Les nouveaux programmes de langues anciennes en lycée sont parus en septembre 2007 et sont progressivement appliqués depuis cette rentrée 2008. Plus encore que dans les B.O. précédents, l’attention du professeur est attirée sur les avantages à utiliser les TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education), et notamment sur certains sites :
« Le professeur pourra trouver des références et des pistes pédagogiques sur le site Educnet Langues anciennes, sur le site Musagora et sur le site Hélios. »
http://www.education.gouv.fr/bo/2007/32/MENE0762030A.htm
Si vous ne connaissez pas encore le site Hélios, le mieux est de le visiter par vous-même. Mais prenez le temps de lire l’interview de l’une de ses fondatrices, Dominique Augé : elle vous en fera connaître le fonctionnement interne et la philosophie qui l’anime.
Le site académique Hélios et l’une de ses fondatrices, Dominique Augé
Hélios est un site alimenté par des collègues de Lettres Classiques de plusieurs académies (Grenoble, Toulouse, Lille…) en collaboration avec l’université de Louvain (Belgique) pour favoriser l’enseignement du latin et du grec, du collège au lycée, dans une pédagogie innovante appuyée sur les TICE.
Vous trouverez sur Hélios des propositions de séquences en latin/ grec/ enseignement conjoint (bilinguisme), mais aussi différents espaces consacrés à des banques d’exercices, à la didactique, à Homère et à des textes d’étude. Le tout bénéficiant d’une validation des instances hiérarchiques. Les travaux présentés sont tous de très grande qualité : les professeurs peuvent se les approprier, et même proposer des approches complémentaires.
Nous remercions chaleureusement Dominique Augé d’avoir pris le temps de répondre à ces questions malgré son emploi du temps très chargé ! L’essentiel est de découvrir, si ce n’est déjà fait, le travail de titan qu’elle a effectué pour Hélios. Outre le rappel des coordonnées du site, nous vous indiquons à la fin de l’interview les liens qui renvoient à certaines des séquences qu’elle a conçues.
C.M. Comment est né le site Hélios ?
D.A. En 2005, grâce aux efforts de Sophie Van Esch, une convention a été signée entre l’académie de Grenoble et l’université de Louvain. L’idée de consacrer un site aux langues anciennes, capable de proposer des ressources pédagogiques utilisables dans une salle de cours devant des élèves, ou par des élèves gérés en autonomie, était née. Deux leçons ont alors été conçues pour donner à voir ce que pouvait être un contenu pédagogique en ligne. Depuis, le site s’est très largement enrichi, diversifié, et les séquences elles-mêmes ont été adaptées de façon à mettre toujours plus l’élève au cœur de ses apprentissages.
C.M. Qu’est-ce qui a motivé un rapprochement entre l’Université belge de Louvain et l’académie de Grenoble ?
D.A. L’université de Louvain met à disposition librement une mine de ressources indispensables à tout professeur de langues anciennes, les textes et leurs traductions, mais aussi des cours, des logiciels pour concevoir des exercices qui peuvent être téléchargés facilement… Il paraissait opportun de se rapprocher d’un tel partenaire ! Plus sérieusement, l’université de Louvain cultive des principes forts : la mutualisation des ressources, le travail collaboratif et un accès à toutes ces données entièrement libre et gratuit pour tous. C’était là l’esprit d’Hélios.
C.M. Le Café « Langues Anciennes » a pour l’instant attiré l’attention sur des sites de particuliers. Comment fonctionne un site académique ?
D.A. Ce site académique a été pensé comme la conjugaison d’efforts particuliers, unis dans la même dynamique. Il ne s’agissait pas d’édifier une architecture verrouillée et alors nécessairement lourde mais d’insuffler un élan fédérateur qui permette à tous ceux désireux de collaborer de prendre part à l’effort. En pratique, les collègues travaillent le plus souvent individuellement, soumettent leurs travaux à l’ensemble de l’équipe, travaux qui sont ensuite validés par Mme Laurent, M. Cherqui et M. Meurant, responsables pédagogiques en France et en Belgique. Chacun gère d’autre part un espace plus spécifique. Véronique MestreGibaud a par exemple en charge l’espace d’enseignement conjoint. L’équipe travaille aussi de façon plus collégiale pour assurer à l’ensemble des productions une cohérence tant pour les contenus que pour les méthodes d’appropriation. Il n’en est pas moins vrai qu’un travail en équipe obéit à des nécessités plus contraignantes qui ne vont pas sans une certaine lourdeur de mise en route. Il est vrai aussi que la validation de l’inspection peut ralentir la spontanéité créatrice ! Il faut trouver un équilibre.
C.M. L’appareil présent pour chaque texte est impressionnant. Est-ce le fruit d’une équipe pluridisciplinaire ou le concepteur d’une séquence assuretil tout le projet ?
D.A. La production d’une séquence est le plus souvent le travail d’un seul concepteur qui réfléchit ainsi aux objectifs qu’il poursuit et aux moyens qu’il met en œuvre pour les atteindre, qu’il s’agisse de fournir des documents pour accompagner les textes ou de fabriquer des exercices pour aider à les traduire. C’est un travail en effet gigantesque !
C.M. Votre site présente une grande souplesse d’utilisation. Disposez-vous d’indices sur la manière dont enseignants et élèves s’en servent ?
D.A. Nous avons toujours eu à cœur de mettre en avant la liberté d’utilisation d’Hélios qui laisse place aux choix pédagogiques de l’enseignant et qui s’adapte aux situations matérielles très différentes d’un établissement à l’autre. Je reçois de plus en plus de courriers des collègues utilisateurs : l’usage est très différent, de l’impression d’une fiche de travail à la pratique quasi complète en salle informatique, du butinage pour une préparation de cours à un renvoi pour un approfondissement à mener chez soi…Les pratiques sont diverses et c’est très bien ainsi !
C.M. Quelles avancées envisagez-vous à l’avenir pour le site ?
D.A. Question difficile … Hélios répond à une demande, et sa fréquentation en témoigne, les collègues qui collaborent participent à une réflexion didactique passionnante, les élèves aiment travailler ainsi. L’avenir d’Hélios paraît donc radieux ; il n’en est pas nécessairement de même pour les langues anciennes…
C.M. L’incertitude qui pèse sur l’avenir les langues anciennes dans l’enseignement secondaire fait-elle éventuellement envisager un enseignement à distance, entièrement virtuel ?
D.A. Non ! Je n’ai jamais pensé qu’un site, quel qu’il soit, pouvait se substituer à l’enseignant dans sa classe. Hélios est un outil, il peut aider à l’apprentissage, à la transmission d’un savoir ; il peut aussi aider à la gestion de l’hétérogénéité des classes, qui risque de grandir encore, en permettant l’organisation du travail en groupes dissociés. Mais ce n’est qu’un outil, qui mal utilisé, fera du mauvais travail…
C.M. La place des TICE est fortement encouragée dans les nouveaux programmes. Pensez-vous que le virage soit bien amorcé dans notre discipline ?
D.A. Je pense que les professeurs de langues anciennes ont pour l’immense majorité d’entre eux compris, depuis un certain temps, que notre enseignement menacé, ne pouvait pas rester sur le bord de la route des nouvelles technologies. Maîtres d’un enseignement optionnel, souvent vu comme suranné, nous devons, c’est essentiel, nous montrer innovants, combatifs… Les collègues que je rencontre en formation l’ont compris et témoignent d’une faculté d’adaptation méritante. Les effectifs dans les sections sont très variables d’un établissement à l’autre ; ils sont souvent éloquents.
C.M. Comment accompagnez-vous les enseignants qui souhaitent partager leur travail sur votre site ?
D.A. Cette aide peut prendre des formes très différentes. Je réponds aux questions de collègues qui s’interrogent sur les pratiques possibles, je mets en ligne les documents envoyés par ceux qui souhaitent partager des documents de travail particuliers, comme le propose par exemple l’Espace Textes d’Etude. Je peux aussi assurer la mise en forme d’une séquence proposée par des collègues, l’expérience a été menée plusieurs fois l’an passé. Lise Biscarat, avec patience et ténacité, à l’intérieur de l’Espace didactique recueille, de son côté, les documents soumis par des collègues pour alimenter une base de fiches utiles à tous. Nous nous efforçons surtout de rassurer et d’aider quand l’aspect plus technique devient trop encombrant. La mutualisation a toujours été l’un des objectifs poursuivis au sein de l’équipe et c’est un vrai atout pour l’enrichissement de notre enseignement.
C.M. Avez-vous l’impression que les enseignants se dirigent vers une mutualisation progressive de leur travail ou l’attitude consommatrice estelle toujours bien présente ?
D.A. Il faut beaucoup de temps et de patience pour aider les collègues à franchir le pas et à passer la porte. C’est une situation qui n’est pas propre à l’enseignement des langues anciennes. Il faut reconnaître que le travail de conception prend beaucoup de temps et peut largement effrayer. Mais les collègues sont de plus en plus nombreux à écrire, à faire part de leur pratique sur le terrain. C’est un moyen efficace de collaborer que de prendre le temps d’écrire pour signaler des erreurs ou suggérer une approche différente. D’autre part, nous avons accueilli pour notre réunion de rentrée plusieurs nouveaux collègues prêts à collaborer de façon plus active. Ce sont là de vrais encouragements qu’il faut savoir apprécier.
C.M. Quel a été votre rôle dans le développement du site ? Comment vous est venue l’idée d’y participer ?
D.A. J’ai commencé par concevoir une séquence, avec l’aide de Sophie Van Esch, sur le modèle qui était celui des premières créations : un texte appareillé, accompagné d’exercices. J’ai ensuite fait une séquence toute seule ! Puis une autre…La proposition qui m’a été faite de participer à l’équipe est arrivée au moment où je réfléchissais beaucoup à la manière de rendre plus actifs mes élèves, de les mettre véritablement au travail ; l’idée du support informatique, et de ce que tout cela entraînait, m’a paru séduisante. Tout s’est alors mis en place naturellement : on ne peut pas en effet réfléchir à une pratique didactique sans chercher à adapter l’outil à l’usage qu’on en fait, ou que l’on voudrait en faire. Mon rôle s’est peut être joué là. J’ai produit beaucoup de travaux qui m’ont amenée à penser des approches différentes et à suggérer des pistes nouvelles : l’ « invention » du module en novembre 2007 (« Héraklès, un héros à toute épreuve »), le choix d’organiser une progression pour travailler la compétence de traduction (« Histoires de sorcières »), ou encore des lectures comparées entre des textes latins et des réécritures en français par exemple (« Les poètes du Carpe diem ») … Mais tout ce travail est très souvent l’aboutissement d’une réflexion murie des échanges, en particulier avec ma collègue Anne Fillon (Académie de Versailles) qui a énormément apporté à Hélios depuis ses débuts. C’est à elle que nous devons des séquences phares comme « Socrate », une grande figure d’Athènes ou celle consacrée à Scipion et à Hannibal (« Tite-Live : la seconde guerre punique »). On peut réfléchir tout seul, mais on avance beaucoup plus vite à plusieurs !
C.M. Disposiez-vous à l’origine d’un bagage informatique important ?
D.A. Aucun ! Mes enfants vous diraient que je tape sur mon clavier avec deux doigts ! On apprend, vite ! Et Jean Schumacher a été dès le début d’une patience exemplaire pour corriger mes bêtises et réparer mes erreurs !
C.M. Vous êtes particulièrement active dans l’ajout de nouvelles séquences sur Hélios. D’où vous viennent vos idées ?
D.A. Mes idées viennent, comme chez la plupart d’entre nous, de mon travail en classe, de mes échanges avec mes élèves, de l’actualité culturelle : j’ai eu l’idée d’un travail autour de Caligula pour mes élèves de terminale qui en première avec moi avaient étudié le Caligula de Camus ; La séquence « Praxitèle, une énigme » est sortie de l’exposition au Louvre de 2007, même chose pour le travail « Achille en colère » avec l’exposition à la BNF… J’ai conçu certains travaux parce qu’ils répondaient à un besoin spécifique : l’appropriation des deux premières déclinaisons grecques (« Autour d’Héraklès ») ; chez moi tout naît toujours avec les élèves, ou pour les élèves !
C.M. Vous devez être extrêmement sollicitée compte tenu de la notoriété croissante du site et de la qualité de votre travail… Comment parvenez-vous à tout gérer ?
D.A. Je gère…de plus en plus difficilement ! Il est très difficile de parvenir à toujours répondre « présente » …
C.M. Conceptrice inlassable de séquences, quelle utilisatrice êtes-vous en revanche du site Hélios?
D.A. Je ne distingue pas l’une de l’autre ; je ne conçois pas un travail sans d’abord imaginer l’exploitation que je vais en faire, ou que j’en ferais si j’avais le niveau concerné… Il ne s’agit pas pour moi d’imaginer une sorte de vitrine exemplaire loin de la réalité d’une classe. Hélios est mon outil de travail et mes élèves sont les premiers à travailler des séquences, bien avant leur mise en ligne ! Mon cahier de textes ressemble beaucoup au portail d’Hélios, à celui d’aujourd’hui ou à celui de demain !
C.M. Quels bénéfices entrevoyez-vous pour vos élèves ?
D.A. Plusieurs : si je n’en voyais pas, j’aurais arrêté depuis longtemps ! Le premier bénéfice est que les élèves sont complètement actifs. Ils traduisent, manipulent les phrases, entrent dans le texte véritablement sans attendre que l’un d’eux ne fasse le travail, comme c’est souvent le cas…Ils parviennent également à comprendre plus facilement où se situent leurs faiblesses et établissent des stratégies de remédiation : certains vont spontanément se tourner vers telle ou telle typologie d’exercices. Le cours de langues anciennes est un cours complètement vivant où je ne suis que celle qui aide, chaque fois que nécessaire, à l’appropriation d’un savoir ou d’une compétence, qui la facilite. Les élèves parce qu’ils sont partie prenante dans leur apprentissage maîtrisent mieux les compétences de traduction ou de commentaire, dominent mieux leurs textes ; on peut alors aller plus loin et augmenter les exigences. Quel plaisir que d’entrer dans une salle où les élèves m’ont précédée et de constater qu’ils sont déjà devant leur écran à travailler leur texte !
C.M. Rencontrez-vous de temps à autre quelques réticences de leur part ?
D.A. Oui parfois et toujours la même : quelques-uns se plaignent de beaucoup trop travailler ainsi ! Ils ne peuvent pas se contenter de venir en cours, de se poser au fond et de discuter avec les camarades d’une autre classe en attendant passivement qu’un élève de la classe finisse par donner la réponse… J’avoue que cette réticence là me plaît assez et m’encourage à continuer !
C.M. Vos rapports avec les élèves ont-ils changé depuis que vous utilisez les TICE (Hélios ou autres supports) ?
D.A. Honnêtement non ! Les relations n’ont pas changé ; leur regard sur les langues anciennes en revanche s’est très certainement modifié. On peut faire du latin et du grec en utilisant des techniques modernes…Le regard de certains collègues s’est aussi modifié : on peut être professeur de Lettres Classiques sans pour autant être complètement dépassée !
C.M Les Langues Anciennes sont parfois associées dans le grand public à des enseignements « poussiéreux » : qu’en pensez-vous ?
D.A. Je pense que ce sont ces a priori qui ont autant mis à mal notre enseignement. Et pourtant jamais peut-être l’antiquité n’a été autant intégrée à notre quotidien. Que l’on pense à Laurent Gaudé, et son dernier roman « La porte des Enfers », aux expositions, aux productions cinématographiques, aux représentations lyriques ou théâtrales, l’Antiquité qu’elle soit grecque ou romaine résonne tout autour de nous. Les élèves aiment apprendre et tirent de leur enseignement des acquis durables. Il est difficile d’entendre encore de tels propos quand on côtoie tous les jours des jeunes de 15 à 18 ans heureux de travailler sur les textes anciens qu’ils lisent et interprètent avec leur jeunesse et leur enthousiasme !
Le site:
« Héraklès, un héros à toute épreuve »
http://helios.fltr.ucl.ac.be/auge/Herakles/
« Histoires de sorcières »
http://helios.fltr.ucl.ac.be/auge/Magie/
« Les poètes du Carpe diem » : en cours de validation
« Caligula, un monstre fabriqué par l’histoire ? »
http://helios.fltr.ucl.ac.be/auge/CALIGULAseconde/default.htm
« La porte des enfers » de Laurent Gaudé (roman cité dans l’interview)
http://www.decitre.fr/livres/LaPortedesEnfers.aspx/9782742777044