Dans la plupart des cours d’école ou les salles des maîtres, les conversations se ressemblent. Pas un candidat-e qui fasse consensus : il fait peur, elle agace, il ne sert à rien, elle ne sera jamais élue, il joue la division, elle refuse de prendre ses responsabilités, il n’est pas crédible avec son passé… Et bien souvent, des mauvaises pensées surgissent : que peut-on attendre de concret, qui diminue la difficulté du quotidien du métier : les petits de maternelle qui ne parlent pas à quatre ans, les CE qu’on voudrait mieux faire entrer dans l’écrit, les collégiens qu’on a de plus en plus de mal à tenir, les lycéens dont on se demande ce qu’ils vont devenir…
Les enseignants ne sont peut-être pas si différents des autres électeurs : toi qui es dans le poste de télé, qu’as-tu à me promettre, pour moi, pour mon quotidien, mon avenir, mes enfants, ma retraite ? Et après tout, n’est-ce pas le jeu ordinaire de la démocratie : celui – celle – qui est élu(e) est celui – celle – qui a su suffisamment promettre, ressembler, faire croire tout en restant crédible, faire désirer au risque de décevoir, d’accumuler les rancoeurs, les populismes, les replis ? Après 2002, le « sursaut démocratique » qu’on s’était promis dans les manifs est resté lettre morte : les associations qui entendaient « faire de la politique autrement » ont été rattrapées par la trivialité de la vie, les syndicats n’ont pas été débordés par un afflux d’adhérents, et l’alternative anti-libérale destinée à crédibiliser une « autre gauche » n’a pas su trouver le remède à ses maux.
Du coup, pas facile de penser un choix, entre ses convictions et son réel, entre ses valeurs et ses humeurs. « Il y a un vrai risque que les classes moyennes ferment la porte derrière eux et acceptent de laisser dehors les 20% qui coûtent déjà si cher à la société », expliquait récemment Philippe Meirieu aux Assises du CRAP (http://cafepedagogique.net/dossiers/crap/) En effet, ce sont essentiellement aujourd’hui ces élèves qui empêchent le système de tourner sans grincer. Faut-il rompre avec le compromis historique accepté depuis plusieurs générations, entre classes moyennes et classes populaires, dans le but de permettre le fonctionnement de l’ascenseur social ? Peu importe de savoir si le niveau global monte, comme cela a été largement montré (http://cafepedagogique.net/disci/tribune/archives/68.php), au-delà des performances en orthographe. Si le métier devient invivable, qu’il implique trop de souffrances, trop de question, c’est qu’il faut changer. Dans ce contexte, les positions populistes sont de plus en plus audibles : restaurer l’ordre à l’Ecole, lessiver Mai 68, remettre au centre le mérite, l’effort…
L’effort, le long terme, l’engagement, la patience… Quel enseignant oserait énoncer qu’il soit possible d’apprendre sans persévérer, sans bûcher, sans s’engager ? Qui oserait vanter le savoir minimum, le bâclé ? Même dans les mouvements pédagogiques, on sait bien que l’école est là pour que l’enfant puisse « sortir de soi-même ». (http://www.gfen.asso.fr/documentligne/liensocial.htm)
Mais comment penser ce temps long dans une société de plus en plus vouée à l’immédiat, au « chacun son avis », « chacun pour soi », à l’inverse des valeurs de patience de l’Ecole ?
L’Education, grande absente de la campagne ?
Au sortir de l’horreur de la guerre, l’ambition du Plan Langevin-Wallon avait donné à la Gauche un grand dessein : rompre avec l’Ecole à deux vitesses (une pour le peuple, une pour les classes favorisées) (http://institut.fsu.fr/kiosque/textes_publies/projet_langevin_wallon.htm). On y parlait de cycles, d’accueil précoce, de méthodes actives, de revalorisation du « travail manuel », de formation des maîtres, du rôle des inspecteurs, de rythmes scolaires, d’éducation populaire… Si certaines de ses phrases font aujourd’hui sourire, il reste cependant le dernier plan d’ensemble destiné à penser un enseignement ambitieux pour tous les élèves.
Rien de ressemblant dans les propositions des candidats d’aujourd’hui. Si l’Ecole est citée, c’est la plupart du temps pour présenter des mesures de rafistolage, de remédiation comme on dit aujourd’hui : obliger les enseignants et les élèves à rester au maximum dans l’Ecole, puisqu’en dehors la société n’est pas organisée pour s’en occuper, signaler les déviants, punir les dérivants, une blouse grise pour tout le monde, lire, écrire, compter…
Quand la société file à toute allure sur un tuyau d’Internet ouvert à tout va, elle tente de se rassurer en imaginant que la marmaille puisse s’en sortir en restant enfermée dans un caisson étanche.
Un vaisseau ingouvernable ?
Dans un tel maelström, la machine « Education Nationale » est-elle condamnée à l’explosion ? Certains l’attendent, le désirent, l’annoncent. D’autres le craignent, au risque de s’inscrire dans la seule « résistance ». Ils savent, pourtant, que la démocratisation est en panne. Ce sont les chercheurs issus de leur propre famille de pensée qui l’ont démontré (voir par exemple http://escol.univ-paris8.fr/article.php3?id_article=53 ) Ils savent qu’il ne s’agit pas seulement de moyens ou de circulaires, même si les dernières années, le déluge de mépris ministériel et les restrictions budgétaires ont contribué à démobiliser les acteurs. Ils savent qu’il faut agir sur les pratiques d’enseignement sans dévaloriser les efforts quotidiens de centaines de milliers d’enseignants, souvent seuls eu front pour faire tenir la machine. Ils savent qu’il faut imaginer des marges de manœuvres locales qui ne fassent pas voler en éclat l’égalité nationale. Ils savent qu’il faut laisser la place nécessaire aux collectivités locales tout en garantissant le service public. Ils savent qu’il faut d’être ambitieux sur les savoirs et les apprentissages pour tous, tout en respectant la globalité de l’élève. Ils savent qu’il faut faire une place qui donne confiance aux parents, sans tomber dans le consumérisme Ils savent qu’il faut des pilotes efficaces et mobilisateurs, mais qu’une dérive concurrentielle s’oppose y compris aux intérêts des élèves les plus fragiles Ils savent qu’il faut en finir avec les ghettos, mais qu’une simple explosion de la carte scolaire empirerait le mal au dépens des plus pauvres.
Loin de nous de céder à la mode ambiante, de nous cantonner au rôle du consommateur-électeur faisant son marché au plus offrant, renvoyant dos à dos les candidats, les politiques, les valeurs. Mais une seule question qui vaille, parce que nous prétendons à un peu de lucidité : quel politique osera énoncer un projet qui regarde au-delà du court terme, en proposant au pays des lignes de forces qui préparent non pas des lendemains qui chantent, mais une politique éducative authentiquement durable ? Préparer l’avenir à l’horizon de vingt ans, qui osera affronter le défi ?
Sur le Café, à lire aussi : Colloque sur les politiques locales d’éducation à Poitiers http://cafepedagogique.net/dossiers/esen/esen3.php
La politique éducative, une affaire de terrain (Rennes, Ligue de l’Enseignement) http://cafepedagogique.net/dossiers/contribs/rennes.php
La politique de la ville au crible est acteurs, à Saumur : http://cafepedagogique.net/dossiers/saumur04/index.php
Un point de vue : celui des communes http://cafepedagogique.net/dossiers/andev06/
L’autorité peut-elle remplacer la politique éducative ? Le point de vue de Gérard Longhi http://cafepedagogique.net/disci/article/42.php
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