Obésité et statut social
Une étude récente de l’Insee fait apparaître une relation très marquée entre l’obésité et le statut social. Les catégories populaires, à faible niveau de diplômes et faibles revenus, sont plus sujettes à l’obésité que les autres ; c’est l’inverse pour les catégories supérieures. Loin de se réduire, l’écart social augmente depuis vingt ans (graph. 1).
Graphique 1. Prévalence de l’obésité selon la PCS (en %)
Source: Insee Première n°1123 – février 2007. L’obésité en France : les écarts entre catégories sociales s’accroissent.
Le même phénomène est observé aux Etats-Unis (tableau 1).
Tableau 1. Prévalence de l’obésité aux Etats-Unis selon le statut social (adultes de 21 à 40 ans)
1981
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2004
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Statut socioéconomique bas (Mère < 12 ans d’études)
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3.4
(n = 1 716)
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32.6
(n = 1 929)
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Statut socioéconomique moyen (Mère = 12 ans d’études)
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3.3
(n = 1 861)
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25.5
(n = 1 997)
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Statut socioéconomique élevé (Mère > 12 ans d’études)
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1.5
(n = 806)
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20.2
(n = 824)
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Ensemble
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3.0
(n = 4 628)
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26.5
(n = 5 022) |
Source : Age, Socioeconomic Status and Obesity Growth, by Charles L. Baum and Christopher J. Ruhm, July 2007. D’après les données du National Longitudinal Survey of Youth.
Il n’en a pas toujours été ainsi, du moins chez les hommes. Dans les sociétés traditionnelles, la circonférence de l’individu tend à épouser celle de son portefeuille. Pourquoi les « riches » sont-ils aujourd’hui plus minces que les « pauvres » ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par distinguer selon le sens de la causalité.
¤ A l’évidence, le statut social influence l’obésité, pour au moins trois raisons:
L’explication par les modes de vie. De tous temps, c’est dans la « classe de loisir » que se concentre l’obésité, qui vaut en quelque sorte « certificat de désoeuvrement”. A l’époque de Veblen, comme aujourd’hui en Afrique, c’était les riches qui avaient du loisir et c’était les riches qui étaient gros. Depuis, la classe de loisir a changé : les « pauvres » ont désormais plus de temps libre que les « riches », ce qui pourrait expliquer pourquoi ces derniers sont aujourd’hui plus minces: ils mènent une vie moins sédentaire, passent moins de temps devant la télé, font plus de sport, etc. Bref, ils dépensent plus d’énergie et ingèrent moins de calories…
Mais tout cela ne nous dit pas pourquoi les « pauvres » se laissent aller davantage que les « riches ». Il y a là, fondamentalement, une question d’incitations.
L’explication par les incitations : le coût social de l’obésité serait aujourd’hui plus élevé pour les cadres que pour les ouvriers. De « certificat de désoeuvrement », l’obésité serait devenue un stigmate disqualifiant dans les milieux bourgeois. Les raisons à l’origine de ce basculement ne sont pas claires, mais elles produisent un effet cumulatif. La stigmatisation attachée à une caractéristique physique est plus disqualifiante dans les milieux où les porteurs du stigmate sont peu nombreux, et partant plus visibles. Pour cette raison, les cadres ont sans doute plus intérêt que les ouvriers à surveiller leur ligne. Ce qui conduit à interroger le sens de la causalité.
¤ Il est clair que l’obésité influence aussi le statut social. On sait, par exemple, que les obèses sont discriminés à l’embauche, comme le montrent bien les testings de l’Observatoire des discriminations. Ce dernier a envoyé des couples de CV quasi identiques en réponse à 100 offres d’emploi de commerciaux et à 100 offres de télévendeurs. Pour chaque offre d’emploi, ont été envoyés les CV de deux candidats, dotés de caractéristiques identiques sauf une : la surcharge pondérale. Résultat : les candidats obèses ont en moyenne 2 fois moins de chances de décrocher un entretien d’embauche – resp. 3 fois moins pour un poste de commercial … et 24 % de moins pour un poste de télévendeur ! (cf. L’obèse : l’incroyable discriminé – septembre 2005)
Dans un autre ordre d’idées, on sait que les femmes fortes font plus souvent des mariages hétérogames descendants que les femmes minces. De même, les études sur les agences de rencontres en ligne montrent une relation négative entre l’Indice de masse corporelle et le succès, en particulier pour les femmes (cf. ici).
¤ Enfin, il peut y avoir une variable cachée. Par exemple, le rôle de l’origine sociale: les parents obèses ont plus souvent des enfants obèses. Les enfants obèses ayant de bonnes chances de le rester à l’âge adulte, il en résulte une forte reproduction sociale de l’obésité. C’est pourquoi la relation observée chez les adultes entre obésité et statut social se retrouve chez les enfants (graph. 2).
Graphique 2.
Source: Etudes et Résultats, mai 2007:
la santé des adolescents scolarisés en classe de troisième en 2003-2004 premiers résultats (pdf)
La structure causale serait alors la suivante :