« En décrétant le changement, l’immobilisme s’est mis en marche et je ne sais plus comment l’arrêter« . Cette citation d’Edgar Faure, ministre de l’éducation nationale juste après mai 1968, semble inventée pour coller à la situation de la réforme actuelle des lycées. Je l’emprunte à André Giordan qui, dans un article de Libération, fustige « trente ans de réformes successives, non préparées, non partagées, inachevées ». L’article date de 2005, mais la situation se répète, en tous cas celle d’un ministre englué dans des projets de réformes qui finissent par se retourner contre lui. André Giordan, dans cet article, écrit que « le changement réussi est de l’ordre de l’informel et du complexe. C’est une transformation du regard qu’il s’agit de mettre en place en premier ». La réforme ne réussit que par sa diffusion dans une culture professionnelle commune. Un phénomène qu’il est bien délicat d’accélérer.
Car l’échec de la réforme du lycée rappelle la résistance rencontrée par celle du primaire. La nomination d’un négociateur, la promesse de la réforme pour 2010 ne sont que médiocrement persuasifs sur la capacité gouvernementale à mener la réforme du lycée jusqu’au bout. Le projet est tombé un soir sur le pavé lycéen, une surface politiquement peu rebondissante. La situation semble différente au primaire. Si en apparence la réforme du primaire est passée, elle rencontre en fait une opposition plus ou moins sourde chez de très nombreux professeurs des écoles, ce qui mine son application. L’encadrement ne semble pas toujours convaincu de son bien fondé. On peut s’interroger sur les changements réels dans les classes et même sur l’avenir d’une aide personnalisée glissée à l’heure du repas… Pire une culture de la résistance, en germe sous Robien, a pris une ampleur inégalée et il faudra beaucoup d’habileté pour la réduire.
Ce numéro du Café mensuel témoigne de cette situation. Nous avons demandé à trois spécialistes du système éducatif, François Dubet, André Giordan et Bruno Suchaut, d’émettre un avis sur la crise que travers l’Ecole. Ils s’interrogent sur son immobilisme. Au primaire, l’évaluation fait débat. Le Café a demandé à Xavier Pons, auteur d’une thèse remarquable sur l’histoire de l’évaluation en France, de situer la crise dans sa dimension historique et aussi par rapport à ses enjeux : sans évaluation on perd la possibilité d’une politique éducative, nous dit-il. Que celle-ci soit nécessaire, le dossier sur la ségrégation dans l’Ecole française le démontre. Françoise Lorcerie, Gilbert Longhi démontent les mécanismes de la ségrégation dans une Ecole qui se veut républicaine.
Pourtant une réforme semble se réaliser. C’est celle de la formation des enseignants. Après des réticences de départ, les anciens IUFM ont trouvé les accommodements pour intégrer les universités et négocier les formations. Chaque université va pouvoir élaborer son cycle de formation sous un contrôle lointain de l’Etat. Visiblement la culture professionnelle aura bien du mal à y trouver un place importante puisque l’année de stage a été supprimée. Cet émiettement géographique et la faible part accordée à la culture professionnelle vont accélérer la dissolution d’une culture commune à tous les enseignants du primaire ou du secondaire. C’est cette évolution qui marque l’année 2008. On en mesure encore mal les conséquences pour une éducation nationale.
François Jarraud