– MATERNELLE : » Changeons tout ! «
Christine Colomer
Stéphanie Leschiera, institutrice en petite et moyenne section nous ouvre sa classe et son cheminement pédagogique. C’est rare. Il passe par une formation initiale monolithique, son questionnement professionnel, le respect de l’enfant, internet, et un travail d’équipe. Avec l’enseignante complétant son mi-temps, Cathie LORTZ, elles ont décidé de changer profondément l’organisation de leur classe.
– CC : Quelle était votre précédente organisation ?
– SL : Les 28 enfants de la classe étaient répartis en quatre groupes de couleur. Nous prévoyions 4 ateliers par semaine. Les groupes « tournaient » donc sur les ateliers pendant la semaine selon un ordre défini par les enseignantes. Les ateliers avaient lieu de 9h30 à 10h00 environ (milieu de la matinée)et à ce moment-là tous les enfants participaient à un atelier selon le groupe auquel ils appartenaient. L’accueil du matin durait environ une demi-heure, les enfants avaient alors accès librement aux différents coins jeux de la classe, coins qui n’étaient ensuite plus ouverts
pendant les ateliers.
– CC : Quelle était l’origine de ce choix didactique ?
– SL : C’est une organisation plutôt courante en maternelle. Durant les stages que j’ai pu effectuer lors de ma formation initiale et dans les écoles dans lesquelles j’ai travaillé par la suite, c’est cette organisation que j’ai vu fonctionner. C’est donc celle-là que j’ai mis tout naturellement en place. Jusqu’à présent je m’en contentais car elle est simple à organiser et fonctionnait assez bien dans mes précédentes classes.
– CC : Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir changer vos pratiques de classe ?
– SL : Je pense que c’est un cheminement assez long qui a abouti cette année car tous les facteurs étaient réunis pour que ce changement ait lieu. Je m’explique. Internet et notamment la liste de diffusion Listecol (du site cartables.net) m’ont permis de connaître d’autres organisations pédagogiques, d’autres pédagogies que celles que je pratiquais. J’ai lu beaucoup de choses, navigué sur des tas de sites (PMEV, ICEM, Matern’ailes) et petit à petit l’idée d’une autre organisation s’est construite. Depuis la rentrée 2002, je travaille avec Cathie et notre mi-temps est une véritable collaboration. Nous préparons la classe ensemble, avons les mêmes projets et surtout la même idée de notre rôle d’adulte et d’enseignante auprès des enfants . Sans cette coopération entre les deux enseignantes de la classe, aucun changement n’aurait pu avoir lieu. Et enfin l’élément déclencheur du changement a été notre groupe-classe. Cette année les enfants ont « fait de la résistance ». Par exemple, en janvier, la moitié de la classe ne savait toujours pas à quel groupe elle appartenait. A certains, lorsque je leur demandais, « tu es dans le groupe de quelle couleur ? » ils regardaient leur pull et me répondaient avec assurance, sûrs d’avoir raison « gris »… Oui. Leur pull était effectivement gris !!! Bref, ce système ne leur convenait absolument pas et il était devenu du coup très lourd à gérer. Nous en avons beaucoup parlé avec Cathie et avons fini par nous dire : « changeons tout ! » (ou presque !)
– CC : Quel fonctionnement avez vous décidé de mettre en place ?
– SL : Dans notre école, l’accueil des enfants le matin est échelonné sur une durée de 30 minutes (8h20 à 8h50). Les ateliers sont maintenant mis en place dès l’arrivée des premiers enfants et restent ouverts pendant environ une heure.Pour une semaine (4 jours) nous prévoyons une rotation sur 3 ateliers (2 avec un adulte, 1 en autonomie), les enfants ayant dans le même temps accès aux différents coins jeux et construction de la classe.Les enfants ont pour contrat de passer dans les trois ateliers dans la semaine (ce qui leur laisse une marge de liberté : ils choisissent le moment dans la plage horaire où ils s’installent à l’atelier, ils choisissent aussi le jour… ils peuvent s’ils en ont envie « ne rien faire » les deux premiers jours, puis passer dans les trois ateliers les deux jours suivants.) Ils peuvent aussi venir deux fois dans le même atelier s’ils le désirent. Lorsque les enfants ont fini leur travail dans un atelier ils le notent dans un tableau. Trois feuilles A3 sont punaisées sur un panneau de liège que nous posons sur une des tables s’ il y en a une de disponible ou sur le chevalet s’il n’est pas pris pour les ateliers en cours. A la fin des ateliers je le pose dans le coin regroupement pour vérifier avec les enfants s’ils ont bien « signé » sur la feuille de l’atelier et pour faire les différentes remarques. Il est ensuite exposé à la vue de tous sur un rebord de fenêtre jusqu’au lendemain. Sur chaque feuille d’atelier, il y a en haut de la feuille, le nom de l’atelier et la consigne, ainsi qu’un dessin ou un collage qui rappelle l’atelier et qui permet aux enfants de se repérer. Dans la deuxième partie de la feuille, la liste des enfants de la classe avec leur photo. Pour « signer » les enfants colorient la case avec leur prénom. S’ils passent deux fois dans l’atelier ils rajoutent une croix… Après les ateliers, un temps est consacré à la présentation des travaux. Les enfants ayant mené à terme un projet peuvent alors le montrer au groupe-classe, expliquer ce qu’ils ont fait, répondre aux autres. Cela va de la fusée laser en légo au dessin de galettes découpées puis collées sur une feuille de couleur… activités réalisées en autonomie par les enfants, selon leur volonté et leur envie du moment. Ce moment de présentation, en dehors de son intérêt dans le domaine langagier (décrire sa démarche, poser des questions, y répondre) permet de relancer l’intérêt de certains coins. Le lendemain de la présentation de la fusée-laser il y a de grandes chances qu’un véritable escadron apparaisse dans la classe !!
– CC : Quelles étapes avez vous suivies pour introduire progressivement ces changements ?
– SL : Nous sommes allées assez vite, car nous avions très envie de voir le système tourner. Au retour des vacances d’hiver,la première semaine nous avons installé avec les enfants, les colliers dans les coins, afin de « limiter » le nombre de participants. Pour accéder à un coin, les enfants doivent porter le collier correspondant à ce coin. S’il n’y a plus de collier disponible, ils doivent se résoudre à aller jouer ailleurs. Les enfants ont très vite compris le système et rares sont ceux qui oublient. Ils sont d’ailleurs vite rappelés à l’ordre par les autres, qui veillent au grain ! La deuxième semaine, voyant que le système de colliers tournait à peu près, nous avons donc lancé les ateliers à l’accueil. Nous avions prévu des ateliers assez simples afin de rester disponibles pour expliquer le fonctionnement aux enfants. Notre ATSEM étant absente à cette période, nous étions très sollicitées par les enfants (il fallait surtout surveiller les tableaux, pour qu’ils « signent » la bonne feuille d’atelier, sur le bon prénom) mais étant donné le changement apporté, ça s’est vraiment bien passé.
– CC : Quelles difficultés avez vous rencontrées ?
– SL : A 28 enfants lorsqu’ils sont tous là, la fin de l’heure consacrée aux ateliers est assez bruyante… Pourtant chacun est occupé et joue sans faire le bazar mais malgré tout, tous les « petits bruits » inévitables des coins (la colonne de légo qui s’écroule, le tracteur qui démarre au coin voiture et les bavardages raisonnables) accumulés créent un bruit de fond qui, selon les jours est plus ou moins supportable.La gestion matérielle des premières semaines a été assez difficile car nous étions seules dans la classe (ATSEM absente) et il fallait surveiller les tableaux de près… il y a eu quelques erreurs et certains enfants en difficulté ont eu du mal à comprendre le système de « signature » après le passage aux ateliers. Les premières semaines, les enfants ravis de leur nouvelle liberté se sont rués vers les coins-jeux et le travail « libre » (celui qu’on n’est pas « obligé » de faire). Travaillant en fin de semaine (et donc en fin de cycle des ateliers) je passais beaucoup de temps à aller les chercher dans les coins pour qu’ils viennent regarder les tableaux et constater qu’il leur restait encore un, deux voire même trois ateliers à faire. La fin de semaine était du coup assez chargée. Le rangement des coins nous a aussi posé problème au départ. Etant donné que les enfants se succèdent dans les coins (durant une heure, les enfants tournent sur un ou deux ateliers et plusieurs coins-jeux pour certains) ceux-ci ne se sentaient plus vraiment responsables du rangement d’un coin qu’ils avaient quitté dix minutes plus tôt, et c’était vraiment le bazar. Nous avons maintenant pris l’habitude au moment du signal du rangement de faire le tour des coins rapidement et de désigner les enfants responsables de chaque coin. De temps en temps, lorsque notre ATSEM est présente dans la classe à ce moment-là, je m’installe dans l’un des coins pour guider le rangement et c’est plutôt efficace.
– CC : Quelles ont été les réactions des enfants ?
– SL : Dans l’ensemble ils se sont très vite faits au nouveau système. Quelques enfants en grande difficulté ont encore un peu de mal avec l’utilisation des tableaux d’ateliers mais il n’y a maintenant quasiment plus d’erreur ni d’oubli. Les premières semaines, comme je l’ai déjà dit, ils ont un peu fui les ateliers pour aller jouer. C’était un peu désemparant pour nous, adultes, qui passions du temps à réfléchir à nos ateliers pour que les enfants aient envie d’y participer, qu’ils aient du sens pour eux mais l’envie de jouer était trop grande (pour certains c’était dessiner, d’autres découper , ça ne s’est pas réduit aux coins-jeux). C’est comme s’ils redécouvraient la classe et les possibilités qu’elle offrait alors que nous n’avions quasimment rien changé à son aménagement. La seule chose qui avait changé c’était qu’ils avaient le temps de jouer, d’aller au bout de leurs scénarios, de leurs projets d’enfants. Après 7 semaines de fonctionnement, l’attitude des enfants commence à évoluer : certains viennent maintenant directement aux ateliers en sachant très bien ce qu’ils veulent faire, d’autres reviennent plusieurs fois au même atelier. Les enfants commencent à prendre leurs apprentissages en main… et c’est maintenant que nous regrettons de n’avoir pas mis en place cette organisation plus tôt car la fin de l’année est proche et le groupe d’irréductibles du coin-cuisine n’aura sans doute pas le temps de rentrer dans cette phase du processus.
– CC : Quel bilan pouvez vous en tirer au bout de 3 mois d’expérimentation ?
– SL : Pour rien au monde nous ne reviendrions à l’organisation précédente. L’une comme l’autre nous nous sentons beaucoup mieux dans notre « nouvelle » classe. Nous avons le sentiment d’évoluer dans une organisation plus respectueuse des enfants, de leurs envies, de leurs besoins. Ce système nous permet un travail plus individualisé avec chaque enfant (on ne s’adresse plus au groupe rouge mais à tel enfant qui vient de s’asseoir à l’atelier découpage et à qui nous expliquons en quoi consiste le travail qu’il a à faire). Il nous reste encore beaucoup de choses à affiner (différenciation du travail dans chaque atelier par exemple) et nous tâtonnons encore beaucoup. Rien n’est figé ce qui rend les choses passionnantes !
Le site de Stéphanie Leschiera
http://lamaternelledestef.free.fr/
La liste de diffusion de Cartables.net Listecolfr
http://www.cartables.net/listes/
La PMEV
http://www.offratel.nc/magui/
L’ICEM
http://www.icem-freinet.info/
La liste de diffusion Freinet-Maternelle ( récemment ouverte )
http://listes.educnet.education.fr/wws/info/freinet-maternelle
Matern’ailes
http://maternailes.net