Depuis plusieurs années Frédéric Grimaud cumule des centaines d’heures d’entretiens de professeures et professeurs des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels. Parfois, ils et elles sont en désaccord, et parfois aussi, ils et elles se disputent. Aucun ni aucune des deux n’a raison, aucun ni aucune des deux n’a tort, mais ils et elles assument ne pas faire exactement la même chose … et ce faisant font vivre leur métier. En lisant ces lignes chaque mercredi, demandez-vous comment vous vous y prenez, vous, et pourquoi ?
« Un élève perturbateur avec un élève calme »
Lorsqu’elles font rentrer leurs élèves de la récréation ou lorsqu’elles se déplacent avec le groupe classe, Cécile et Agnès gèrent leurs « rangs » de manière un peu différente. Cécile avance d’abord :
« Alors moi je mets toujours deux chefs de rang. Avant j’en mettais qu’un mais parfois ça ne tient pas. Par exemple quand ça tombe sur un élève perturbateur, c’est mieux qu’il soit avec quelqu’un de calme sinon c’est à contre-emploi de mettre un chef de rang. Alors dans la classe, on a un roulement et je me suis arrangée pour qu’il y ai toujours un binôme avec un élève qui est sage, bien sûr. Chaque semaine ça change, ça fait partie des métiers de la classe, comme le facteur par exemple. Et les élèves ils attendent leur tour avec impatience, c’est un truc qu’ils aiment bien. Et donc en plus ça me permet, quand leur comportement n’a pas été correct, d’enlever un chef de rang. Ça sert aussi de carotte faut le dire.
« Je ne m’adresse qu’aux chefs de rang et le reste de la classe suit »
Le rôle du chef de rang n’est pas non plus énorme mais déjà ils sont devant. Les élèves, ils veulent tout le temps être devant et donc ça me permet de faire tourner un peu et d’éviter les disputes à gérer. C’est chacun son tour, ils le savent donc ils ne cherchent pas à se doubler pour être les premiers, surtout quand on fait une sortie dehors comme le théâtre ou la médiathèque. Le rang n’est pas totalement nickel mais au moins ils savent qui est devant. Moi, ça m’évite aussi de crier ou de parler fort pour dire d’arrêter ou de démarrer.
Je ne m’adresse qu’aux chefs de rang et le reste de la classe suit, c’est quand même bien pratique. Enfin, mais c’est plus rare, les chefs de rang ont un rôle quand je dois sortir de la classe pour faire un truc ou quand je dois les faire monter en classe seuls. Ça n’arrive pas souvent mais parfois faut le reconnaitre je peux sortir, deux minutes hein, et à ce moment là je dis aux chefs de rangs qu’ils sont responsables de la classe. Ou bien dans la cour le matin, si je parle deux minutes avec une collègue ou la directrice ou même parfois le RASED, je peux dire aux chefs de rang de faire monter le groupe dans la classe. »
« Je n’ai pas envie d’être prisonnière d’un fonctionnement »
Agnès réagit aux propos de sa collègue : « Ben moi ça me gène que des élèves soient investis d’une mission de cadrage des autres élèves, même minime. Je trouve que ça les met dans une position qui n’est pas confortable vis-à-vis des autres et moi ça me stresserait de savoir que des élèves sont responsables d’autres élèves. Concernant le rang, c’est vrai que j’essaye de ne pas avoir tout le temps les mêmes devant mais je fais tourner comme ça m’arrange. Et ça me permet de refaire le rang en permanence en fonction des comportements des uns et des autres.
D’une manière générale, je n’ai pas mis en place de métiers dans la classe non plus, je trouve que ça se gère bien sans et j’ai pas envie d’être prisonnière d’un fonctionnement. Selon le jour, selon l’humeur, selon le comportement, les élèves ont tel ou tel rôle et c’est moi qui décide. La garante des règles et du fonctionnement dans la classe c’est moi. En plus, autant y’a des élèves qui aiment bien distribuer les fiches ou bien être premier dans le rang, autant y’en a qui n’aiment pas donc autant ne pas les obliger à faire un truc qu’ils n’ont pas spécialement envie. »
Petite analyse : Cécile et Agnès ont un fonctionnement différent concernant la gestion du rang qui masque des manières plus profondes de concevoir la gestion de classe et notamment la place de l’adulte. Bien entendu la prescription descendante est formelle sur ce point, la responsabilité des élèves incombe à l’enseignante, et aucune des deux ne remet cela en cause.
Mais Cécile ouvre une réflexion sur la possibilité de déléguer, même symboliquement, une partie de l’autorité à des élèves pour peu que cela fasse partie d’une règle de la classe. Réflexion que reprend au bond Agnès en la déportant sur une autorité davantage incarnée par l’enseignant. La question de l’autorité en classe est une affaire de tous les instants, elle se loge dans les moindres détails, et elle se décline différemment selon que l’on soit Agnès ou Cécile.
Et vous, vous gérez le rang plutôt comme Cécile ou plutôt comme Agnès ?
Frédéric Grimaud
Grande section : « je ne lâche pas tant qu’ils n’ont pas fini »