Mercredi 27 septembre, Gabriel Attal et Élisabeth Borne annonçaient en grande pompe un plan de lutte contre le harcèlement scolaire. Parmi l’arsenal présenté : l’expérimentation de cours d’empathie dans 100 écoles dès janvier 2024. Finalement, ce sont 1000 écoles qui expérimentent ces cours depuis le 8 janvier. Les enseignantes et enseignants sont invités à s’appuyer sur un kit pédagogique. Vanessa Duboye, professeure des écoles, analyse ce dernier pour les lecteurs et lectrices du Café pédagogique.
Un kit Éducation nationale pour les cours d’empathie en primaire
Dans le cadre de la prévention du harcèlement, le ministère de l’Éducation nationale lance une expérimentation de « cours d’empathie » dans plus de 1000 écoles volontaires entre janvier et juin 2024. Un kit pédagogique, développé par la Dgesco, des délégations académiques, l’IGÉSR et Santé publique France, sera utilisé dans 30% de ces écoles. Ce kit, publié juste avant les vacances de Noël, s’étalera sur trois volumes, avec les deuxième et troisième volets prévus pour fin janvier et le printemps.
Le kit, présenté comme une ressource directement mobilisable par les enseignants sans formation préalable, se veut prêt à l’emploi.
Après une introduction soulignant l’importance du développement des compétences psychosociales (CPS) en milieu scolaire, le premier volume du kit présente 6 activités destinées aux élèves du cycle 1 et 6 autres pour les cycles 2 & 3. Ces activités ont pour objectif de promouvoir l’auto-évaluation positive, d’accroître la connaissance des émotions, et de favoriser une communication empathique.
Les thématiques sont introduites par un court “éclairage scientifique” mais le document ne cite pas explicitement les sources sur lesquelles il se fonde. La seule référence fournie à la fin du kit renvoie au rapport d’octobre 2022 de Santé publique France sur les CPS.
Chaque activité, d’une durée variable de 15 à 45 minutes, est décrite succinctement, suivant un schéma comprenant une phase de mise en projet, une mise en activité, et un bilan. Les fiches intègrent parfois des modalités de différenciation, une rubrique « pour aller plus loin », ainsi que des ressources à imprimer. Cependant, elles se révèlent à la lecture très synthétiques, voire sommaires. On remarque notamment la non prise en considération des difficultés potentielles qui pourraient surgir pendant les activités qui sollicitent souvent une expression personnelle, voire intime, de la part des élèves.
Des séances pauvres et déconnectées
Les activités reposent principalement sur des jeux simples et des modalités d’expression, telles que des discussions et des mimes où les élèves vont être amenés à dire, pour eux ou pour leurs camarades, comment ils se perçoivent ou ce qu’ils ressentent. Chaque séance débute par la formulation explicite de l’objectif lié aux compétences psychosociales, pour se conclure par un retour réflexif sur ce qui a été appris.
Par exemple l’activité 4 “Découvrir et utiliser ses forces” pour les cycles 2 et 3 commence par l’explicitation de l’objectif ainsi rédigé sur la fiche : “apprendre à identifier ses forces pour renforcer sa confiance en soi et les mobiliser au service du groupe”. Ensuite les élèves à l’aide d’un jeu de cartes doivent chercher une, deux ou trois forces qu’ils possèdent et les recopier sur leur cahier. Puis, ceux qui le souhaitent sont invités à lire leurs forces et à expliquer quand ils les utilisent, en complétant la phrase “J’ai la force… quand…” avec donné en exemple : “J’ai la force générosité quand je partage mon goûter”. Ensuite une affiche des forces de la classe est élaborée où les élèves sont invités à coller leurs forces avec leur prénom, et enfin l’enseignant leur demande ce qu’ils ont appris aujourd’hui à travers cette activité.
Les fiches manquent de détails dans leur déroulement et présentent des contenus peu motivants et mal contextualisés. Il manque clairement une stratégie d’ensemble qui s’inscrive dans le quotidien de la vie de la classe et dans les séances d’apprentissages scolaires. En l’état cela risque de ne pas faire sens et d’aboutir à des séances déconnectées et “convenues” où il s’agira surtout pour les élèves de deviner les réponses et attitudes attendues.
Évidemment, nombre d’enseignants, surtout s’ils sont vraiment volontaires et déjà sensibilisés aux CPS, sauront mettre du liant, du sens et de la profondeur en allant au-delà du kit.
Des points positifs et d’autres préoccupants
Ce kit comporte des points positifs, notamment sa mise à disposition publique qui permet à chacun de s’en saisir, y compris en dehors des écoles incluses dans l’expérimentation. Il est un point de départ qui va pouvoir être amélioré par les expérimentateurs et ajusté par les concepteurs. Il est appréciable que dans la partie sur les émotions les photos montrent un garçon triste et une fille en colère ce qui casse les stéréotypes de genre.
L’absence des sources sur lesquelles s’appuient la présentation des CPS et les objectifs des séances est vraiment regrettable. En dehors du rapport de Santé publique France, on n’a rien, même pas de renvoi vers les travaux d’Omar Zanna grand spécialiste français reconnu concernant l’empathie. On aimerait aussi connaître l’identité des rédacteurs et des chercheurs qui suivront l’expérimentation pour pouvoir se référer à leurs travaux sur la question.
Autre question préoccupante, il est précisé dans une activité pour le cycle 1 (p 50) “Le cercle des émotions” qu’en cas de propos d’un enfant mettant en cause des camarades, l’enseignant demande expressément à ce qu’ils ne soient pas nommés. Cela donne comme signal aux élèves qu’il ne faudrait pas désigner ses agresseurs, ce qui est contradictoire avec le souci de libérer la parole des enfants.
Une expérimentation à suivre…
Rien n’est précisé concernant l’information et la sensibilisation des parents, ce n’est évoqué ni dans le kit ni dans le diaporama présentant l’expérimentation, espérons que cela est néanmoins prévu.
On peut aussi se demander si l’expérimentation de ces séances, sans une formation dédiée, est bien raisonnable. Tout dépendra probablement des profils des équipes et de la façon dont elles vont être accompagnées par le ministère ou plus localement.
Il va être très intéressant de suivre cette expérimentation, de découvrir la méthodologie utilisée, les différences qui pourraient apparaitre selon les méthodes mises en œuvre, les retours des enseignants, des parents et des enfants… Par contre, l’annonce déjà faite de la généralisation en septembre 2024, sans recul significatif ni premiers résultats, est pour le moins étonnante.
Vanessa Duboye
Professeure des écoles
Le Kit pédagogique pour les séances d’empathie à l’école (volume 1)
Le diaporama du webinaire de présentation de l’expérimentation des séances d’empathie