faire découvrir le mythe d’Icare, d’abord par le tableau de Bruegel l’Ancien La Chute d’Icare, puis par le texte, un extrait adapté des Métamorphoses d’Ovide. Les avantages du TBI sont ici multiples : possibilité d’agrandissement, va et vient favorisé entre le document iconographique et le texte, sélection de passages, tracé de lignes dans le tableau…
Et quand il s’agit de repérer des éléments du texte, tous les élèves sont volontaires pour avoir le privilège d’utiliser le stylet dans son mode surligneur. Cela ne garantit pourtant pas des réponses correctes ! Car comme le constate Sophie Roy, le TBI ne fait évidemment pas tout. « Les élèves n’ont pas forcément mieux enregistré les accords du participe passé cette année mais au moins, ils ont fait plus d’efforts, ont mieux participé. Le TBI n’a en ça rien de révolutionnaire mais il permet de rendre des cours plus vivants et beaucoup plus interactifs ! Les conditions de travail sont donc meilleures pour tout le monde. Les élèves n’ont plus de lourds cartables à porter, les manuels restent à la maison. Et en classe, ils sont plus motivés et plus volontaires dans leur apprentissage. Sur le plan pédagogique comme sur le plan didactique, le TBI est un outil formidable ! ».
L’avenir reste ouvert…
Comme tout outil, le TBI possède en effet ses limites mais il constitue un outil fiable. Outre le fait qu’il puisse y avoir quelques problèmes techniques, dans l’ensemble il fonctionne. « Ca marche ! » confirme Sophie Roy. Et s’il faut supporter le léger bruit qui accompagne l’appareil ou même déplorer le manque de visibilité pour certains au fond de la salle, ces désagréments ne semblent que secondaires, finalement comparables à ceux d’un micro-ordinateur ou d’un rétroprojecteur. En revanche, sur le plan des atouts pédagogiques et didactiques, le TBI est imbattable. Le tableau blanc sur lequel l’image est projetée reste utilisable avec un feutre mais on peut s’en servir comme support d’écran et donc ajouter à des documents des surlignements au stylet.
Surtout, il est possible d’enregistrer le travail effectué. Le TBI permet ainsi d’avoir une « mémoire » de tout le travail effectué en classe et de le rappeler selon les besoins. « En vérité, je n’ai pas encore exploité toutes les possibilités du TBI ! reconnaît Sophie Roy. Je continue à me former sur le tas, à découvrir tout ce qu’on peut faire. Et je pense qu’il y aura encore des évolutions positives. »
Il est vrai que le TBI n’en est qu’à ses balbutiements, en particulier au collège, mais on peut parier qu’il fera bientôt partie du décor banal d’une salle de classe, sitôt que la question financière sera réglée. Bien sûr, tout restera encore à faire en matière d’enseignement, d’éducation et de transmission de connaissances, exactement comme aujourd’hui. Et à ce propos, on peut citer Denis Kambouchner : « le problème n’est pas tant de savoir quelle place l’école doit faire aux nouvelles technologies que de déterminer à partir de quelles structures et relations conservées et perfectionnées entre les maîtres et les élèves l’usage de ces technologies doit se concevoir ». L’avenir reste à inventer…
Pour en savoir plus :
Présentation officielle de l’expérimentation « Manuels numériques via l’ENT »
http://www.educnet.education.fr/contenus/actualites/dispositifs/priorites/manuel-numerique
Site du Collège Clémenceau – Lyon
http://www2.ac-lyon.fr/col69/clemenceau/
Rapport d’expertise de 2005 sur l’utilisation du TBI en école primaire
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/educnet/chrgt/primaire/tbi/Etude_tbi_240206.pdf
Articles divers sur le TBI
http://www.educnet.education.fr/secondaire/usages/TBI
http://leszed.ed-productions.com/tbi-tableau-blanc-interactif/
Propos de Denis Kambouchner
Carte heuristique pour guider la réflexion pré-achat d’un TBI
http://crdp.ac-besancon.fr/index.php?id=349