« L’étude montre que presque tous les élèves ont accès aux lettres des inspecteurs et que la plupart les lisent. Dans les écoles primaires, certains parmi les plus jeunes ont des difficultés pour les comprendre. Mais la plupart des élèves trouvent que c’est une bonne idée ». L’Ofsted, une sorte d’inspection générale anglaise, publie une étude sur une pratique qui peut surprendre le lecteur français : le compte-rendu d’inspection rédigé pour les élèves.
Selon cette étude, cette pratique, qui est systématique, est perçue positivement aussi bien par les élèves que par 90% des chefs d’établissement. Du côté des élèves, affirme l’Ofsted, « certains y voient une preuve d’estime car leur contribution à l’inspection se retrouve dans la lettre ». Des établissements réunissent les élèves pour échanger sur ce rapport. Une minorité des écoles recueille officiellement les opinions des élèves. Ailleurs, et particulièrement dans le primaire, il est discuté en classe par exemple en éducation civique.
Voilà qui surprend le lecteur français habitué à des rapports d’inspection qui brossent en quelques minutes des caricatures de professeurs et dont très peu sont simplement publiables. Comment un rapport d’inspection peut-il devenir objet de débat et même de projet d’établissement ?
C’est que le rapport d’inspection anglais est une analyse collective portant sur une équipe d’établissement. Prenons, au hasard, celui du lycée et collège Selsdon de Croydon, près de Londres. Comme tous les rapports il est accessible très facilement sur Internet. En une quarantaine de pages c’est un véritable audit de l’établissement, rédigé par une équipe de 15 inspecteurs.
Il analyse les résultats obtenus par chaque catégorie d’élèves. Ainsi ce lycée est classé simplement comme « satisfaisant » car ses résultats sont en dessous des moyennes nationales et au niveau de celles des établissements comparables. Le rapport examine des éléments de la vie scolaire : absentéisme par exemple mais aussi qualité de la relation avec les parents ou fonctionnement du système d’élèves tuteurs (« Big Brother, Big Sister ») mis en place pour accompagner les nouveaux élèves. Les inspecteurs rendent compte de leurs observations en classe. « 91% des leçons sont satisfaisantes, 11% sont bonnes ». Un avis aussi précis est possible puisque l’équipe d’inspection a observé pas moins de 135 cours ! Cela leur permet de proposer une analyse fine des points forts et faibles dans chaque discipline. Ainsi on apprend que l’enseignement des TIC est satisfaisant, qu’il s’appuie sur des partenaires extérieurs mais que le niveau en 4ème et 3ème doit s’améliorer. Discuté avec les enseignants, la direction et les élèves, le rapport d’inspection est nuancé et traduit une réelle expertise. Il facilite une autre évolution intéressante : le lycée Selsdon développe une culture d’auto-évaluation. L’inspection contribue à créer un climat de confiance dans l’équipe éducative et au-delà entre profs, parents et élèves. Un ingrédient indispensable, lui aussi, au progrès de tous. Elle est un véritable instrument
L’inspection « à l’anglaise » est-elle un cas unique ? C’est plutôt le système français qui est singulier en Europe. Et il n’échappe pas à la critique au sein même de l’Education nationale. Ainsi, en 2003, un rapport réalisé pour le Haut conseil de l’évaluation de l’école par Yves Chassard et Christian Jeanbrau, dénonçait un système » injuste, incohérent et inefficace » et préconisait une inspection de l’équipe éducative. « Nous sommes parvenus à la conclusion qu’une réforme de l’appréciation des enseignants devrait chercher à satisfaire deux objectifs prioritaires : dépasser le cadre étroit de l’inspection individuelle pour les aider, par un conseil et un soutien pédagogique judicieux, dans l’exercice de leur métier, leur ménager davantage de possibilités de mobilité en cours de carrière; et n’y parviendrait qu’en en poursuivant un troisième : renforcer l’encadrement intermédiaire de l’école ». Plus récemment le rapport annuel 2005 de l’Inspection générale s’attachait à montrer l’intérêt d’une approche territoriale de l’évaluation. » Pour qui souhaite évaluer le fonctionnement du système, la prise en compte du niveau infra-académique et même infra-départemental apparaît comme une nécessité ».
Attachons-nous alors à estimer ce que peuvent être les obstacles à une nouvelle forme d’évaluation. Il y a bien sûr la tradition administrative centralisée. Il y a la maigreur des corps d’inspection et des corps intermédiaires dans leur ensemble. Mais, plus fort que cela, il y a un changement de nature du métier d’enseignant qui ne se limiterait plus à un simple face à face disciplinaire avec les élèves mais qui situerait le professeur comme un acteur d’une communauté éducative ayant une mission d’éducation. Demander une autre forme d’inspection, ce n’est pas poser la seule question du rôle de l’Etat. C’est surtout formuler celle de la place de l’élève dans l’Ecole.