Par François Jarraud
L’école doit-elle combattre les extrémismes ? C’est dans le pays où est née la démocratie moderne, le Royaume-Uni, que la question est posée de façon ouverte par la distribution aux enseignants d’un fascicule officiel « Apprendre ensemble à être en sécurité ». Ce petit guide attire l’attention des enseignants sur l’existence des groupes extrémistes, des islamistes radicaux à l’extrème droite, et regorge de conseils pour les repérer et les combattre.
Doit-on transformer les enseignants en policiers ou en indics ? Ce n’est pas l’objectif de ce guide, même s’il conseille de connaître les ressources locales, police incluse et s’il apprend comment empêcher les groupes extrémistes d’utiliser l’école comme base de recrutement et de soutien logistique. Il montre « comment l’éducation peut combattre toutes les formes d’extrémisme et construire une société plus forte et plus sure ». Le minsitre des écoles déclare que le but est « d’armer nos jeunes pour rejeter la cruauté et la violence sous toutes ses formes ».
Pour combattre les extrémismes le guide appelle à construire une école démocratique. Il invite l’école à réfléchir sur les valeurs qu’elle transmet y compris à travers ses actes. Cela passe d’abord par les relations entre l’institution et les élèves. L’école doit combattre le harcèlement entre élèves, réfléchir collectivement aux droits des élèves et les respecter. Ce qui remet souvent en question le fonctionnement interne des établissements et les relations internes entre adultes.
L’école démocratique c’est aussi celle qui inscrit les valeurs démocratiques comme ses objectifs d’enseignement. Il ne s’agit pas seulement d’enseigner les droits de l’homme mais de les promouvoir dans les approches disciplinaires. Concrètement cela passe par une formation des enseignants à enseigner les questions sensibles et la pensée critique. Celle-ci est la clé de la lutte contre les extrêmes. Il faut armer les élèves en les dotant des connaissances et des outils d’analyse nécessaires.
L’étude britannique révèle une évolution très sensible de la pensée gouvernementale sur cette demande sociale. En 2007, le rapport de Sir Keith Ajegbo visait à tisser le sentiment national, à enseigner la « britannitude » (Britishness). Il s’orientait vers un renforcement de l’instruction civique. Ce nouveau guide a une vision plus globale et éducative de la lutte contre l’extrémisme.
La question se pose évidemment également en France. En décembre 2005, un séminaire européen avait rendu publiques les difficultés rencontrées par les professeurs pour enseigner certains sujets et une enquête de l’APHG en avait tracé le contour géographique (les régions de l’est, et particulièrement Aix-Marseille et Strasbourg, sont plus sujettes à des incidents que l’ouest; cinq thèmes posent problème : le fait religieux, la deuxième guerre mondiale, qui provoque des réactions antisémites, le Proche Orient, pour la même raison, les Etats-Unis, qui réveille un antiaméricanisme galopant, et la colonisation).
Mais la question renvoie en France aussi au fonctionnement du système éducatif, en l’occurrence l’un des plus ségrégatif comme l’a bien montré Georges Felouzis pour les collèges du sud-ouest ou l’Ocde dans l’étude des résultats des élèves. « Alors que le score moyen en maths des Français autochtones est de 520, celui des immigrés de première génération est de 448 et celui des immigrés de seconde génération est de 472. Seuls la Belgique, la Suisse et la Suède affichent un écart encore plus fort que la France… De fait, dans bien des pays, les enfants issus de familles immigrées sont désavantagés dès le départ. Ils sont en général affectés à des établissements scolaires moins performants qui ont souvent pour caractéristique d’accueillir des enfants issus des milieux défavorisés et où, dans certains pays, les conditions de vie en classe sont conflictuelles ».
Si elle veut combattre l’extrémisme l’Ecole doit militer pour une société plus démocratique et plus juste. C’est cette vieille exigence émancipatrice des mouvements pédagogiques que ce guide britannique nous rappelle.
« Apprendre ensemble à être en sécurité »
http://www.dcsf.gov.uk/publications/violentextremism/toolkitforschools
Sur le Café, ensiegner les questions sensibles
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/schumaines[…]
Sur le Café, enseigner la Britishness
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2007/01/2601200[…]