Par François Jarraud
Quel avenir pour les CPE ? Entre politique répressive et volonté éducatrice, le CPE est un personnage central de l’établissement scolaire. Pour faire le point nous interrogeons Jean-Paul Delahaye, inspecteur général, professeur à Paris Descartes, et directeur d’un remarquable ouvrage qui vient de sortir chez Berger Levrault. Clair, facile à lire « Le CPE de la vie scolaire à la politique éducative » fait le point sur l’évolution du métier de CPE et sur les défis qui s’élèvent.
Votre ouvrage, très riche et en même temps très accessible et clair, montre la gestation du « surgé » d’antant au CPE. Aujourd’hui il semble que le CPE soit une création strictement française. Existe-il dans d’autres pays ? Comment expliquer cette singularité ?
Si cet ouvrage apparaît comme à la fois riche et clair je tiens à dire que c’est parce qu’il a été conçu avec un groupe de personnes connaissant admirablement le sujet : deux CPE, Fabienne Durand et Christophe Barbier ; un chef d’établissement, Nora Machuré ; un IA-IPR établissements et vie scolaire, Jean-Pierre Véran.
Sur la « singularité » française, il convient en effet de s’expliquer. Les missions exercées par les CPE français ne sont pas singulières et elles existent bien entendu dans les autres pays. Cependant elles ne sont pas centrées comme en France sur une seule et même personne, et c’est ce qui est en effet singulier chez nous, mais elles sont réparties sur différents personnels, notamment les enseignants. Cette singularité française qui a conduit à la juxtaposition des fonctions d’enseignement et d’éducation est héritée de l’histoire de l’enseignement secondaire français (notamment le lycée napoléonien) qui a séparé transmission des savoirs et encadrement éducatif en confiant ces deux missions à des personnels différents. On peut le regretter (déjà le rapport Ribot de 1899 pointait le fait que « les professeurs sont trop spécialisés » ou encore que « notre organisation tout entière aboutit à l’émiettement des forces et favorise un individualisme jaloux et farouche »). On peut aussi être plus positif et essayer de dépasser ces clivages. C’est ce que nous préconisons, en faisant en sorte que les personnels cessent de se partager formellement les tâches (au sens de se les répartir) mais travaillent beaucoup plus ensemble.
De multiples fonctions du CPE laquelle vous semble aujourd’hui la plus délicate à exercer ?
La difficulté première du CPE est de trouver une cohérence éducative dans un établissement scolaire. Parce que cette cohérence éducative s’élabore grâce à la participation de chacun des acteurs de l’établissement, il nous semble que l’animation de la politique éducative est le domaine le plus délicat à gérer par le CPE. D’une part parce que ce domaine est souvent limité à l’animation des élections et autres instances citoyennes. D’autre part, cette mission est délaissée parfois car considérée comme secondaire par rapport à la gestion des absences, à la sécurité et à la discipline.
Le CPE est le garant, parmi d’autres, d’une politique éducative d’établissement explicite qui conforte l’autorité des adultes tout en faisant respecter la personne et la parole de l’élève. Il y a là des équilibres toujours délicats à installer dans les établissements et une cohérence de l’action éducative à favoriser. Les CPE, qualifiés en 2006 par l’inspection générale de « médiateurs-éducateurs », ont une place particulière dans l’établissement qui leur permet d’apporter une contribution déterminante à une continuité éducative formatrice pour les élèves qui nous sont confiés. C’est pourquoi les CPE peuvent favoriser un climat favorable aux apprentissages et donc à la réussite des élèves.
Quel bilan faites-vous de la note de vie scolaire, introduite au collège en 2006 ? Notamment a-t-elle facilité la collaboration entre CPE et enseignants ? Car si un bon CPE est un véritable trésor pour un enseignant, par exemple pour un professeur principal, les relations CPE professeurs sont parfois très distanciées. Que peut-on faire pour les rendre plus étroites ?
Il existe en effet des établissements dans lesquels les relations entre CPE et enseignants sont, comme vous dites, « distanciées ». De par leurs fonctions diverses dans le système, les auteurs du livre sont bien placés pour constater que la tendance générale, sous l’impulsion de chefs d’établissement jouant pleinement leur rôle d’animateur, est plutôt à un travail plus collectif, notamment dans les établissements difficiles dans lesquels, par nécessité, les adultes doivent travailler collectivement et en cohérence.
Par exemple, si les CPE sont partie prenante d’un diagnostic d’établissement ils peuvent enrichir, par leurs propositions, le contrat d’objectifs de leur établissement On observe, autre exemple, que la présence des CPE dans les conseils pédagogiques est particulièrement utile et donc appréciée de tous. Ainsi encore, chaque fois que la note de vie scolaire a donné lieu à une réflexion dans les équipes d’établissement et que les personnels en ont fait un levier pour aider les élèves à acquérir les compétences « sociales et civiques », ou encore « l’autonomie et l’initiative », inscrites dans le socle commun de connaissances et de compétences, l’existence de cette note a renforcé la concertation entre les CPE et les enseignants.
Et si, selon votre expression, un bon CPE est un véritable « trésor » pour un enseignant, on peut affirmer que l’inverse est également vrai. D’une certaine façon, un établissement scolaire a la « vie scolaire » qu’il mérite. Le meilleur moyen de renforcer les liens entre CPE et enseignants est que chacun mette ses compétences, au sein de projets communs, au service d’un même objectif : la réussite des élèves.
Les CPE sont toujours inquiets de leur avenir. Il est vrai que leurs missions sont souvent au croisement de grandes questions scolaires. C’est le cas par exemple du socle commun. Dans cette nouvelle perspective, quelle place vont avoir les CPE ?
Les CPE n’ont pas à être inquiets. Cela fait des décennies que l’on parle de la suppression des CPE, et ils sont toujours là, certainement parce qu’ils ont su montrer la plus value qu’ils apportaient. Ils sont devenus des cadres indispensables dans les établissements scolaires. Par leur attitude, leurs analyses, leurs propositions, leur implication dans les projets avec les autres acteurs de l’établissement, ils donnent quotidiennement la preuve concrète de la valeur ajoutée qu’ils apportent à la politique éducative des établissements scolaires. S’agissant du socle commun, il faut bien entendu veiller à ce que les CPE ne soient pas porteurs exclusifs des compétences 6 et 7 du socle, ce qui serait un formidable contresens. Si leur action peut en effet porter sur différents domaines du socle commun, ils peuvent faciliter par leurs initiatives et leurs propositions la prise en compte de ces compétences par tous les personnels de l’établissement.
On peut citer aussi la lutte contre la violence scolaire. Quel pourrait être à l’avenir le rôle du CPE face aux « brigades d’intervention » qu’on nous promet et en général d’une vision répressive plus qu’éducatrice ?
Les personnels de la vie scolaire sont bien évidemment au cœur du dispositif de prévention et de lutte contre les incivilités et la violence. Nous rappelons à cet égard le contenu des huit plans ministériels de lutte contre la violence à l’école mis en place depuis 1990. La succession de ces plans montre à la fois une grande continuité républicaine dans une politique articulant constamment éducation et sanction et, il faut le dire également, même si des progrès ont été accomplis, une insuffisance relative dans les résultats obtenus. Mais ce que l’expérience montre c’est que les établissements qui ont le mieux réussi à maîtriser la violence sont les établissements qui ont pu et su mettre en place un travail collectif au sein des établissements comme avec les partenaires. C’est pourquoi, il va donc de soi que l’action des équipes académiques d’intervention qui vont être créées ne saurait s’envisager autrement qu’en concertation avec les équipes d’établissement, personnels de direction et CPE notamment.
Un autre enjeu de l’école c’est l’orientation. Quel rôle y jouent aujourd’hui les CPE ? Comment pourrait-il évoluer à l’avenir ?
L’orientation ne peut être qu’une démarche continue, cohérente, collective et concertée. C’est là un domaine où l’action des CPE est concrète, effective, mais souvent méconnue, même d’ailleurs dans des documents officiels où les CPE sont parfois oubliés ! Leur capacité à conduire des entretiens individuels avec les élèves, à dialoguer avec les familles, à nouer des liens avec les différents professionnels concernés est précieuse.
Pensez vous que la réforme de la formation des enseignants, telle qu’on la connaît actuellement avec une formation plus universitaire et moins de stages professionnels, va augmenter ou diminuer le rôle des CPE ?
Il est bien tôt pour mesurer les effets d’une réforme encore en devenir. Il faut tenir compte du fait que la formation des enseignants fait référence à dix compétences qui ne sont pas exclusivement disciplinaires, loin s’en faut. Par conséquent, le retour à un strict et stérile partage du travail entre pédagogues et éducateurs n’est sans doute pas à l’ordre du jour.
Les CPE ont-ils un avenir ?
La réponse est clairement oui car nous pensons inenvisageable de concevoir, à court et même à moyen, un enseignement secondaire dans lequel les enseignants prendraient à leur charge l’ensemble des questions éducatives qui se posent dans un établissement. Nous montrons que cela a été tenté, sans lendemain, dans l’euphorie de la Libération en 1945 (voir l’expérimentation vite enterrée du « Conseil intérieur » aujourd’hui totalement oubliée). Mais évidemment le problème est de savoir ce que les établissements feront de la question éducative en général et de la fonction de CPE en particulier.
Le livre essaye de montrer que le temps est sans doute venu où la question éducative est posée avec tellement de force à tous les personnels de l’éducation nationale que les CPE peuvent enfin sortir (voir l’enquête du CEREQ que nous utilisons) d’une assignation professionnelle réductrice (le maintien de l’ordre et de la discipline) à une professionnalité leur permettant d’exercer pleinement leurs missions dans un travail collectif au sein de chaque établissement. Et dans ce collectif de travail, les CPE ont une expertise, une qualification en matière éducative qui est indispensable à tous. Le service qu’ils dirigent est alors le moteur de la politique éducative de l’établissement fortement intégrée à la politique pédagogique. Il y a là, comme le socle commun de connaissances et de compétences le demande, le moyen de combattre les cloisonnements dans les apprentissages sociaux, comportementaux et disciplinaires.
Jean-Paul Delahaye
Entretien : François Jarraud
Dernier ouvrage de JP Delahaye :
Le conseiller principal d’éducation. De la vie scolaire à l apolitique éducative, Paris, Berger Levrault, 2009, 286 pages.
Jean-Paul Delahaye dans le Café :
Sur le collège unique
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