Il y a des moments où les destins locaux et nationaux se croisent. C’était le cas le 10 décembre. Henriette Zoughebi, vice présidente de la région Ile-de-France en charge des lycées, mettait fin à un mandat qu’elle a servi avec beaucoup d’intelligence et une énergie étonnante chez une femme aussi frêle. C’était le moment de se rappeler son action et que les régions sont des acteurs très importants pour l’Ecole. Et aussi des finalités de son action. Un domaine où les inquiétudes sont encore plus grandes.
Des actions régionales
Faut-il encore rappeler ce que font les régions en matière d’éducation ? A la tête des lycées en Ile-de-France , H Zoughébi a fait construire ou rénové de nombreux établissements. Elle a pris en charge les personnels techniques que l’Etat a transmis aux régions et veillé à l’équipement numérique et scientifique des lycées.
Inutile aussi de rappeler que la région dote chaque lycée de plusieurs budgets pour le fonctionnement et l’entretien mais aussi pour les projets pédagogiques des enseignants et l’équipement numérique.
Mais en fait, la région fait bien davantage. Elle apporte une aide puissante à la démocratisation de l’école. C’est très visible quand il s’agit d’acheter les manuels scolaires. En Ile-de-France ils sont payés en grande partie par la région directement. C’est le cas dans la plupart des régions sous une forme ou une autre.
Mais la région finance aussi les déplacements des lycéens et apprentis. En Ile-de-France le dézonage de la carte de transport est un vrai gain pour les lycéens professionnels qui sont souvent scolarisés loin de chez eux. Alors que le Salon du livre et de la presse jeunesse se termine à Montreuil , un autre bébé d’Henriette, c’est le moment de rappeler le soutien de la région à toute la chaine du livre et à la culture en général. Henriette Zoughebi amenait chaque année plus d’un millier de lycéens au Salon du livre pour la remise d’un prix des lycéens largement ouvert aux élèves des CFA et des lycées professionnels.
Aux finalités de l’éducation
Mais au delà de l’action il y a ses finalités . Et c’est là où Henriette va nous manquer et où l’actualité nous fait encore davantage peur. » Tout ce qui a été fait c’est grâce à l’énergie des jeunes », explique -t-elle dans son livre (Le parti pris des jeunes, Editions de l’atelier).
Le point de départ de son action régionale c’est une consultation des lycéens qui a fait émerger quelques valeurs (la solidarité, l’égalité) qui ont été les pilotes de l’action régionale. Ces finalités du service éducatif ont été la feuille de route de l’action régionale. Concrètement cela s’est décliné avec les aides aux familles déjà mentionnées mais aussi avec le budget de solidarité lycéen qui permet de doter les lycées des quartiers populaires d’un budget spécifique pour l’action pédagogique.
Mais l’égalité H Zoughébi était en train de la mettre en oeuvre aussi avec un nouveau tarif unique et social de la restauration permettant aux plus pauvres d’avoir au moins un repas complet par jour, déjà installé dans la moitié de la région. H Zoughébi s’est aussi battue pour les internats et pour qu’ils soient ouverts aux filles dans les lycées les plus recherchés.
Avec H Zoughébi, la région a aussi financé des recherches sur la mixité sociale à l’école. C’est sur la base des rapports commandés par H Zoughébi que la politique nationale s’est construite et que ce thème est apparu dans le discours éducatif.
« La politique doit être révolutionnée. Il faut remettre au centre des politiques publiques les préoccupations directes des personnes », écrit-elle dans son livre. Dont acte. Pour développer la citoyenenté lycéenne, la région Ile-de-France a appris à leur donner des responsabilités concrètes. Cela passe par le soutien aux projets des jeunes : approuvés par le conseil d’administration de leur lycée, ils doivent être défendus en commission par les jeunes et être construits budgétairement. Chaque année une centaine de projets reçoivent entre 2500 et 5000 euros (à condition de promouvoir l’égalité filles garçons). Ces sommes servent aux Conseils de la vie lycéenne à financer un bal de fin d’année ou un voyage par exemple. Dans el cadre du « budget participatif lycéen », les CVL peuvent défendre des projets plus importants (70 000 euros) qu’ils doivent finaliser « politiquement » en consultant l’ensemble des lycéens, et techniquement avec les administratifs. Ces sommes sont utilisées pour créer un équipement sportif ou culturel souhaité par les lycéens.
Garder le cap
A la veille des élections régionales, il faut rappeler tout cela. Pour dire que les élections régionales concernent bien tous les enseignants. Que si Henriette Zoughebi est vraiment unique, des politiques éducatives et sociales ont été réalisées dans les autres régions. Que ce qui est en jeu ce sont bien sur les conditions d’exercice du métier enseignant parce que les professeurs sont en première ligne avec les familles. Mais aussi que ce qui est en jeu ce sont les finalités du métier enseignant. C’est ce cap là qu’il faut garder en vue aujourd’hui et encore plus demain.
François Jarraud