François Jarraud
François Jarraud
« Si nous n’apprenons pas en groupe, nous n’apprendrons rien ». Voilà résumée par un des conférenciers la justification de l’entrée du web 2 dans l’Ecole. Car l’enquête du Café le prouve : il est en train de passer des usages personnels aux usages en classe. Une révolution pour une Ecole qui interdit encore smartphones, facebook, blogs et twitter dans les salles de classe. C’est devant une salle comble que s’est déroulée à Educatice, mercredi 24 novembre, la conférence sur les réseaux sociaux dans l’éducation, animée par le Café pédagogique. Participaient la sociologue Barbara Fontar, Laurence Juin, enseignante, Jean-Pierre Meyniac, enseignant également et Idriss Aberkane, cogniticien.
Pour commencer, la sociologue Barbara Fontar nous a présenté quelques-uns des résultats d’une enquête sur les appréciations que portent jeunes et parents sur l’utilisation d’Internet. Rn tant que parents les adultes expriment plutôt une certaine angoisse ; Internet leur paraît un lieu dangereux, notamment celui des mauvaises rencontres et de la pornographie. Ils craignent aussi que les jeunes ne soient scotchés à l’écran, impression démentie par les déclarations (en fait seulement 3% d’entre eux, des garçons urbains, utilisent fréquemment plusieurs heures). La fréquence d’utilisation augmente cependant avec l’âge, la TV étant reléguée au 2nd plan dès le lycée. Les jeunes sont-ils trop livrés à eux-mêmes sur Internet ? Les lycéens recherchent effectivement l’isolement mais les plus jeunes acceptent fort bien d’être accompagnés et d’utiliser Internet dans un lieu relativement public, même chez eux. Ils ne sont pas du tout réfractaires à des problématiques de prévention et ont souvent, dès le lycée, une attitude assez critique par rapport à ce que l’on peut trouver sur Internet. Leur navigation est d’ailleurs assez bien balisée, ils savent vers quels sites ils veulent aller. Même s’ils traitent Facebook et Twitter comme des lieux privés, ils ne les utilisent pas comme des journaux intimes et comprennent assez bien leur usage.
Par rapport aux contacts avec des inconnus (rencontres sur des forums notamment), ils ne cherchent pas précisément à en faire plus que des rencontres éphémères qui ont rempli leur objet. Les relations qu’ils mettent en place sur Internet sont assez semblables à celles mises en place dans le reste de leur vie. Le jeu constitue une partie importante des activités des jeunes sur Internet, mais elle diminue rapidement en fonction de l’âge ; ce sont surtout les enfants qui jouent. Malgré leurs craintes, les parents estiment qu’il est nécessaire de s’équiper d’Internet à la maison, pour que leurs enfants puissent bénéficier d’accompagnement et de soutien scolaire.
L’enquête menée sur le Café pédagogique (519 réponses) montre que le web 2.0 pénètre bien dans les classes. Certes, précise François Jarraud, ceux qui ont répondu à cette enquête en ligne sont sans doute plus usagers d’Internet que d’autres. Mais leurs réponses constituent une tendance significative.
Les enseignants qui ont participé à cette enquête, menée en novembre 2010, sont majoritairement des utilisateurs personnels du web 2. Plus de la moitié des enseignants disposent d’un compte sur Facebook (55%). 57% participent à des sites professionnels collaboratifs. 40% utilisent Google Docs. Presque un tiers a ouvert son blog. Les profs sont bien en réseau.
En classe, le web 2 est en train de trouver sa place. Un enseignant sur dix (9%) utilise Facebook en classe. Trois fois plus (27%) s’appuient sur un blog. On a là des usages massifs. Enfin le dernier enseignement de cette enquête c’est que 13% des enseignants utilisent le téléphone portable pour un usage pédagogique. C’est un phénomène très récent, lié à l’apparition des smartphones, selon les commentaires accompagnant ces déclarations. Ce qui est intéressant c’est que cela pourrait rejoindre des usages adolescents (un jeune sur cinq a déjà posté une vidéo sur internet) jusque là méconnus.
Comment expliquer cette poussée du web 2 ? Sans doute par la volonté chez certains enseignants de s’appuyer sur les pratiques des élèves. Cela nous est dit très clairement pour Facebook par exemple. Le fossé générationnel des usages Internet existe bien (rappelons que selon l’enquête de Fréquence Ecole, Facebook est le site le plus utilisé par les adolescents). Mais sa largeur est plus faible que prévu. Plus profondément, le web 2 « entraîne une interaction poussée avec les utilisateurs », nous confie un expert. C’est elle que poursuivent certains enseignants. Certains pionniers retrouvent, avec le web 2, des situations connues au début de l’informatique : un intérêt soutenu des élèves, une certaine complicité, de la communication au service du faire, de l’expression. Le web 2 ramène la relation pédagogique à l’activité et au questionnement là où l’invasion du TBI conduit souvent au renforcement du cours magistral et de la passivité. Il oblige aussi à travailler des compétences relationnelles dont on connaît à la fois l’importance et la faible prise en compte dans l’enseignement classique.
Laurence Juin, PLP de lettres histoire géographie à la Rochelle est une utilisatrice régulière de Twitter en classe, même si ce n’est pour elle qu’un outil et ne constitue pas l’essentiel de sa pratique. Mais cela permet aux élèves d’apprendre à formuler un message concis (140 caractères) significatif et aide à la prise de notes. Il faut s’exprimer en français correct et aller à l’essentiel, ce qui suppose en amont une réflexion sur les mots clés de leur texte. Les élèves peuvent éventuellement utiliser leur smartphone pour une action précise, ce n’est pas pour autant qu’il sera constamment ouvert. Grâce à ces outils, les élèves développent des relations d’entraide entre eux, ou bien des relations de correspondance avec de jeunes étrangers apprenant le français.
Jean-Pierre Meyniac, professeur d’histoire géographie dans un lycée de Grenoble, utilise depuis longtemps des plates-formes d’échanges et de travail collaboratif entre pairs. Pourtant il estime que l’impact sur les pratiques en classe est encore faible ; les enseignants eux-mêmes continuent à parler d’expériences. Il est vrai que l’utilisation d’un nouvel outil n’est pas nécessairement lié à une pratique innovante. Les enseignants sont grands consommateurs de PréAO, mais la présentation magistrale, même numérique, n’a rien de novateur. Les blogs en histoire géo révèlent des contenus peu révolutionnaires. Pis, les discussions sur les listes montrent que les enseignants ont parfois des difficultés à faire évoluer le concept de transmission et de diffusion du savoir et des positions assez divergentes peuvent se confronter, sans qu’il y ait consensus sur telle ou telle attitude.
Sur ces questions, le cogniticien Idriss Aberkane apporte un éclairage relativement original. Il met en lumière la nécessité, dans la société moderne, de considérer l’homme comme un élément non isolé, dont seules les interactions avec d’autres sont susceptibles de faire évoluer les choses. Aujourd’hui, la multiplication des connaissances est telle qu’un individu ne peut plus être un expert unique sur un domaine de connaissance. « Si nous n’apprenons pas en groupe, nous n’apprendrons rien ». Il faut aussi dépasser la transmission de connaissances verticales, où l’enseignant devrait recevoir beaucoup d’attention de ses élèves, en n’en donnant que peut à chacun. Il faut donc créer de petites unités où la cohésion est solide et dans lesquelles l’individu se sent en sécurité et en confiance. La connaissance devient alors collégiale et l’école prépare l’élève à tenir sa place dans la société, l’autre n’est pas un obstacle ou un censeur, mais un partenaire.
Dossier Web 2
http://cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2010/117_1.aspx
Sur le site du Café
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