Blandine Raoul-Réa
Première table ronde du samedi 9 avril : La formation à l’information, regards croisés en Europe. Animée par Elisabeth Noël, conservateur des bibliothèques, FORMIST/ENSSIB.
- Pour l’Italie : Donatella Lombello, professeur de littérature de jeunesse, coordinatrice du groupe de recherche sur les bibliothèques scolaires,
- Pour l’Espagne : Maria Jesus Rodriguez, documentaliste et Josep Vives i Gràcia, bibliothécaire à l’université polytechnique de Catalogne, coordinateur du groupe de travail Alfincat,
- Pour la Belgique : Bernard Pochet, président du groupe EduDoc, directeur de la bibliothèque des Presses de l’université de Gembloux
Donatella Lombelle, Italie :
Il existe des liens étroits entre l’augmentation de l’alphabétisation et la culure. En Italie il n’y a pas de loi pour définir un statut de bibliothécaire scolaire, ni pour les bibliothèques scolaires. Du coup, elles ne vivent qu’en fonction des personnalités, des projets, de l’énergie du collège des professeurs. Quatre travaux ont été menés dans des établissements choisis pour étudier la transmission d’une maîtrise de l’information (voir les textes de l’IFLA -the International Federation of Library Associations and Institutions, www.ifla.org/ -en 1990 et 1995). En 1997 a été créé le premier cours de perfectionnement (post maîtrise et post baccalauréat) pour les professeurs responsables de la bibliothèque. Il s’agit de fournir aux élèves des outils qui permettent d’assurer un succès scolaire, de limiter le risque d’abandon d’études, de favoriser les confrontations critiques, le respect des auteurs et de favoriser la cohabitation.
Maria Jesus Rodriguez et Josep Vives i Gràcia, Espagne :
La situation du pays est à prendre en compte pour le développement d’une politique éducative cohérente. L’Espagne comporte 17 provinces et 4 langues officielles. L’éducation secondaire (12-16 ans : 1er et 2e cycle) est obligatoire. Les résultats de l’enquête menée montre que 92% des 740 centres ont une « bibliothèque » … qui peut être parfois un dépôt. Les bibliothèques scolaires sont exclues du système bibliothécaire général. Elles sont autonomes. En 1990, la loi d’orientation du système éducatif (LOGSE) prescrit un curriculum ouvert mais il ne fait pas référence aux bibliothèques scolaires. Sur l’ensemble des plans politiques destinés à l’éducation, il y a peu de continuité de réflexion, ni de définition de ce qu’est une bibliothèque scolaires, ni de comment les bibliothécaires doivent être formés. En 2005, l’avant projet de la loi organique d’éducation prévoit de mettre les bibliothèques dans le niveau du gouvernement autonome. On constate que les fonctions des « bibliothèques scolaires » sont avant tout celles de la lecture. Le fonds est essentiellement un fonds de fictions. Il faut donc ouvrir les pédagogies. Pour permettre la mise en oeuvre de telles pédagogies de l’information, il faut aussi permettre d’ouvrir des bibliothèques scolaires.
Bernard Pochet, Belgique :
La Belgique est un état fédéral composé de trois communautés et comprenant trois langues. La situation des bibliothèque est donc particulièrement diversifiée et la formation documentaire n’est pas une priorité politique. En général, les bibliothèques scolaires sont le fruit d’initiatives locales, d’associations de parents d’élèves… Il existe depuis 2001, dans l’enseignement pédagogique dans les hautes écoles (l’enseignement supérieur non universitaire), un cours obligatoire de recherche documentaire mais il est confié à des enseignants qui n’ont pas nécessairement les compétences requises. Il n’y a pas encore eu d’évaluation de cette initiative.
Dans les universités, aucune directive n’est prévue. Cette formation dépend donc des initiatives locales et elles sont nombreuses. Dans l’ensemble on observe trois types d’approches didactiques. Elles dépendent de la façon dont le terme « information » est compris.
– Si information est pris au sens large alors on a une formation documentaire centrée sur l’utilisation d’Internet et des outils bureautiques et qui échappe souvent aux bibliothécaires
– Si information est un terme parallèle à bibliothèque, alors on a une formation liée à l’utilisation des outils de bibliothèques, une formation technique
– Si information est pris dans le sens du circuit de l’information, alors on a une formation technique couplée à une formation méthodologique.
Les cours sont le plus souvent suggérés voire organisés par les bibliothécaires eux-même. Il n’y a par ailleurs pas réellement de formation de formateurs et leurs compétences sont encore assez disparates.
Des outils électroniques de formation ont aussi été développés (DéFIST, AERIS, Coupole…). L’association EduDoc essaye de mobiliser l’attention de tous les intervenants sur la problématique de la formation documentaire.
La formation documentaire est réellement liée à l’exercice de la citoyenneté car elle développe la capacité de s’informer, elle permet une attitude critique et elle doit permettre une démocratie plus active. Le phénomène de l’Open Access est observé de très près parce qu’il rapproche l’auteur du lecteur en dehors des circuits commerciaux monopolistiques. Les formations documentaires y font de plus en plus référence.
Deuxième table ronde du samedi 9 avril : Pour un curriculum en éducation à l’information, animée par Colette Charier, documentaliste, ex-présidente de la FADBEN.
A. Serres |
La formation des élèves et des étudiants à la recherche documentaire est depuis longtemps une nécessité affirmée par les professionnels de l’information mais pratiquée de façon trop aléatoire. Des outils comme les référentiels et curriculum peuvent répondre à ce besoin. Comment les définit-on ? Comment les utilise-t-on ? Comment les évalue-t-on ? Avec quelles conséquences sur les usagers et les professionnels ?. Cette table ronde a sans doute été l’un des points forts de ce congrès.
Colette Charrier, rappelle l’historique de cette question. Les « Assises nationales pour la formation à l’information » (11-12 mars 2003 : http://www.ccr.jussieu.fr/urfist/Assises/Ass-appel.htm) avaient permis d’aborder et de faire avancer cette question du curriculum.
Alexandre Serres, maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication, enseignant-chercheur à Rennes : La formation à l’information, le curriculum soulève des questions : quels problèmes pose Internet aux documentalistes dans les contenus d’information et donc comment former au discernement de l’information. A ces questions il faut rajouter celle de la formation nécessaire et constante des documentalistes elles-mêmes. Il y a actuellement une crise dans la transmission car effectivement, les jeunes en connaissent plus que les adultes. Les documentalistes, plus que tous les autres enseignants y sont confrontés. Comment s’adapter dans cette ère en l’évolution permanente qui nécessite une formation permanente, formation qui n’est pas assurée par l’institution. La formation des élèves pose la question de l’accompagnement des élèves. Si on ne passe que par la multiplication de l’accès, il y a un risque de perdre des élèves avec le risque d’une augmentation de la rupture sociale. Il convient de veiller à éviter trois clivages :
1-Celui de l’enseignement méthodologique général / enseignement documentaire
2-Les apprentissages documentaires sont-ils au service des disciplines ou bien considère-t-on que ce sont des apprentissages autonomes ? L’idée d’un curriculum documentaire traduit un approfondissement des apprentissages documentaires qui vont alors obliger à clarifier les apports documentaires par rapport aux disciplines. Si on parle de notions à transmettre… c’est qu’elles ont une autonomie par rapport aux disciplines. C’est là le signe d’un engagement vers une discipline autonome.
3-S’agit-il d’une formation aux compétences procédurales ou aux concepts des SIC (Sciences de l’information et de la communication) ?
Est-ce qu’on peut discuter d’un curriculum sans poser la question de la mise en place. S’il y a curriculum, ça veut dire qu’il y a progression donc continuité, donc mise en place d’enseignements… Voir le texte d’Alexandre Serres (http://www.ccr.jussieu.fr/urfist/Assises/Ass-Serres.htm) : La triple dialectique des contenus de formation à la maîtrise de l’information
Pascal Duplessis, professeur documentaliste dans l’académie de Nantes, formateur IUFM, propose de regarder d’un peu plus près les différences et complémentarités entre curriculum et référentiels de compétences. Le référentiel décrit des comportements attendus pour voir les procédures. Les avantages d’un référentiel sont donc qu’il est un cadre qui permet de projet et l’activité documentaire en détaillant des comportements attendus. De plus, il permet l’évaluation et fédère la profession. C’est un outil stratégique car il est équivalent à un programme disciplinaire et légitime le documentaliste par rapport à la discipline ; il lui accorde une place. Le curriculum est un parcours éducatif global chapeautant, articulant, des expériences d’apprentissages d’élèves. Il comprend donc non seulement des finalités et des contenus, mais aussi une modalité d’évaluation dans la progression des apprentissages. Le curriculum s’adresse à des élèves. Il renvoie à un programme. Le référentiel s’adresse à des usagers, il décrit une formation non programmée. Il est un outil, une modélisation de l’activité documentaire. Dans le référentiel, la priorité est donnée à la composante procédurale. Si on donne priorité aux connaissances, alors on doit mettre en place un curriculum.
La première illusion serait de confondre information et connaissance. Il s’agit dont de se poser la question suivante : de quels outil avons-nous besoin pour former l’esprit critique des élèves? L’information n’appartient pas à celui qui sait la trouver, mais à celui qui sait l’évaluer. La satisfaction des besoins (trouver de l’information à une question posée) est-elle suffisante ? Surtout dans le cadre de l’information numérique ? La compétence à mettre en oeuvre est la critique de l’information, discerner, séparer… séparer l’information qui apporte des connaissances scientifiques et techniques de l’information vulgaire (observation). La première illusion serait de confondre information et connaissance, information et vérité, information et média ! Il nous faut apprendre à rejeter de l’information. Voir : Pascal Duplessis (http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/disc/cdi/peda/duplessis/savdoc1.htm) Les savoirs documentaires : amorce d’une réflexion sur les savoirs documentaires et leur didactisation au collège.
Marc Derycke, professeur des universités, sciences de l’éducation, directeur du centre de recherche en éducation (Université de Saint Etienne), se penche sur le système du port folio. Le Portfolio est un support de réflexivité. A l’origine, il est destiné aux étudiants des Beaux-Arts pour permettre de communiquer leurs travaux d’artistes, en dehors des stéréotypes. Il sert de preuve à l’élève dans l’évaluation de ses compétences. Il doit répondre aux attentes prescriptives des enseignants. Ce système permet de prendre les apprentissages dans leur globalité (on ne montre pas les grilles d’items aux parents, mais les travaux oui). Il permet de travailler sur la communication. Voir : Marc Derycke. Évaluation, suivi pédagogique, et « portofolio » dans Revue française de pédagogie, juillet 2000, n°132 – http://www.inrp.fr/publications/rfp/n132.html
Jean-Louis Charbonnier, excusé, (formateur IUFM de Nantes) avait transmis à Colette Charrier un texte à lire. Affirmant la nécessité de poursuivre le chemin pour une formation à la maîtrise de l’information, son texte reflète les préoccupations des enseignants documentalistes et celles de l’institution, institution qui n’affirme pas toujours les enseignants documentalistes dans leur rôle de formateur. Le texte sera accessible sur le site de la Fadben prochainement.
Troisième table ronde du samedi 9 avril : Pour une implication de tous les partenaires de l’éducation à l’information, animée par France Prévost-Vernotte, ex-présidente de la FADBEN.
F Prévost-Vernotte, G Dupon-Lahitte, J Ecochard |
Quel est le rôle de chacun des partenaires de l’éducation dans ce processus de formation? Quelles formes de partenariats envisager ? Quelles conditions s’avèrent nécessaires pour la mise en oeuvre effective d’une véritable formation dans les établissements scolaires ?
Benjamin de Roblès représentant du CNVL de l’Académie de Nice, élève de CPGE, , rappelle qu’il ne faut pas oublier les élèves. L’école républicaine doit jouer ce rôle d’éducation à l’information. Or dans sa classe, la majorité lit un journal tous les jours, mais cela reste de l’initiative personnelle. Les élèves n’ont pas eu d’apprentissage. Il est donc nécessaire que l’école s’en préoccupe et qu’elle évite ainsi les disparités sociales. Eduquer ce doit être aussi de pouvoir aider à se positionner par rapport à l’ensemble de l’information. Les élèves (tous les élèves) doivent donc être aidés en continu. L’éducation à l’information doit s’insérer aussi au coeur des disciplines. Elle nécessite un partenariat discipline/documentation.
George Dupon-Lahitte, président de la FCPE, trouve paradoxal de voir des documentalistes en 2005 obligés de s’interroger sur la nécessité d’une formation à l’information alors que nous sommes dans la société de l’information. Il ne faut pas introduire une nouvelle discipline mais les compétences techniques qui sont à maîtriser. Ce n’est pas à la fin d’un cursus qu’il faut l’aborder. La démarche doit être continue et progressive. L’éducation à l’information doit répondre à un enjeu important : la liberté -qui permet la citoyenneté- et l’égalité. L’information peut être événementielle (de presse…) ou documentaire : il importe de distinguer les deux. Quel est alors le rôle de l’école devant la fracture numérique ? L’école doit permettre l’accès à l’information. L’accès à l’information est un des marqueurs de l’inégalité sociale. Mais l’accès ne suffit pas. Pour la FCPE il doit y avoir accès aux outils et aux lieux d’information. Les inégalités ne sont pas nouvelles, mais elles s’accroissent. L’enjeu de l’éducation à l’information est de développer un esprit critique et donc il nécessite d’apprendre à lire le journal et d’en comprendre les enjeux, de savoir découvrir les sources d’information. Un des supports de cette formation, liée aux disciplines, était les TPE…
Hubert Jeannin, président de la PEEP, académie de Nice, affirme que l’élève est au coeur de l’institution et les parents les premiers acteurs de l’éducation de leurs enfants. Dans les apprentissages, le travail du documentaliste est à mettre en avant car il travaille sur la motivation. C’est un des aspects qu’il est nécessaire de sauvegarder et de développer.
Jean-Louis Durpaire, Inspecteur général de l’éducation nationale souligne la mobilisation des enseignants. Si ça marche c’est qu’il y a mobilisation et que des enseignants s’engagent dans des projets pédagogiques forts. Ce qui peut être intéressant c’est au niveau de chaque établissement, une politique documentaire devrait permettre de lutter contre les inégalités. Il est temps de donner aux documentalistes une nouvelle circulaire de mission. L’élaboration concertée par un groupe de travail (dont Isabelle Fructus fait partie) de ce texte mettra en avant (si tout va bien) la nécessité d’une formation à la maîtrise de l’information pour tous. Les chefs d’établissement doivent se préoccuper de la politique documentaire. M. Durpaire accompagne leur formation tout comme celle des IPR à ce sujet. Le doyen de l’Inspection générale s’associe à cette démarche ; il l’approuve.
Joël Olive, président académique de la SNPDEN, chef d’établissement pense que le CDI est eu coeur des contradictions du système éducatif. Il y a un décalage entre les ambitions, objectifs, ampleur de la tache et les limites qui sont imposées. L’idée d’avoir une formation à un esprit critique est un enjeu majeur. Quelles sont les difficultés sur le terrain ? Un des difficultés est d’ordre statutaire : ce ne sont pas des professeur comme les autres car il sont à la frontière de la pédagogie et de l’éducatif. Il ne sont pas rattachés à une discipline mais dans les fonctions transversales or elles sont, par l’institution, sous estimées et mal évaluées. Conclusion : il faut une politique d’établissement et un travail en équipe. Cela d’autant plus que les enseignants eux-mêmes sous utilisent le CDI. Parce qu’il y a nécessité de travail en équipe, il y a des enjeux de pouvoir et de perte de pouvoir. Le programme disciplinaire plus le manque de formation des enseignants au travail en équipe freine l’action. Il faut que les documentalistes soient déchargées des taches matérielles qui les submergent. Il se peut qu’un élève fasse tout son cursus sans jamais mettre les pieds au CDI, les TPE ont eu le mérite de permettre l’accès à tous (ou presque, puisque pas les filières technologiques) au potentiel des CDI et à une initiation aux techniques de recherche documentaire. Il faut apporter deux types de réponses pour pouvoir envisager cette formation pour tous les élèves :
- l’institution doit créer des postes
- il faut renforcer dans le travail des enseignants la nécessité d’une formation au travail en équipe.
Madeleine Sonnevile, présidente de l’Union des Professeurs de physique-chimie rappelle que les professeurs de physique-chimie préconisaient dès 1992 les activités documentaires dans les programmes. Il s’agissait de renforcer la motivation car on notait une perte d’engagement dans les filières scientifiques du supérieur. Pour les physiciens chimistes, il y a une différence entre information et la connaissance et le rôle de la discipline est de passer de l’information à la connaissance. C’est dans cet axe qu’il faut travailler en TPE. Cet exercice, activité intellectuelle doit permettre de passer de l’information contenue dans le document pour la mettre en relation avec les connaissances et ainsi savoir ce qui est compris et ce qui est admis. Dans la formation du citoyen il y a deux idées essentielles :
- comprendre ce que je lis, ce que je ne comprends pas et savoir si peux faire confiance au document ou pas
- prendre conscience qu’il existe en terme de fait scientifique des choses qui font consensus et qu’il est stérile de controverser.
Isabelle Fructus, documentaliste, présidente de la FADBEN affirme que les documentalistes ont besoin d’une impulsion nationale. Ce métier est au carrefour de plusieurs métiers, il est attaché à la démarche de projet et au travail en équipe. Pédagogiquement, l’inscription des apprentissages informationnels doit être inscrit et associé avec les enseignements. On fait alors reconnaître qu’il faut du temps. Le temps consacré aux apprentissages informationnels doit être à la fois un temps d’apprentissages des techniques et outils, et un temps d’apprentissage intellectuel. Le documentaliste doit former directement les élèves.
Le débat ouvre la question de l’évaluation des acquisitions et apprentissages. Cette validation doit-elle être intégrée dans les travaux pluridisciplinaires par l’enseignant documentaliste ? Quel type d’évaluation alors mettre en œuvre ?