La circulaire de 2021 « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire » enjoint à l’Ecole de faciliter l’intégration des élèves transgenres, par « des mesures individualisées », notamment en ce qui concerne le changement de prénom, l’expression de genre et les normes vestimentaires, ou encore l’usage d’espaces d’intimité. Préconisations précieuses, mais généralistes et non disciplinaires, y compris en ce qui concerne l’EPS, discipline pourtant essentiellement confrontée à la visibilisation des corps et éminemment genrée. Etonnant paradoxe qui a motivé Bastien Pouy-Bidard, doctorant contractuel en sciences de l’éducation et de la formation, et enseignant-formateur à l’INSPE de Versailles, à interroger, dans Transidentités en éducation physique et sportive, les expériences transidentitaires en cours d’EPS au regard du parcours de sept jeunes trans âgé.es de 18 à 20 ans. Mais à travers ce prisme disciplinaire, c’est aussi toute une réflexion sur le système de genre dominant dans le système scolaire que l’auteur propose…
Vous avez choisi de vous intéresser, dans le cadre de votre travail de recherche, à la question des transidentités en EPS : pour quelles raisons ?
Principalement compte tenu de la pénurie de travaux scientifiques prenant pour objet le triptyque transidentités-École-EPS. En 2020, lorsque j’ai débuté mes projets universitaires, le champ des sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) évoquait rarement les expériences des transidentités. Pareillement, le champ des sciences de l’éducation et de la formation examinait à la marge les parcours scolaires des élèves trans.
Pourtant, les échanges informels que j’avais eus avec les protagonistes laissaient largement présupposer la place prépondérante de cette discipline d’enseignement dans leur parcours scolaire. Il suffisait de consulter certaines de leurs publications sur les forums spécialisés ou plus largement sur les réseaux sociaux pour s’en rendre compte. Par ailleurs, dans la littérature académique, l’EPS était certes éparsement évoquée dans quelques-unes des publications scientifiques mais il convenait d’admettre qu’elles étaient particulièrement lacunaires sur le sujet. J’en étais très étonné. La chercheuse Sigolène Couchot-Schiex, avec laquelle j’avais eu l’opportunité d’échanger à ce sujet, l’était tout autant. Son ouvrage, Du genre en éducation. Pour des clés de compréhension d’une structure du social, le suggérait relativement fortement et j’ai eu, à ce titre certainement, le privilège de débuter ma thèse sous sa direction.
Aussi, outre cette aspiration à répondre à un enjeu scientifique majeur, je dois admettre que mes travaux ont été catalysés par mon appétence pour cette question vive qui débutait sa traversée dans le champ de l’éducation. Je souhaitais, très concrètement, contribuer à penser les modalités de prise en compte des élèves trans dans cette discipline. La publication, en 2021, de la circulaire Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire et les nombreuses interrogations qu’elle avait suscité auprès des professionnel·le·s de l’Éducation nationale ont confirmé ce projet. Les recommandations qui y étaient exposées, bien qu’elles puissent constituer des avancées inédites majeures, étaient somme toute peu singulières à l’EPS. En qualité d’ancien praticien dans cette discipline, je percevais que des interrogations subsistaient auprès de mes collègues : comment repenser la gestion de la mixité ? Quid de certaines formes de groupement ? Quel barème proposer à ces jeunes ? Comment appréhender les activités aquatiques ? En bref, autant de questions complexes auxquelles j’ai consacré mes travaux.
Dans Jeunesse : de nouvelles identités de genre Arnaud Alessandrin revient sur l’abandon du terme « transsexuel », en raison de sa connotation pathologisante psychiatrique, au profit des termes « transgenre » ou « trans ». Vous proposez de parler plutôt de « personnes transidentisées » ou « transisées » : pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
Je dois reconnaitre que cette proposition est délicate. Elle contraint à renoncer au terme « trans » qui finalise effectivement le processus de dépathologisation des transidentités. Je vais ainsi être particulièrement clair sur les enjeux d’une telle suggestion. Je n’ai aucunement la prétention de rejeter les termes évoqués précédemment mais j’aspire à désessentialiser l’identité qu’ils suggèrent.
Effectivement, dans les discours profanes, la transidentité est souvent invoquée comme un trait inné des personnes. Certaines personnes trans partagent d’ailleurs cette conception essentialiste de l’identité : les individu·e·s seraient, par essence, féminin·e·s ou masculin·e·s et les transidentités en seraient des preuves irréfutables. Selon moi, le problème se situe précisément à ce niveau-là. En fait, la sociologie du genre est claire à cet égard : la conscientisation de l’identité de genre est pleinement inscrite dans le contexte spatio-temporel dans lequel elle s’opère. Dès lors, pour traverser les frontières du genre, encore faut-il qu’elles existent et la transidentité est en cela inévitablement située.
De mon point vue, le terme « trans » échoue à en rendre compte. Il laisse davantage supposer ce que les personnes sont, plutôt que ce qu’elles vivent : c’est-à-dire, des expériences effectivement transidentitaires. En réponse à cela, j’ai modestement évoqué les termes « personnes transidentisées » ou « transisées ». D’ailleurs, la première formule me semble finalement bien plus pertinente que la seconde. Ce choix n’est pas un hasard. Il s’inspire de l’expression « personne racisée » que je considère particulièrement intéressante dès lors qu’elle contribue à souligner le processus de racisation des individu·e·s tout en prenant le soin d’évoquer le terme « race » comme concept scientifique critique et non comme une caractéristique naturelle. De la même manière, ma proposition suggère que les personnes seraient « transidentisées » ou « trancisées » en raison de leur identité de genre trans, laquelle n’est pourtant aucunement une donnée biologique.
En clair, à mon sens, ces termes ont le mérite de reconnaitre, sans ambiguïté, les expériences singulières des transidentités – notamment de transphobies – sans pour autant se résigner à légitimer l’identité trans en vertu de laquelle ces personnes sont distinguées et finalement stigmatisées.
Vous évoquez à plusieurs reprises l’idée que « l’Ecole Républicaine à la française » oscille entre une « ambition historique universaliste » et un « projet différentialiste de reconnaissance des différences » : pourriez-vous expliciter les enjeux de cette controverse ? En quoi se manifeste-t-elle particulièrement en EPS ?
Absolument. La controverse universalisme-différentialisme est centrale dans mes travaux de recherche. Ses enjeux peuvent être résumés, de manière assez triviale, en quelques mots.
D’un côté, l’ambition universaliste promeut l’indifférence aux différences entre les élèves. Largement évoquée dans les années 1970, cette égalité de traitement est présupposée garantir l’égalité réelle. La proposition est a priori ambitieuse : elle suppose la capacité de l’institution scolaire à faire fi du sexe des élèves. Dans les faits, l’exercice semble bien plus complexe et, à vrai dire, il est assez délicat de l’apprécier a posteriori. En effet, l’universalisme est un mythe et l’ambition visée un échec. L’hégémonie masculine et la bicatégorisation des sexes en milieu scolaire sont restées tenaces et force est de constater que l’École ne s’est jamais véritablement emparée de la proposition. Il suffit d’investiguer l’EPS pour s’en rendre compte. Des vestiaires aux évaluations en passant par les formes de groupement, les élèves y sont continuellement identifié·e·s comme des filles ou des garçons. Cette ambition universaliste est pour autant historiquement partagée et relativement défendue dans la discipline. Elle semble de surcroît de nouveau en chantier au sein du département des STAPS de l’Université Lyon : l’approche anthropo-socio-didactique du genre qui s’y développe depuis les années 2010 ose imaginer les modalités d’une discipline capable de dépasser les binarités hommes-femmes et masculin-féminin.
Entre-temps, les années 1980 ont vu émerger un tournant différentialiste dont le projet diverge significativement : il s’agit là de prendre en compte les différences. En EPS, ce cheminement est selon moi assez manifeste dans l’approche différentielle du genre, déployée au sein du département des sciences de l’éducation de l’Université de Toulouse. Certes, la transgression des normes de genre y est envisagée mais, pour autant, la binarité semble restée structurante des propositions didactiques formulées. En ce début du XXIème siècle, il est raisonnable d’affirmer que l’approche différentialiste en éducation semble largement partagée, sans pour autant que l’horizon universaliste soit abandonné.
L’EPS est donc sur cette question actuellement partagée entre approche universaliste et approche universaliste, dans une sorte d’entre-deux ? Comment les transidentités peuvent-elles être envisagées au prisme de cette controverse ?
Effectivement, la discipline est également tiraillée entre ces deux suggestions et je m’interroge à cet égard : qu’en sera-t-il dans les prochaines années ?
À vrai dire, l’introduction de la « question trans » laisse inévitablement augurer des évolutions. D’un côté, un néo-universalisme en EPS pourrait se révéler particulièrement intéressant pour les jeunes en questionnements ou dont l’identité trans n’est pas exprimée. Dans ce cas précis, l’indifférence au sexe, au genre et à l’identité de genre des élèves leur ouvrirait indéniablement le champ de tous les possibles. Cela vaut finalement pour l’ensemble des enfants et adolescent·e·s.
Mais d’un autre côté, les jeunes trans dont l’identité de genre est assumée s’accordent difficilement à penser que la discipline puisse être indifférente à leur égard. Pour eux, l’approche différentialiste de l’EPS semblerait davantage garante de la reconnaissance de leur identité de genre.
Dans mon ouvrage, je suis cependant assez prudent à l’égard du différentialisme en éducation. Mon ancrage en sociologie du genre m’y contraint. En fait, la différentiation pédagogique entre les filles et les garçons que promeut l’approche différentialiste me semble bien hasardeuse : elle requiert de présumer l’homogénéité des unes et celle des autres. Pire, elle tend parfois à penser l’égalité des jeunes sous réserve de leur complémentarité. L’ouvrage Quelle égalité pour l’école ? dirigé par Loïc Szerdahelyi renseigne assez finement de cette limite. Personnellement, dans le cadre de mes recherches, je ne peux qu’être interpellé par cette stratégie que je considère risquée. Mes travaux soulignent précisément certaines des incohérences d’une approche différentialiste qui présuppose la féminité des filles et la masculinité des garçons. Les élèves trans en sont les témoins privilégié·e·s. Il·elle·s ne sont pas les seul·e·s.
Ainsi, je dois admettre avoir amplement reconsidéré l’universalisme au prisme des expériences des jeunes trans. Certes, il ne s’agit certainement pas d’une réponse idéale. Du moins, en l’état. En grande partie pour la raison précédemment évoquée : il est inopérant. Je tends néanmoins à soutenir une ambition néo-universaliste, que je crois prometteuse sous réserve qu’elle se donne les moyens de ses ambitions. Cet universel doit être remis à l’épreuve, discuté, partagé et inévitablement fluidifié. Il pourrait ainsi, j’ose y songer, apparaître redoutable face aux enjeux soulevés par la « question trans » en milieu scolaire et plus particulièrement en EPS.
Vous montrez combien il est problématique de vivre sa transidentité dans une discipline structurée par une bicatégorisation, qui va de l’organisation des infrastructures à la question des regroupements, en passant par les tenues vestimentaires. Vous abordez notamment la question des vestiaires : qu’en disent les enquêté.es et comment pourrait-on améliorer ces espaces pour favoriser la prise en compte des élèves transgenres ?
Effectivement, les vestiaires sont au cœur des préoccupations des jeunes trans. Mon ouvrage souligne néanmoins en quoi leurs expériences divergent considérablement et sont en outre particulièrement tributaires de leur parcours de transition.
J’ai distingué, d’un côté, les élèves dont l’identité de genre n’est pas manifestée. Ces jeunes aspirent souvent à conserver le vestiaire qui leur est assigné. Dans certains contextes d’établissement, il s’agit d’une option non négociable. Notamment pour les filles trans, souvent en première ligne face aux agissements transphobes.
À l’inverse, les jeunes dont l’identité de genre est connue et admise tendent à délaisser leur vestiaire au profit d’un local individuel. Très concrètement, il s’agit bien souvent d’un espace de maintenance ou de stockage du matériel d’EPS. Il est également fréquent de voir proposer à ces jeunes de se changer au sein des toilettes, souvent celles réservées au personnel. Bien que ces solutions semblent clairement valorisées par les transidentités et les enseignant·e·s, il convient d’en saisir les limites évidentes… Quel message est ici renvoyé aux élèves trans ? Ne méritent-il·elle·s pas de partager cette tranche de vie du vestiaire à l’instar de leurs camarades ? Il·elle·s sont assez nombreux·euses à me faire part de ce témoignage bien que, finalement, il·elle·s sont peu à investir le vestiaire qui correspond à leur identité de genre. Toute la complexité réside en cela et les réflexions visant à repenser ces infrastructures doivent en tenir compte.
De mon point de vue, deux temporalités d’intervention nécessitent d’être distinguées. La première, à court terme, implique d’être à l’écoute des jeunes, de leurs expériences dans ces lieux d’intimité et d’agir en conséquence. Très concrètement, la circulaire Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire est explicite. Trois solutions peuvent être envisagées : autoriser l’élève trans à intégrer le vestiaire qu’il·elle souhaite ; lui proposer un espace réservé ; lui suggérer un horaire aménagé pour se changer. Ces alternatives, que je considère finalement relever du bon sens, ont néanmoins un angle mort saillant. Elles n’envisagent aucunement le fait qu’une majorité de jeunes trans n’informe pas les membres de l’établissement scolaire de leur identité de genre. Les élèves en questionnements sont également concerné·e·s. Pour autant, l’enseignant·e d’EPS n’est pas impuissant·e face à cela. Certainement doit-il·elle s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’annonce de la transidentité et le changement de vestiaire est inenvisageable chez certain·e·s jeunes ?
Ensuite, la deuxième temporalité d’action, à plus long terme, voire très lointaine, requiert d’interroger la pertinence d’une bicatégorisation dogmatique des vestiaires. J’insiste souvent sur ce point que je considère essentiel. Les vestiaires ont été fondés sur un ordre hétéronormatif : filles et garçons y ont été séparé·e·s sous prétexte d’une inévitable attirance mutuelle. Or, ce postulat néglige l’existence d’élèves gays, lesbiennes ou encore bisexuel·le·s. Le souligner discrédite totalement les arguments en faveur de la séparation des filles et des garçons dans les vestiaires. Est-il néanmoins raisonnable d’envisager une cohabitation prochaine de l’ensemble des élèves au sein d’un unique vestiaire collectif ? Ce n’est pas évident. D’ici-là, certainement conviendrait-il de prioriser l’implantation de vestiaires individuels. La proposition est particulièrement couteuse certes. Elle est en ce sens a priori bien utopique, j’en conviens. Néanmoins, à défaut d’opérationnaliser l’une de ces deux solutions, il me semble qu’aucune issue possible ne soit envisageable et que les propositions formulées par la circulaire à laquelle j’ai fait mention soit finalement les moins inintéressantes.
Les barèmes de performances différenciés filles /garçons aussi posent problème : quelle grille référentielle appliquer à un.e élève transgenre ? Et quelle légitimité, de toute façon, ont ces barèmes qui négligent la diversité des élèves ? Comme le dit l’un.e de vos témoins, on peut en EPS être « une fille super costaud » ou un garçon « un peu faible » : quelles modalités plus équitables d’évaluation commence-t-on à envisager ?
C’est exact. Mon enquête auprès des transidentités révèle les incohérences de certaines modalités d’évaluation en EPS. Tout d’abord, je souhaite là-encore préciser que le positionnement des jeunes est véritablement pluriel. Les filles trans semblent particulièrement à l’aise avec l’idée d’investir le barème féminin : pour elles, il s’agit d’une opportunité d’entériner leur identité de jeune femme. Quelques-unes confient de surcroît profiter d’une attente moindre envers leurs performances et s’en étonnent bien souvent : ce sont d’ailleurs de très bonnes sociologues du genre ! Les témoignages des garçons trans sont sensiblement différents. Certes, ils expriment également l’importance de pouvoir accéder au barème de leur choix : en l’occurrence, masculin. Toutefois, la plupart hésitent manifestement à l’investir et jugent les performances masculines bien trop exigeantes. Finalement, ils sont néanmoins nombreux à passer outre.
Je trouve que ces expériences de transgression des normes de genre sont particulièrement significatives : elles renseignent de la croyance en une inévitable infériorité des corps féminin en EPS, laquelle est précisément mise à mal par les transidentités. Effectivement, dans mon enquête, les garçons trans – assignés filles à la naissance – surperforment dans les APSA. En cela, ils témoignent du poids des représentations genrées dans les écarts de performances entre les élèves. Je crois pouvoir affirmer que mes recherches apportent en cela un nouvel éclairage sur un piège effectivement manifeste dans cette discipline : négliger la diversité au sein des groupes de filles et de garçons. Pour cette raison, je reste sceptique envers la proposition visant à laisser la possibilité aux élèves trans d’investir le barème de leur choix. Pourtant, elle a indéniablement le mérite de reconnaitre l’identité de genre des jeunes. À vrai dire, je dois admettre qu’il s’agit d’une option que j’ai peu relevée dans mon enquête.
La bicatégorisation de la notation en EPS est bien moins dogmatique qu’elle ne le fut et l’évaluation des élèves est désormais rarement indexée à leur sexe. Il est d’ailleurs proposé, depuis plusieurs années, des pratiques innovantes reconnaissant que l’hétérogénéité des élèves est considérable : aussi bien entre les filles et les garçons qu’au sein de chacun de ces deux groupes. Je pense notamment aux évaluations fondées sur des performances auto-référencées, lesquelles soulignent qu’il est moins opportun de bicatégoriser les barèmes que de les individualiser. Cette alternative est à mon sens de loin la plus cohérente lorsqu’il s’agit de penser la prise en compte des élèves trans en EPS. Elle contribue en somme à éviter un écueil majeur dont il convient de se prémunir auprès de l’ensemble des jeunes : celui de leur laisser l’opportunité d’être de « vraies filles faibles » ou de « vrais garçons forts » dans la discipline.
Pour conclure on peut dire que si l’EPS confronte les élèves trans à leur mégenrage, elle peut être aussi un lieu safe d’affirmation émancipatrice de soi. Comment pourrait-elle, ainsi que ses enseignant.es, accueillir davantage ces questions transidentitaires, et devenir un lieu de déconstruction des attentes stéréotypées, et des « allant-de-soi » supposés « neutres » et « universels » ?
Tout à fait. C’est un paradoxe très fort. L’EPS est parsemée d’épreuves auxquelles sont confronté·e·s les élèves trans. Elles constituent néanmoins des occasions inespérées pour qu’il·elle·s puissent faire la preuve de leur identité de genre. D’un côté, les jeunes en questionnements ou dont l’identité de genre n’est pas manifestée sont particulièrement bousculé·e·s par la discipline. De l’autre, ceux dont la transidentité est pleinement annoncée semblent davantage mobilisé·e·s par l’EPS. En résumé, l’hégémonie du genre dans la discipline apparaît simultanément contraignante et inspirante pour les jeunes trans.
Selon moi, l’ultime question à soulever est la suivante : convient-il de construire une EPS néo-universaliste, véritablement indifférente au sexe, au genre et à l’identité de genre des élèves ou faut-il poursuivre le tournant différentialiste de la discipline dans lequel ces variables seraient a contrario prises en compte ? L’interrogation est complexe. Toute réponse doit nécessairement l’être également.
De mon point de vue, il convient de souligner qu’à l’instar des élèves cis, les jeunes trans sont éminemment socialisé·e·s dans le système de genre et ne sont aucunement imperméables aux normes qui y sont diffusées. Ainsi, la prise en compte de ladite identité féminine/masculine en milieu scolaire me semble périlleuse, précisément du fait qu’elle relaie une croyance que la sociologie du genre s’active à déconstruire. Je crois davantage dans l’inclusion des identités de genre plutôt que dans leur prise en compte. J’estime qu’il est plus soutenable, à long terme, de s’employer à déconstruire les normes de genre desquelles émanent les épreuves évoquées par les transidentités. Dans ce cadre, l’utopie d’un vestiaire unique, l’abandon d’une mixité sexuée dogmatique ou encore la généralisation des performances auto-référencées sont autant de leviers à mobiliser.
Plusieurs espaces de réflexion méritent d’être convoqués pour cet exercice. Tout d’abord, il me semble indispensable de dynamiser les études de genre et plus particulièrement les études trans dans le champ des STAPS et des sciences de l’éducation et de la formation qui, soyons honnêtes, sont restées en retrait des sujets évoqués. Ensuite, je crois nécessaire de donner suite à la circulaire fixant les lignes directrices en matière de prise en compte des identités de genre en milieu scolaire. J’ai le sentiment qu’il est temps d’envisager une disciplinarisation des préconisations. L’EPS est une discipline unique et les injonctions institutionnelles actuelles n’y prêtent guère attention lorsqu’il s’agit de penser la « question trans ». Enfin, la formation initiale et continue apparaît inévitable. Bien que la promotion de l’égalité filles-garçons en milieu scolaire ait récemment propulsé les travaux de sociologie du genre dans les maquettes de formation des enseignant·e·s, il est néanmoins très rare que la transidentité y soit significativement abordée. Pour terminer, je crois essentiel de faire confiance aux praticiens·ne·s dont l’expertise les guide indéniablement à opérer des choix lucides au prisme des contraintes qui sont les leurs.
Force est de constater que les choses avancent. Certes, relativement lentement mais certainement.
Propos recueillis par Claire Berest
Transidentités en Education physique et sportive (EPS), Bastien Pouy-Bidard. Editions L’Harmattan – ISBN : 978-2-14-030087-5.