Par Jean-Marc Kiener
Prof d’histoire-géographie et webmestre du site des « voyages virtuels », Jean-Marc Kiener est bien placé pour nous expliquer comment prendre en main le logiciel Google Earth et l’adapter à une utilisation en classe.
L’usage immédiat que l’on peut faire de Google Earth (sans inscription, abonnement, mot de passe…), la fluidité de son interface, les emboîtements immédiats d’échelle sont quelques-unes des raisons de son succès.
Il en est une autre, encore peu explorée jusqu’à présent : la construction de scénarios pédagogiques.
Google Earth offre la possibilité – ce qu’aucun autre globe virtuel ne permet pour l’instant- d’écrire sur le support, d’y joindre des photos, un tableau de statistiques, une carte, un lien vers une page d’un site ou une vidéo, de construire un calque qui se superpose à l’image du globe, de proposer un questionnement, et tout cela sur un seul et même support.
Tout un corpus documentaire dans la même fenêtre sans être obligé de jongler avec des pop-up, des ascenseurs, des logiciels multiples.
Ainsi, à partir d’une problématique de départ, il est possible de construire un parcours avec une logique pédagogique.
Quelques exemples mis en œuvre jusqu’à présent :
– Découvrir une métropole américaine : San Francisco
– Introduire la mondialisation avec le voyage d’un porte-conteneurs de Shanghaï à Hambourg en passant par Dubaï, Suez, Malte, Marseille, Gibraltar, Rotterdam
– Etudier la puissance des Etats-Unis sur leur territoire et dans le monde à travers 80 items économiques, culturels, politiques.
Comment construire un parcours ?
Étape 1
Avoir réfléchi à un sujet qui se prête à la démarche : les voyages (Ulysse, Marco Polo, explorateurs divers), les études urbaines, les échanges, les paysages, les systèmes agricoles… tout cela peut être visualisé et interrogé à travers l’application logicielle.
Étape 2
Effectuer la recherche documentaire sur le sujet et faire des choix. C’est la partie la plus longue du travail ! Surfer sur les sites institutionnels ou personnels pertinents que le professeur concepteur valide et incorpore à son scénario.
Noter soigneusement les URL des images et des pages sélectionnées.
Étape 3
Dans Google Earth : indiquer des repères de lieux avec des questions.
Se positionner sur le lieu à marquer – Créer un repère – le nommer – Choisir une icône de repère – Ajouter une description, une question, etc – Choisir l’altitude et l’affichage du repère – Enregistrer le repère dans un dossier à nommer lui aussi.
(Penser à enregistrer régulièrement pour éviter tout risque d’effacement si déconnexion intempestive !)
Étape 4
Indiquer des repères de lieux avec des liens et/ou des images qui renvoient aux pages des sites sélectionnés.
Gilles Badufle explique tout cela très bien dans ses tutoriels qui m’ont mis le pied à l’étrier et donné envie de proposer des exercices de visite virtuelle et guidée :
http://www.discip.ac-caen.fr/histgeo/gearth/presentation.htm
Voir en particulier pour cet aspect technique les pages « Repères », « Fichiers » et « Pédagogie »
Dans quelles situations ?
– en pédagogie frontale : le professeur avec un vidéoprojecteur dans sa salle de classe. Il est alors souhaitable, pour une plus grande rapidité de la présentation que le professeur ait chargé, avant le cours, le parcours afin que les images soient stockées dans les fichiers-cache du disque dur.
– dans le cadre d’un travail en autonomie des élèves : un ordinateur par élève ou par groupe de deux en salle multimedia, au CDI, en travail à la maison…
– enfin, une autre démarche, plus ambitieuse et formatrice, peut consister en la création de l’information et du parcours par les élèves eux-mêmes.
Pour les élèves
A la première découverte de GE, les élèves sont impressionnés et l’application logicielle peut être pour eux une première initiation à la lecture d’images satellite et/ou aériennes.
La manipulation de l’interface (boussole, orientation, 3D…) ne leur pose aucun problème, habitués qu’ils sont aux jeux vidéo. Ainsi, ils apprennent vite à utiliser la molette centrale de leur souris pour voyager dans les paysages comme s’ils étaient aux commandes d’un avion ou d’un hélicoptère : longer à basse altitude le canal de Suez et y compter les navires, survoler les Alpes suisses ou la baie de Tokyo et ses terre-pleins industriels…
Faire apparaître, simplement en cochant une case, des bâtiments modélisés en 3 D les mènera rapidement à une compréhension de la notion de CBD.
L’approche est assez ludique et attrayante.
Même s’il est possible d’écrire les consignes et les questions directement dans la fenêtre de visualisation du lieu, il paraît cependant tout à fait nécessaire de dupliquer ce questionnement sur une fiche de travail que l’élève a devant lui en permanence : ce sera la trace-papier, sur le cahier ou dans le classeur, et qui peut lui permettre, en fin d’exercice, de faire une synthèse de son travail.
Autre synthèse possible sous forme d’un croquis de géographie à partir d’un fond de carte.
Quelques manipulations faciles
L’outil « règle » permet de mesurer des distances (largeur du détroit de Gibraltar ou des parcelles des Grandes Plaines américaines…).
L’outil « polygone » autorise à déterminer des formes polygonales diverses : superficie d’un pays, d’un quartier, d’une zone industrialo-portuaire…
Cocher/décocher des cases : on fait ainsi apparaître progressivement ou disparaître des informations. Exemple avec les différents niveaux de dégâts du cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans avec une légende explicative sur le même support.
La superposition d’images permet aussi la comparaison à différentes dates : par exemple étudier la croissance urbaine de Las Vegas à partir de Landsat 1973 et d’images-satellite actuelles (ci-dessous).
Il est aussi possible de présenter les items dans le désordre et de demander aux élèves de retrouver un ordre logique, élaborant ainsi un plan qui permette de classer ces différentes étapes.
Voir sur le site académique de Grenoble la deuxième version du parcours pédagogique sur les éléments de la puissance américaine.
http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/hg/articles.php?lng=fr&pg=435
Aller plus loin avec les élèves
Il est possible et souhaitable de dépasser cette première approche, limitée, et d’amener les élèves à construire eux-mêmes leur propre savoir et à s’approprier l’outil.
L’outil « trajet » rend possible la confection d’un itinéraire : exemple sur un itinéraire de sortie, voyage scolaire avec des repères placés par les élèves eux-mêmes.
Ils peuvent aussi ajouter des photos, des cartes qui se superposent à l’image-satellite en jouant sur la transparence des calques, croiser des informations en activant des surcouches complémentaires (routes, limites administratives…).
Voir les compétences mises en œuvre dans un très beau travail (jeu de rôle) mené avec sa classe de 4ème par Caroline Jouneau-Sion sur l’aménagement d’une boucle ferroviaire à grande vitesse dans le sud du Valenciennois.
http://cjouneau1.free.fr/boucle.html
Le Géoportail devrait permettre, à la rentrée 2007, des choses similaires à l’échelle de la France en ajoutant un support cartographique, cadastral qui apporte un complément d’information.
D’autres parcours de géographie avec Google Earth proposés par des enseignants :
http://www.voyages-virtuels.eu/voyages/Liens/index.html
Utiliser Google Earth en Histoire ?
On peut aussi poursuivre le détournement pédagogique de la plate-forme logicielle prioritairement dédiée à l’étude géographique du globe pour l’orienter vers de l’histoire.
Pas seulement pour un répertoire de sites comme « les 160 lieux de l’histoire de la Rome antique ». Mais avec une scénarisation et un questionnement qui permettent aux élèves un travail autonome et une appropriation des savoirs et des méthodes.
C’est ce que j’ai commencé à pratiquer avec Versailles-Paris 1789 en appliquant la démarche de la visite virtuelle et guidée aux lieux de la Révolution de 1789.
Avec cet exercice, j’ai voulu proposer une autre approche de ce thème.
Une mise en activité des élèves différente de celle de l’étude d’un texte, de l’analyse d’un document-image qui restent les fondements de notre pédagogie.
A travers diverses étapes de difficulté volontairement inégale pour que chacun puisse avancer à son rythme, l’élève trace son itinéraire sur des documents et des sites répertoriés et validés par le professeur (Histoire par l’image, Assemblée Nationale, et quelques articles complémentaires de Wikipédia ou tirés de sites personnels quand il n’a pas été possible de proposer des sites institutionnels.)
Cet exercice n’a pas d’autre ambition que de proposer, pour l’élève, une première approche de l’année 1789 et ne prétend aucunement à l’exhaustivité. Après ou en même temps que cette première approche, le professeur complète avec les documents habituels : révolution municipale, Grande Peur, nuit du 4 août, DDHC…
Google Earth offre aussi l’opportunité de renouveler la démarche de l’histoire locale. Un exemple avec une première monographie urbaine géo-historique très détaillée vient d’être publié. Elle est l’œuvre de P. Picard et collaborateurs qui proposent un très gros dossier de référencement des lieux et des fonctions, des formes urbaines, des équipements de la ville de Limoges au cours de son histoire.
D’autres pistes de travail avec Google Earth en Histoire DNL sont envisageables : la découverte de l’Amérique (en italien), les voyages de Magellan, de Christophe Colomb, le voyage autour du monde de Francis Drake, les conquêtes de Jules César, …(en anglais) à rechercher sur le site de la communauté Google Earth :
http://bbs.keyhole.com/ubb/ubbthreads.php/Cat/0
On pourra aussi utiliser GE comme interface cartographique avec l’Encyclopédie de l’Holocauste pour localiser les sites des camps de concentration et d’extermination nazis.
http://www.ushmm.org/googleearth/encyclopedia.kml
Ou pour une actualité récente : « Crisis in Darfur», qui répertorie 1600 villages touchés par le conflit, une centaine de photos, des dizaines de témoignages. Avec ce fichier .kmz, on peut visualiser les traces de maisons et villages brûlés, localiser les camps de réfugiés, entendre et voir des témoignages vidéo. Des graphiques et des photos animent ces images satellite régulièrement mises à jour.
L’ensemble des données provient de sources multiples : Département d’Etat américain, ONU, ONG, de photographes individuels et de l’United States Holocaust Memorial Museum.
http://www.ushmm.org/googleearth/crisisindarfur.kmz
Ce dispositif est la première réalisation du musée dans le cadre d’une initiative développée pour dénoncer et prévenir les génocides.
Une nouvelle manière de sensibiliser élèves et citoyens.
D’autres utilisations de GE sont possibles en dehors de l’histoire-géographie, ou des SVT.
Ainsi en lettres, en langues, des parcours ont été créés sur des sujets aussi divers que les Voyages d’Ulysse, de Candide, l’Enéide, les Raisins de la colère….
http://www.googlelittrips.com/
A nous tous d’inventer d’autres usages, de proposer d’autres exemples dans une production pour l’instant majoritairement anglo-saxonne !
Jean-Marc Kiener
Lycée Berthollet, Annecy
Lycée Ouvert de Grenoble