Pour Daniel Bart, l’enquête PISA pose problème, et cela à plusieurs égards. « L’approche du PISA nous semble effectivement conduire à « porter des jugements » sur l’École, mais moins « en toute connaissance de cause » qu’à des « jugements » hâtifs et peu nuancés sur des fonctionnements scolaires pourtant complexes » écrit le chercheur spécialiste de la question de l’évaluation des systèmes scolaires. Quant aux déclarations de Gabriel Attal, dans la foulée de la publication des résultats du PISA, Daniel Bart s’interroge sur leur cohérence qu’il explique « peut-être par le fait que le ministre s’est dit guidé par une curieuse « boussole », celle de « la science et du bon sens », qui indique sans doute deux directions opposées ».
Interrogeant récemment dans le Café pédagogique la prise en compte des points de vue critiques par le PISA, c’est peu de dire que le « lancement mondial » des résultats de l’édition 2022 aura confirmé que l’importance des dispositifs de communication (et l’avalanche de tableaux et de graphiques) n’assure pas toujours l’expression d’avis contrastés. Au-delà des responsables de l’OCDE et du PISA, la table-ronde ayant suivi la conférence de presse ne réunissait ainsi que des membres de différents gouvernements, sans représentation des acteurs scolaires, des pédagogues, des chercheurs, etc. et sans interrogation critique sur le fonctionnement du PISA lui-même et sur ses résultats (au-delà des questions des journalistes). Cela semble loin d’être anecdotique pour une évaluation qui a pour visée de donner son avis sur l’École et ses acteurs, mais surtout n’a de cesse d’appeler « les individus […] à se comporter en citoyennes et citoyens du XXIè siècle constructifs, engagés et réfléchis, c’est-à-dire à porter des jugements et à prendre des décisions en toute connaissance de cause ».
Les apports du PISA permettent-ils en effet de « porter des jugements et [de] prendre des décisions en toute connaissance de cause » sur les enjeux scolaires ? Les analyses des écrits du PISA et plus largement des discours du Programme que nous menons depuis plusieurs années, notamment avec Bertrand Daunay, nous conduisent plutôt à en douter. Plus exactement, l’approche du PISA nous semble effectivement conduire à « porter des jugements » sur l’École, mais moins « en toute connaissance de cause » qu’à des « jugements » hâtifs et peu nuancés sur des fonctionnements scolaires pourtant complexes. Certes, les points de vue et conversations quotidiennes sur l’École, les enseignants, les élèves, les parents, etc. n’ont pas besoin du PISA pour prospérer. Toutefois les orientations de cette évaluation tendent non seulement à favoriser les généralités et raccourcis en la matière, mais plus encore, le discours du PISA, donnant toutes les garanties de la scientificité, peut s’appuyer lui-même sur des généralisations pressantes.
Pour s’en rendre compte, on peut par exemple lire la synthèse des résultats ou réécouter la conférence de presse du mardi 5 décembre disponibles sur le site web du PISA. On constate ainsi que « les élèves » qui ont été évalués par le PISA et dont les résultats sont discutés, y apparaissent comme des figures abstraites, abordés de manière générale, parfois dénommés « les jeunes » sans que leur âge ne soit toujours précisé (environ 15 ans). Or ce critère d’âge, choisi par le PISA pour sa proximité avec la fin de la scolarité obligatoire, doit être pris en compte pour faire justement apparaitre les limites d’un tel choix et d’une approche globale : en France par exemple, on peut à 15 ans fréquenter différentes voies et niveaux de collège, lycée professionnel, lycée agricole ou lycée d’enseignement général et technologique, sans compter les réseaux d’éducation, les secteurs public et privé… Et chercher à analyser finement les résultats du PISA fait apparaitre la complexité des phénomènes en jeu, bien loin des considérations générales et désincarnées sur les performances des « élèves », leur degré d’« auto-motivation » et de « distraction » ou la « recette pour l’équité » et autres « opportunités d’apprentissage », comme on peut l’entendre dans la présentation des résultats de l’édition 2022.
Les simplifications du discours du PISA autour des résultats et du palmarès des systèmes scolaires alimentent plus encore les incessants débats sur le « niveau » des élèves. Sur ce point, le rythme triennal de l’évaluation du PISA, qui ne répond ni à un besoin de la recherche ni à la temporalité longue des processus d’éducation et de formation, constitue un ressort puissant. Mais la conception de l’évaluation du PISA même favorise aussi ces discours de généralité sur le « niveau » des élèves au plan mondial. Comme le montrent encore les derniers rapports du PISA 2022, le contenu des épreuves est ainsi présenté tout à la fois comme centré sur les compétences de la « vie réelle » tout en se référant plus ou moins à des disciplines ou domaines d’enseignement (mathématiques, sciences et compréhension de l’écrit) qui ne sont pourtant jamais clairement décrits en tant que tels (exigences, curriculum, etc.). De même, on ne trouve nulle part d’explication claire sur le lien entre le contenu des épreuves et les programmes d’enseignement des dizaines de pays participants. Dès lors, raisonner sur le « niveau » des élèves sans cette connaissance fine des modalités d’évaluation dans le PISA (sans parler de la complexité statistique), supposerait une prudence qui trancherait certainement avec les affirmations à l’emporte-pièce sur les « savoirs et savoir-faire des élèves en mathématiques » ou sur le fait que quasiment 70% des élèves des pays de l’OCDE « commencent à faire preuve d’aptitudes et d’initiatives dans l’application des mathématiques à des situations simples de la vie réelle ».
La conférence de presse du ministre de l’éducation nationale français, organisée peu après celle du PISA, n’a du reste pas manqué elle aussi de quelques formules fortes sur le « niveau » des élèves, évoquant même un objectif « électrochoc » en la matière. Cet objectif est peut-être une allusion au « PISA Schock » qu’avait connu l’Allemagne après la découverte des résultats nationaux lors du premier PISA en 2000. Parmi les mesures détaillées par le ministre, dont plusieurs annoncées il y a quelques semaines, certaines semblent cependant assez peu compatibles avec les orientations que promeut le PISA d’après les « systèmes éducatifs résilients » (centration sur des « savoirs fondamentaux » en primaire ; redoublements, groupes de niveaux et renforcement du poids du brevet au collège, etc.) tandis que d’autres semblent plus proches (révision des programmes du primaire et introduction de la « méthode de Singapour » en mathématiques). L’interrogation sur la cohérence de ces mesures s’explique peut-être par le fait que le ministre s’est dit guidé par une curieuse « boussole », celle de « la science et du bon sens », qui indique sans doute deux directions opposées. Nul doute en tout cas qu’une telle « boussole » ne devrait pas aider à y voir beaucoup plus clair sur les questions scolaires, tant elle ajoute encore, aux difficultés de l’École, l’approximation et la confusion des discours qui la concernent, voire leur navigation à vue.
Dans le Café pédagogique
Daniel Bart : Pisa et les points de vue critique