Ne se contentant pas des conclusions
générales de la table-ronde de la veille sur la
place des parents à l’Ecole, Françoise Carraud
veut ne pas oublier la diversité des situations familiales
et de l’environnement relationnel des élèves. Les « influences » sont
beaucoup plus multiples qu’on peut le croire a-priori : même
le SDF de la rue d’à-coté ou la
caissière du magasin peut influencer le
développement d’un enfant, parfois en les tiraillant. C’est
pourquoi je travaille sur les « gestes
éducatifs quotidiens », tout ce qui
paraît banal, « naturel », qu’on fait sans y penser, et qui
conditionnent la manière de grandir de l’enfant.
A notre « corps
défendant », que fait-on autour du corps de l’enfant,
de la maternelle au lycée ? Sujet et objet
d’éducation, un « bon élève » est
souvent un « bel enfant ». Georges Vigarello montre comment le « redressement » du
corps à l’Ecole ou la propreté ont toujours
été un objet d’attention et de controverses. Les
préjugés et les stéréotypes
sur la question sont nombreux, entre parents et enseignants, chacun
parlant « au nom de l’enfant ». Les enfants qui sentent l’urine ou le
tabac, les bobos qui coulent, ou à l’inverse ceux qu’on juge
« trop soignés » font partie de l’univers quotidien des
enseignantes de maternelle. Même les vêtements, la
habitudes alimentaires ou les horaires de sommeil sont l’objet de
multiples conflits entre la famille et l’Ecole.
Comment penser ces
différences éducatives ?
En terme de différences
culturelles, ou autrement ? On peut dégager deux points de
vue extrêmes, chez les praticiens comme chez les chercheurs :
soit on explique que les cultures sont « différentes »
(et on cherche dans ce cas à les comparer, à les
critérier, à en respecter les
originalités) ; soit on explique qu’il n’y a pas d’origines,
mais que des mélanges.
Certains ethnologues en arrivent même à parler de
« métissage », et préfèrent le mot
« branchement ». Les premiers cherchent le patrimoine, les autres pensent
que la culture n’est que la conséquence des constructions
sociales, qui se renouvellent en permanence.
Face à ces choix
difficiles, les enseignants qui travaillent avec les
élèves d’origine étrangère
cherchent parfois à connaître les « cultures
d’origine », sans en penser les origines politiques et sociales. On
arrive alors vite à des clichés : les Turcs, les
Tziganes, les « Africains » sont réifiés dans leur
étrangeté. Même les
prégugés positifs deviennent ethniques.
Or, on est jamais
réductible à une seule identité :
qu’on vienne d’Ankara ou d’Anatolie, qu’on appartienne à une
famille qui a ou non un projet de retour, les
caractéristiques des enfants n’ont rien à voir…
Doit-on en conclure que les enseignants
divent adopter un « chacun fait comme il veut » ou un « c’est chouette,
leur façon de vivre, tellement plus… », ou à
l’inverse une sur-normalistation comportementale au nom de la
rationalité scientifique et psychologique ?
Y a-t-il de « bonnes pratiques
éducatives » qui répondraient aux canons d’un
savoir scientifique cohérent ? « Je
ne souhaite pas laisser entendre que toutes les pratiques se
vaudraient. Toutes ont des incidences sur le développement
corporel et cognitif de l’enfant. mais les corélations ne
sont pas directes, ni prédictives… Il y a des modes, des
lubies, des chapelles. C’est très difficile de s’y
retrouver, et les enseignants n’ont pas d’autres choix que de penser
par eux-même »Les gestes quotidiens des familles
répondent tous à une « bonne raison ».
Personne ne fait « n’importe quoi », même si cela nous
paraît dénué de sens, même si
les personnes ne peuvent elles-mêmes l’expliciter. Par leur
variation, leur multiplicité à
l’intérieur de la famille, Il y a toujours eu, à
toutes les époques, des variations sur les
manières de faire. Pline l’Ancien critiquait
déjà l’emmaillotage des
bébés.
Ces gestes sont donc
contradictoires, parfois incohérents entre eux.
Aujourd’hui, les représentations
sur l’Enfant changent : faut-il en faire un adulte en miniature, le
dresser, ou laisser aller sa spontanéité
naturelle ? Selon les époques, les idées
changent. Sociales, culturelles, individuelles, les
identités ne sont faites que de multiples accrocs et tissages. «
Elles ne sont pas réductibles à un seul trait,
sauf à considérer chaque sujet enfermé
dans un « destin« .
L’Ecole républicaine n’a jamais naturalisé
les destins des fils d’ouvriers et des Auvergnats. Mêmes ceux
qui sont noirs et pauvres ne sont pas que cela » explique
l’intervenante avant de conclure par une citation de
François Lapantine : « Ne nous fixons pas sur ce que les
gens étaient autrefois, attachons nous à ce
qu’ils sont en train de devenir. Ne soyons pas abrutis de
racines, de déterminismes et de grégaire ».
La dissonance culturelle nous aide à nous penser
nous-mêmes.
Des
références pour aller plus loin,
citées par Françoise Carraud :
Chantal
Zaouche-Gaudron
Vigarello
Amartya
Sen (Le
propre et le sale, 1985)
François
Laplantine.
Bernard Lahire