Que se passe-t-il donc à l’école Louis Leprince-Ringuet d’Alès ? Toute l’équipe pédagogique – enseignant·es et directrice – a été invitée à participer au mouvement, sans quoi le « Dasen se réservait le droit de les muter dans l’intérêt du service » nous explique la co-secrétaire départementale de la FSU-SNUipp en charge du dossier, Myriam Vermale. Si ces dernières années, les mutations forcées d’enseignant·es se sont multipliées – Kai Terada, l’école Pasteur à Saint-Denis (93) ou encore les quatre enseignantes de Melle…, c’est bien une première que toute une équipe soit obligée de partir. Les enseignant·es interrogé·es se disent victimes d’une forme de cabale, le Dasen (directeur académique des services de l’Éducation nationale) se défend d’avoir voulu les sanctionner.
Dans cette petite école primaire de huit classes, la rentrée prochaine est loin d’être appréhendée sereinement. Et pour cause. Aucun·e des sept enseignant·es ni la directrice ne devraient faire leur rentrée dans l’école.
L’école, qui accueille un public très majoritairement défavorisé – l’IPS est de 75 – est à l’image du quartier dans lequel elle est située, la Royale. Un tiers des élèves qui y sont scolarisés vivent dans ce quartier où les logements sont bien souvent insalubres et les habitants dans une grande précarité matérielle et administrative. « La plupart des enfants sont nouvellement arrivés en France, venant des 4 coins du monde, leur famille fuyant la misère économique ou les conflits armés », nous confie une des enseignantes y exerçant depuis de nombreuses années.
On imagine donc l’importance de la stabilité des équipes pour les élèves et les familles. Pourtant, le directeur académique a demandé à l’ensemble de l’équipe enseignante de participer au mouvement. La raison ? Un climat de travail délétère.
Selon les enseignant·es interrogé·es, la situation n’est pas vraiment nouvelle. En 2022 déjà, le directeur alors en place avait demandé à bénéficier d’une rupture conventionnelle à la suite d’une plainte de l’Inspectrice de l’Éducation Nationale contre lui ». Plainte classée sans suite. Si l’année scolaire 2023-2024 s’est relativement bien passée, c’est parce que l’une des enseignant·es avait fait fonction de directrice. Cette année, une directrice a été nommée et depuis le début, il semble que la relation ne soit pas partie sur de bonnes bases. D’un côté et de l’autre, on se rejette la responsabilité du climat. De nombreuses fiches ont été versées au Registre de Santé et Sécurité au Travail (RSST), alertant ainsi la direction académique qui a diligenté une enquête administrative. « Quand on constate un nombre important de fiches RSST et quand on entend les retours des corps d’inspection du premier degré, on voit qu’il y a quelque chose qui ne va pas », raconte Christophe Mauny, directeur académique du Gard. « Pour objectiver la situation, avant de juger de quoi que ce soit, j’ai diligenté une enquête administrative en novembre dernier ».
Des professeur·es des écoles qui estiment ne pas avoir été entendu·es
Une enquête que dénoncent plusieurs organisations syndicales – FO, la FSU-SNUipp et SUD éducation, « le sort fait aux collègues de l’école nous inquiète particulièrement, la méthode qui consiste à diligenter une enquête administrative qui aboutit à des mutations dans l’intérêt du service a déjà visé de trop nombreux et nombreuses collègues en France, notamment à Bobigny ou Saint Denis ». « Cette méthode sert à casser des collectifs de travail qui fonctionnent de façon collégiale, ce que l’administration qualifie de “trop clanique” ». Elles estiment que le directeur académique du Gard aurait dû choisir de diligenter une enquête de la formation spécialisée départementale, instance paritaire qui étudie les signalements de souffrance au travail qui par son « approche de la formation spécialisée » aurait permis de « répondre à la problématique initiale de la dégradation des relations de travail au sein de l’école Louis Leprince Ringuet, objet officiel de l’enquête administrative ».
Reçus à deux reprises par les services de la Dsden – dont une fois par le Dasen, les syndicats estiment que les enseignant·es n’ont pas été entendu·es. « Aucune situation ne peut justifier le transfert de toute une équipe, une médiation est toujours possible dans l’intérêt des élèves, des familles et du service », nous explique Myriam Vermale, de la FSU-SNUipp. « D’ailleurs, des enseignants de l’école ont saisi le médiateur du rectorat. Leur parole doit être entendue et respectée. Les représentants des personnels ont demandé de fournir les éléments précis cités à la fois dans le rapport final de l’enquête administrative, mais aussi dans le compte rendu de l’alerte sociale, qui ont amené le directeur académique à motiver sa décision de mutation dans l’intérêt du service. Le rapport d’enquête est partial et cette décision a été prise sans qu’aucune faute n’ait pu être caractérisée, ce qui s’apparente à une sanction disciplinaire déguisée ».
« C’est le collectif qui est visé et non les enseignants individuellement »
Une accusation dont Christophe Mauny se défend. « L’enquête administrative a identifié des dysfonctionnements importants qui ont des conséquences sur le fonctionnement de l’école, et donc sur les élèves – pas sur leurs résultats, mais sur le climat scolaire et leurs conditions d’apprentissage. Ces dysfonctionnements ont aussi des conséquences sur les conditions de travail des enseignantes et enseignants. On est arrivé à un tel niveau d’affectivité que cela ne peut plus fonctionner. Ma responsabilité est à la fois d’assurer la qualité du service public – donc de l’école, mais aussi d’accompagner les personnels ». « J’aurais pu utiliser d’autres leviers, y compris de sanction, mais j’ai fait le choix d’inviter les enseignants à procéder au mouvement. Je n’ai pas pris parti. Pour le bien des élèves, il fallait faire repartir sur de bonnes bases », se défend le Dasen qui insiste sur le fait de cibler un « collectif qui ne fonctionne pas selon le rapport et non les professeurs individuellement». « Si j’avais pris parti, j’aurais ciblé des personnes à qui j’aurais imposé une mutation d’office ».
Selon les syndicats, le Dasen motive sa décision par les résultats des évaluations nationales, en deçà des résultats académiques et nationaux. Des évaluations « qui ne prennent pas en compte le nombre d’élèves évalués ni les élèves d’ULIS », souligne Myriam Vermale, « certains de ces élèves n’ayant même pas été scolarisés dans cette école avant le CP ». Là encore, le Dasen réfute.
Mardi 4 juin, une centaine d’enseignants et enseignantes du département étaient en grève en soutien à leurs collègues. Des dizaines de motions de soutien ont d’ailleurs été signées par les équipes pédagogiques des écoles du département. Sur les 8 enseignant·es (la directrice incluse), seul un·e n’a pas participé au mouvement. Comment se déroulera la prochaine rentrée ? Une équipe renouvelée dans sa quasi-totalité permettra-t-elle des conditions sereines d’apprentissage, un climat scolaire serein ? C’est le pari du Dasen… Pourtant, pas sûre que dans ces conditions, la rentrée soit réussie.
Lilia Ben Hamouda