|
||||||||
Ce mois-ci, Gardy BERTILI ose faire un plaidoyer pour une école refondée. Le moment charnière que nous vivons actuellement peut être saisi pour engager cette refondation, cette grande réforme dont le système éducatif, dans son ensemble a grandement besoin. Une contribution modeste mais engagée ! Une école à refonder : une belle occasion à ne pas rater ! De quelles maladies souffre donc notre école ? Elles sont multiples, variées, disparates, elles sont liées souvent aux crises que traverse la société, et comme l’école et la société ont tendance à vivre en osmose, en adéquation, comme l’école s’efforce de répondre essentiellement aux attentes, aux besoins, et voire aux humeurs de la société, il est évident que les pathologies et les crises y sont identiques. L’école est donc malade au même titre que la société, or, elle devrait, sans se re-sanctuariser, redonner du sens, aider à penser la société, à vivre avec intelligibilité notre place de citoyen, d’adultes et tout simplement d’HOMME au sein de la société.
I) Qui sont les malades de l’école ? 1.1.) les élèves, les premières victimes 1.1.1) du système éducatif, de ses structures et de son fonctionnement. Les premières victimes de l’école sont au premier chef les élèves eux-mêmes. Victimes de l’inégalités des chances, victimes du communautarisme ambiant, victimes de l’échec scolaire, victimes des incohérence du système éducatif . L’école est organisée pour les mandarins du savoir, ceux qui connaissent, acceptent et maîtrisent les rouages. Comment l’école développe-t-elle trop peu de structures qui prennent en compte la parole, la personne de l’élève ? Comment l’école considère trop peu chaque élève comme un élève qui mérite considération, valorisation ? Comment l’école pense l’orientation des élèves, une orientation davantage pensée en terme de résultats, de chiffres, de remplissage des classes que de désirs, de volonté, de pari, de capacités et de motivation des élèves ? On aurait à gagner à repenser le tourbillon évaluationnite, la suprématie voire le diktat des résultats. 1.1.2) les élèves, victimes des acteurs Les élèves sont victimes des enseignants et des personnels. Pas uniquement de l’humiliation, de la dévalorisation de leur image, de l’anéantissement de leur estime de soi, par le mépris des notes, du regard, par des propos désobligeants voire quelques fois insultants ou injurieux. Quand cesserons-nous de fermer les yeux sur ces brimades inacceptables, condamnables, sanctionnables, quand cessera de l’emporter la solidarité catégorielle sur les valeurs humanistes de base que nous devons aux élèves ? Les élèves sont victimes aussi de la désillusion, du désarroi, des angoisses, de l’égarement des enseignants et des personnels. Le manque ou l’absence de sérénité, de confiance agit directement sur les apprentissages, les conditions des apprentissages, sur la prise en charge, sur la place de l’élève en tant que citoyen, en tant qu’acteur, en tant que personne. Il reste encore, et heureusement, des personnels qui font la part des choses, qui séparent affects et posture professionnelle, qui malgré leurs désillusions s’engagent auprès des élèves et font tout pour leur réussite. Mais l’on sent bien un état de frustration, d’angoisse ambiant, de sinistrose. 1.1.3) Les élèves malades de leurs pairs L’école génère des violences fortes, puissantes, qui déboussolent. Il y a la violence du système, la violence des acteurs mais aussi la violence entre pairs. Combien d’élèves ne souffrent en silence du taxage, de l’intimidation, du racket aux devoirs, sans parler des violences physiques, des tortures morales. Certains se plient aux exigences, aux obligations de leurs pairs pour éviter les représailles, les ennuis, d’autres jouent le jeu parce que la force du groupe, de la bande l’emporte sur la volonté de parler, de dire. Et cette violence va jusqu’à contraindre certains à vendre des produits illicites, à se compromettre dans des actions illégales, à consommer de l’alcool, à faire le gué, à participer aux vols, tournantes. A côté de ce tableau, c’est presqu’anodin, les pressions pour contraindre au séchage de cours, pour faire le clown, pour porter la parole ou l’attitude insolente ou haineuse de toute ou partie de la classe. Et donc comment alors s’étonner du mal-être, de la dégradation de la santé mentale de beaucoup d’élèves qui souffrent, qui peinent, qui vivent de véritables enfers. Pire, faute de pouvoir assurer leur sécurité, faute d’avoir peur pour nous-mêmes des représailles, on ferme les yeux ou encore on s’évertue à entretenir l’élève dans un silence complice ou bienveillant. L’école n’arrive plus à protéger les élèves au sein de ses propres murs, et donc quelle cruelle déconvenue ? Et cette violence subie se retourne contre l’école elle-même. Et l’école contre son gré peut-être engendre des générations qui utilisent la violence comme mode de langage, de fonctionnement, d’exutoire ou de vengeance contre le système. Phénomène inquiétant, le bon élève devient celui qui dérange et le turbulent, l’impénitent devient la norme. Quel cruel renversement de valeurs ? 1.1.4) Les élèves victimes des modes véhiculés au sein de l’école Qu’est-ce qui vaut désormais à l’école ? Le portable, le piercing, Internet (et ses messageries), les marques de toute sorte envahissent nos établissements. Et cette violence n’est plus du tout insidieuse, elle est tout aussi puissante que les autres. Les valeurs sociétales, les modes culturels sont harmonisés et s’imposent à tous. 1.2) les personnels eux aussi sont des victimes Au-delà des faits croustillants dont raffolent les journaux à sensation, qui passent en boucle à la télévision, qui intéressent les masse médias en mal de sensation, au-delà des agressions et des violences graves que subissent certains personnels, et souvent au quotidien dans certains quartiers, dans certains établissements, les personnels subissent aussi la violence institutionnelle et celle des pairs. 1.2.1) La souffrance et le harcèlement De nombreux collègues éprouvent une souffrance incommensurable au travail. Ils sont malheureux. Malheureux du système qui les happe, qui les assaille, qui les déboussole par son instabilité mais surtout malheureux par les conditions de travail, par le fonctionnement et par les structures, par la hiérarchie qui les désavoue, qui les humilie par les une évaluation administrative ou pédagogique décalée par rapport aux réalités qu’ils vivent au sein de la classe ou de l’établissement. A quoi servent-ils, s’interrogent-ils en permanence ? 1.2.2) Les personnels victimes de leurs pairs Si l’on souhaite que l’école devienne un lieu d’apprentissage de la démocratie, du civisme pour les élèves, encore faut-il qu’elle le devienne d’abord pour les adultes. Or, beaucoup d’entre eux sont victimes du groupe de pairs, sévissent la loi du plus fort, la domination des fortes têtes ou des fortes personnalités, la subjugation des beaux parleurs, de ceux qui sont adoubés par la hiérarchie, par ceux qui sont reconnus ou qui se reconnaissent comme excellents, par ceux qui ont réponse à tout, par ceux qui disent tout haut ce que tout le monde pense ou dit tout bas. Il suffit d’assister à un conseil d’administration à un conseil de classe, à une réunion de pré-rentrée pour en avoir la conviction ; il existe au sein des personnels une majorité silencieuse qui ne dit mot mais qui ne consent pas forcément. Alors, face à cette violence des ou entre pairs, quoi faire : fuir, suivre, se taire, s’abstenir, abandonner les élèves, quitter le navire ? Cruels dilemmes ! 1.3) Les personnels bouc émissaires Les personnels souffrent d’être les boucs émissaires d’une école qui est fragilisée, qui faillit dans ses obligations de creuset de la Nation, de la mise en mouvement vers l’égalité des chances, de l’échec scolaire, en fait de tout. A force de demander à l’école de pallier les manques de la société, des autres institutions, à force d’empiler les demandes, les personnels ne savent plus où ils en sont. Ils se sentent accusés de tout ce qui ne marche pas, de tout ce qui ne va pas dans la société, alors que beaucoup donnent le meilleur d’eux-mêmes en tentant d’agir sur les leviers possibles, sur des marges, sur des espaces étroits. 1.4) Réhabiliter chez les personnels la confiance et le sens Lorsque l’on discute avec les différentes catégories, enseignants, CPE, chefs d’établissement, on sent bien la prégnance de l’incertitude. Beaucoup d’entre nous éprouvent des difficultés à mesurer le poids, le sens de nos missions. On ne comprend pas en quoi ce que nous faisons peut changer le dessein de nos élèves, de la société, à quoi servons-nous, quelle cohérence, quelles valeurs, quelle finalités ? Ce flou artistique, orchestré sans doute, crée confusion, doute, perte de confiance et souffrance des différents acteurs de l’école. Y a-t-il encore un pilote qui ordonne, qui fixe les priorités, qui indique les chemins à suivre, les buts à poursuivre ? L’école peut-elle encore fonctionner uniquement sur les affinités, les convictions personnelles, sur les mérites individuels, sur l’abnégation des uns et des autres ? Les postures professionnelles ne doivent-elles pas être clarifiées pour que chacun, chaque catégorie sache dans quel cadre collectif dans lequel s’inscrivent son travail et ses missions, et dans quel sens il lui convient d’agir, et quelle est l’œuvre collective d’éducation qui le porte. L’école ne peut plus osciller entre deux conceptions contradictoires, entre les volontés et les desideratas qui s’affrontent, entre des forces qui se neutralisent, entre des enjeux catégoriels qui se détruisent, entre des velléités de prise de pouvoir mais elle doit s’appuyer sur une définition précise et clairvoyante de ses missions. 1.3) L’école malade du système éducatif L’école traverse des crises latentes, plus insidieuses et profondes. Les crises des savoirs (et pas du savoir), des normes (et non de la norme, pas plus celle des règles), des fonctions (et non pas des métiers ou des professions ou encore des catégories) et du sens caractérisent le tumulte, le désarroi, les incertitudes qui fragilisent l’identité, les missions, les objectifs et les finalités de notre école. L’école est malade parce que l’école n’est plus pensée, imaginée, globalisée, s’y affrontent des forces, des enjeux, des catégories, des intérêts souvent ambivalents et contradictoires. L’intérêt collectif, général ne semble plus prévaloir. L’école s’égare dans des chemins tortueux, l’école vacille, oscille entre des conceptions, des positions, des décisions divergentes, opposées. L’école est malade de l’immobilisme, de la perte des repères, de la fragilité des valeurs universelles qu’elle incarne, de son incapacité de défendre le creuset de l’égalité, d’être le ciment, de l’unité nationale. Cette absence de vision, de globalité rend l’école fragile. Impuissante, elle exalte le retour de la nostalgie, de la tradition. L’école est malade des enjeux et des missions sans cohérence, des directives qui se contredisent, des peurs qui se télescopent, des angoisses voire de la pétrification de ses acteurs et de ses usagers. Il n’y a plus de boussole, plus de direction, on élude les réformes par la fuite en avant. L’école n’est plus modélisée, conceptualisée, on a le sentiment que l’école est un bateau ivre qui ne coule pas encore parce que chacun dans son positionnement professionnel, dans son immense générosité, essaie malgré les tempêtes, engage toutes ses forces pour rééquilibrer et lutter contre les infortunes des éléments. 1.4) L’école malade d’une grande et haute vision politique Les pathologies qui l’assaillent lui viennent à la fois de l’extérieur et de son fonctionnement intime, de l’intérieur. Elles témoignent sans aucun doute de son incapacité à osciller entre deux conceptions des jeunes et du monde, entre deux desseins parfaitement inconciliables ou du moins opposés. Comment, en effet, concilier la nostalgie d’une école traditionnelle où le savoir, l’autorité, la méritocratie allaient de soi et une école des temps modernes traversée par des tumultes sociaux, des incertitudes, par la complexité des enjeux qui la dépassent, par la diversité et l’hétérogénéité des publics scolaires, par la confrontation en son sein de deux générations d’enseignants et de parents, par la nécessité de l’égalité des chances sans pour autant négliger l’élitisme, la concurrence, le mérite. Il n’est donc pas aisé pour l’école de procéder à sa propre révolution, et quand bien même elle serait possible, il n’existe pas encore d’accord sur la teneur, le produit, les enjeux, voire même sur la nature et les finalités de cette révolution à engranger. L’école face à ces tumultes, aux incertitudes, face à l’oscillement entre la nécessité de revenir à la sanctuarisation et l’ouverture, face aux enjeux qui la dominent et qui lui dictent ses valeurs, ne sait plus sur quels fondements elle se repose, quelles valeurs prônées, quelle éthique promouvoir. Ses missions sont sans cesse croissantes, diverses, elle éduque à tout, elle forme à tout, notamment pour répondre aux attentes socio économiques, elle prépare le citoyen, elle constitue le creuset d’une Nation en proie aux crises et aux doutes. Mais ses missions sont disparates et ne s’inscrivent pas dans une politique éducative pédagogique globale, l’école tâtonne, son identité est floue, elle est le rempart, le dernier paraît-il, mais le rempart contre quoi, contre quelles menaces et quels moyens efficaces dispose-t-elle réellement pour assumer ce rôle. On lui affuble le titre de dernière institution où l’autorité, la formation du citoyen, l’apprentissage de la démocratie, où certaines valeurs doivent prendre sens telles que la liberté, l’égalité, la solidarité, l’écoute, le respect de l’altérité, on l’encense pour la décrier aussitôt, on admire l’abnégation des enseignants pour aussi tôt les accuser d’être à l’origine des maux de la société, on affirme croire en sa capacité d’éduquer mais la relation éducative n’est pas primordiale, absorbée entre autres par des antagonismes, par la primauté de la pédagogie », disons par la didactique ou l’enseignement. Quelle pédagogie peut nier la force de la relation éducative, pédagogie et éducation ne sont en rien antinomiques. 2) Pourtant les réformes, il n’y en jamais eu autant …et alors 2.1) La « réformite » tue la réforme Or, peut-on dire avec sincérité que l’école ne s’est pas réformée ? Si, il y a eu des changements successifs, chaque ministre, chaque secrétaire d’état y est allé de sa loi, de ses circulaires, de son empreinte mais l’école n’a pas connu de grandes réformes, pensées, globalisées, prenant en charge l’ensemble du système, de la maternelle au supérieur voire la formation tout au long de la vie. On a juxtaposé des réformettes, et l’on peut même dire que l’école a le sens de la réformite aiguë. Les programmes sont constamment en bouleversés, tantôt amplifiés tantôt raccourcis, les plans de violences se succèdent sans jamais les évaluer réellement, l’éducation prioritaire fait l’objet de nombreuses circulaires sans repenser globalement la place de ces zones et des établissement dans la politique de la ville, des territoires et de la famille, on assène avec fracas la place des parents à l’école mais l’on passe de l’inexistence des associations de parents à la co-gestion. Quant à la démocratie scolaire, on a multiplié les instances, on a amplifié les responsabilités des encadrants notamment des chefs d’établissement sans penser le lien entre elles, sans penser la place des rites initiatiques qui pourraient marquer le moment de la majorité. Quelle société voulons-nous et quelle école peut-elle la promouvoir, ou du moins quelle école voulons-nous pour promouvoir quel type de société ?
II) Dépasser les clivages politiciens L’école ne peut plus être l’objet ou l’otage des idéologies politiciennes, parce qu’elle appartient à la Nation, parce qu’elle est porteuse de valeurs universelles, parce qu’elle est le lieu des symboles, parce que chaque élève doit espérer « se » réussir personnellement et professionnellement par et grâce à elle, l’école doit être placée au-dessus d’elles. Certes, l’école est foncièrement politique au sens où elle permet de construire et de changer la société, de construire un type d’homme, de mettre e œuvre des valeurs. Certes, l’école est politique parce qu’elle s’engage dans une forme de résistance aux « valeurs-modes » qui détruisent la solidarité, l’égalité, qui tentent de désagréger la Nation et dissoudre la République, mais elle doit dépasser les clivages et cesser d’être l’otage et la proie des groupements d’idéologie politique, philosophique ou autres. Elle doit être au service de la Nation, de la République et de ses valeurs et non a u profit d’une idéologie aussi séduisante qu’elle puisse se révéler. Est-ce illusoire de rêver à une école, objet de consensus politique autour de grands enjeux, de grandes missions, de quelques grandes finalités, et tout cela de manière claire, précise, clairvoyante, associant le peuple, la Nation et notamment les acteurs de terrain. Et le moment doit venir où l’école doit se réformer, invitant nos représentants législateurs à assumer pleinement leurs responsabilités sans arrogance, l’école ne peut être laissée en friche, les valeurs au bon vouloir des communautés, la réussite scolaire aux mains d’une élite bien née.
III) Conclusion provisoire… ! Ne perdons pas une si belle occasion de mettre l’école, et donc l’éducation, au cœur des enjeux de notre société et de notre humanité. Encore faut-il décloisonner, « désidéologiser », dépasser les clivages pour accepter le choc des crises et des réformes profondes mais aussi le choc de la réflexion et de la mise en commun. Osons espérer, osons rêver, osons engager les réformes nécessaires pour sauver l’école.
Gardy BERTILI |
||||||||
|