Et si la seule innovation qui vaille dans le système éducatif était changer l’Inspection ? C’est un peu la conclusion que livre le rapport de l’Inspection générale sur « L’innovation et l’expérimentation et leurs incidences sur l’évolution du système éducatif » que le ministère vient de rendre public. Coordonné par Pascal Raphaël Ambrogi et Dominique Rojat, ce gros rapport est une longue errance pour saisir un objet toujours désiré mais qui reste finalement insaisissable à l’administration de l’Education nationale : l’innovation pédagogique. Cinq ans après le rapport Reuter, la quête de l’innovation se conclue par une prise de conscience de la force de l’esprit d’innovation et sur une nouvelle injonction au changement d’une institution qui en semble peu capable.
Un rapport qui tombe à pic
Onze ans après l’article 34 qui voulait libérer l’expérimentation dans l’Education nationale, 5 ans après le rapport Reuter, particulièrement cinglant sur l’incapacité de l’institution à administrer l’innovation pédagogique, un nouveau rapport veut faire le point sur ce sujet.
Sa publication ne tient pas au hasard. Le succès de plusieurs livres à cette rentrée, et particulièrement celui de Céline Alvarez, témoigne d’une attente d’un changement de l’Ecole. Ses résultats médiocres l’imposent. En septembre, la ministre a pris le flambeau. Elle a ressuscité le Cnire, une structure mort née depuis sa création par V Peillon et en même temps chargé un universitaire, F. Taddei, d’une mission « afin qu’il propose de nouveaux modes d’organisation et de coordination pour développer et piloter des politiques de recherche et d’innovation dans notre système éducatif ». Celui-ci devrait remettre un pré rapport le 21 décembre. Voilà l’innovation pédagogique remise au calendrier politique. Du coup le ministère publie le rapport annuel 2015 des inspections générales sur ce sujet.
L’innovation incompatible avec l’Education nationale ?
Le rapport coordonné par Pascal Raphaël Ambrogi et Dominique Rojat est copieux. Mais on le sent embarrassé par le sujet. Plus on avance dans les chapitres plus l’innovation pédagogique semble échapper aux inspecteurs, une situation qui n’étonnera pas le lecteur du rapport Reuter.
Les rapporteurs commencent par chercher à différencier innovation et expérimentation pédagogique, de façon à lever une confusion qui semble bien installée dans l’institution. « L’innovation viendrait donc d’en bas, l’ordre d’expérimentation viendrait d’en haut et les deux ne se rencontreraient que rarement, en raison d’une dilution bilatérale des discours », écrivent-ils.
Tout est dit en quelques belles phrases. » Si l’innovation s’apparente à une liberté prise avec l’existant normé, l’expérimentation se construit par contrainte. On pourrait dire que la première est un élan, « une aventure », selon le mot de Françoise Cros, tandis que la seconde est un carcan… On voit bien alors pourquoi l’innovation renvoie à l’individu alors que l’expérimentation renvoie au système. Appliquée au système éducatif, justement, l’innovation se donne assez naturellement comme démarche individuelle d’un enseignant, ou d’une équipe isolée d’enseignants. Elle peut alors susciter l’inquiétude de l’institution, peu prompte à accepter une situation dont elle ne maîtrise pas tous les aspects, ce qui est précisément constitutif de l’innovation… L’expérimentation quant à elle s’apparente à une prise en charge par l’institution, avec les contraintes propres à une intégration dans une organisation de rang supérieur ». Du coup on comprend que l’innovation échappe largement au regard de l’institution et de l’inspection sauf à évoquer « l’innovation généralisée » impulsée par voie de réforme. Mais qui de sérieux parlerait encore d’innovation ?
Des expérimentations dont l’efficacité reste à établir
D’ailleurs le rapport s’empresse de faire le tour des expérimentations officielles. Pour chacune il dresse un bilan au regard des rapports précédents. Ainsi défilent l’expérimentation de la philosophie en 1ère, celle de l’EIST (enseignement intégré des sciences au collège quasi généralisé avec la réforme), le conseil école collège (CEC), le dispositif « plus de maitres que de classes », PARLER, les ROLL, les ECLAIR, les établissements ESPI.
On est là dans le registre des expérimentations d’ailleurs pas toujours concluantes. Le CEC est, d’après le rapport, fui par les enseignants. Même s’il est presque généralisé, avec de bons arguments du coté de l’acclimatation au collège, l’EIST n’a pas amélioré le niveau des collégiens en sciences. Le dispositif PARLER, vivement soutenu par Fondapol et ses amis politiques, n’a pas fait ses preuves. Quant aux ROLL, les élèves améliorent leur niveau mais celui-ci reste faible.
Il est frappant de constater que l’Inspection n’en tire pas d’avis général sur l’impact des expérimentations sur le système éducatif (alors qu’elle le fera plus loin sur l’idée des « bonnes pratiques duplicables »).
Non le rapport continue sa quête de l’innovation pédagogique en allant la chercher dans l’administration. Ainsi le rapport s’interroge sur l’innovation dans la gestion des ressources humaines de l’éducation nationale. Il vante la réorganisation de l’administration centrale en bel exemple innovant. Celle ci serait « modernisée et resserrée »…
L’administration de l’expérimentation, un obstacle ?
Tout un chapitre est consacré à l’administration de l’innovation dans l’éducation nationale. On est loin des pages que lui a consacré Yves Reuter qui étaient des plus sévères. Le rapport salue l’action des CARDIE. Mais il souligne quand même le fait que les politiques académiques sont plus que variables. » Selon les données d’Expérithèque, aucune action pédagogique innovante ou expérimentale n’aurait été conduite dans certaines académies, tandis que d’autres auraient fait le choix d’une politique de recensement large des actions. Faut-il y voir des effets de politiques académiques oscillant entre une volonté de reconnaissance et de motivation forte des équipes et l’affirmation du caractère plus « expérimental », donc cadré et limité, du dispositif ? En réalité, il s’agit plutôt d’un artefact lié aux choix académiques en matière d’expérimentation et d’innovation, les règles appliquées par les académies pour déclarer une expérimentation dans la base Expérithèque paraissant suffisamment floues pour expliquer de grandes différences entre elles ». Yves Reuter avait décrit le même phénomène il y a 5 ans en termes plus clairs..
Le bilan dressé par le rapport mérite d’être médité. » En définitive, on a le sentiment que l’échelon national peine à bien connaître ce qui se fait sur le terrain en matière d’expérimentation. Cette méconnaissance s’explique à la fois par un souci de discrétion des professeurs et par une définition peu claire des critères de recueil de l’information. Cette méconnaissance est clairement un obstacle au pilotage national ». De là à penser que la DRDIE est elle-même un obstacle…
Innovation en boite vs diversification
Car la conclusion du rapport est bien un appel à changer le paradigme. « Longtemps cette recherche incessante (de l’innovation NDLR) était animée par un espoir, celui de trouver la meilleure solution dans l’absolu, celle qui, une fois généralisée, permettrait en effet une réussite totale. Pourtant, depuis quelques années, une autre manière de voir apparaît, même de façon implicite. L’idée devient alors que la solution la meilleure n’a sans doute pas de valeur générale et qu’il convient au contraire de diversifier assez les pratiques pour permettre de déterminer ce qu’il convient de faire à un moment donné, en un lieu donné, avec un groupe d’élève donné. Innovation et expérimentation ne sont plus alors la recherche obsédante de LA meilleure façon de faire, mais une modalité de diversification. Les inspections générales observent ces innovations/expérimentations, mais remarquent aussi ce changement de fonction des innovations / expérimentations. Elles constatent à quel point ce changement d’état d’esprit contraint à une évolution de l’inspection elle-même : plus que zélateur de LA bonne méthode dont ils vérifieraient la mise en oeuvre, ils deviennent accompagnateurs d’une diversification bien conduite au service des élèves ».
En enquêtant sur l’innovation pédagogique et la lourde machine des expérimentations de l’Education nationale, l’Inspection générale arrive à un constat que le Café pédagogique a dressé il y a déjà plusieurs années. Il ne sert à rien de chercher la « bonne pratique » que l’on pourra ensuite dupliquer.
Ce qui compte c’est l’esprit d’innovation dans le système éducatif. Et pour qu’il existe il faut commencer par rénover l’administration du système et l’Inspection elle-même. Retour à l’envoyeur.
François Jarraud
Le rapport de l’Inspection générale
Plus fort que l’innovation, l’esprit d’innovation
Le 9ème Forum des enseignants innovants
Comment changer l’Ecole (DOSSIER)
PS : Le rapport n’évoque à aucun moment le Forum des enseignants innovants, une initiative soutenue par le ministère depuis 9 ans…