Arnaud Gallais, fondateur du collectif Prévenir et Protéger et victime de violences sexuelles dans son enfance, est l’un des 23 membres de la Ciivise – Commission Indépendante sur l’Inceste et les VIolences Sexuelles faites aux enfants. Pendant près de deux ans, avec les autres membres de la commission, il a recueilli 30 000 témoignages de victimes. De ces témoignages est né un rapport qui a été remis au gouvernement le 17 novembre dernier. Lundi 20 novembre, la première ministre présentait quant à elle un Plan de Lutte contre les violences faites aux enfants. Arnaud Gallais s’étonne que celui-ci tienne si peu compte des préconisations de la Ciivise. Il répond aux questions du Café pédagogique.
Qu’est-ce que la Ciivise ?
La commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a été mise en place par Emmanuel Macron en janvier 2021 à la suite du mouvement #Metoo inceste. Il a nommé à sa tête deux coprésidents, Nathalie Mathieu – directrice générale d’une association et le juge aux affaires familiales Edouard Durand. Sa mission première c’était de dire aux victimes qu’on les croit et qu’elles ne sont plus seules. C’est d’ailleurs comme cela que le Président a présenté notre mission.
Dans cette optique, nous avons recueilli près de 30 000 témoignages. Nous voulions montrer que les violences sexuelles faites aux enfants sont loin d’être à la marge. À travers ces récits de victimes, on montre aussi ce qui est proposé en matière de prévention, de soins, de réparation…
Vous avez remis votre rapport le 17 novembre dernier. Quelles sont vos préconisations pour l’éducation nationale ?
Nous avons rendu notre rapport au gouvernement le 17 novembre. Le 20 novembre, on l’a présenté publiquement à la maison de la radio.
Du point de vue de l’école, nous demandons que les cours d’éducation à la sexualité aient bien lieu, c’est un espace de prévention de ces violences si les personnels sont vraiment formés, évidemment.
Les professionnels de l’école doivent aussi être sensibilisés dans le cadre de leur formation, initiale et continue. Ce sont 160 000 victimes de violences sexuelles chaque année qui évoluent au sein de l’école, soit 2 à 3 enfants par classe. L’école est le premier lieu de prévention car 95% de ces violences sont intrafamiliales. Aujourd’hui, l’école est le premier pourvoyeur d’informations préoccupantes et de signalement. L’école fait beaucoup, mais elle pourrait faire plus et mieux.
Dans les formations des professeurs, il y a très peu de choses sur les violences sexuelles faites aux enfants. On demande des temps de formations obligatoires sur cette problématique – dans le cadre de la formation initiale et continue. Pas seulement pour les enseignants, mais pour tous les personnels qui travaillent au sein des écoles et établissements.
Le dépistage soulève aussi la question du manque de professionnels spécifiques : infirmières scolaires, médecins scolaires. Ils sont indispensables pour un accompagnement des élèves et des enseignants dans le dépistage des situations de violences sexuelles.
Si on veut agir, l’école est un levier essentiel. D’ailleurs, je déplore l’absence du ministre de l’Éducation nationale à la remise du rapport le 17 novembre…
Le plan de Lutte contre les violences faites aux enfants présenté par Élisabeth Borne n’évoque pas la question de l’École. Comment l’interprétez-vous ?
Plusieurs choses me surprennent dans ce plan. La première, c’est la méthode. On fait un nouveau plan sans avoir fait le bilan du dernier. Et puis, sur le fond, en effet l’absence de mention de l’école est plus que surprenante. On nous répondra que c’est en filigrane. Mais ce sujet mérite plus que cela.
Finalement, c’est assez significatif du manque d’intérêt du gouvernement sur la question des violences sexuelles faites aux enfants. Le 20 novembre, journée internationale des droits de l’enfant, aucun représentant du gouvernement n’était présent à la présentation publique. Sur un sujet aussi important, c’est tout bonnement ahurissant. Cela semble être une des signatures de ce gouvernement. Ce n’est ni très correct ni très élégant. Les 23 membres de la commission se sont engagés pendant trois ans bénévolement dans cet énorme travail de recension et de préconisations.
Finalement, on nous a demandé un rapport, mais peu de chances que nos préconisations soient réellement suivies d’effets.
Les deux co-présidents de la Ciivise ne sont pas renouvelés dans leur fonction. Une décision que vous contestez, vous avez d’ailleurs lancé une pétition. Que signifie ce choix de non-renouvellement ?
C’est dans le cadre du collectif Mouv’Enfants – qui regroupe des victimes de violences – que j’ai lancé cette pétition. Elle est en accord avec le positionnement des membres de la Ciivise qui ont écrit à la secrétaire d’État chargée de l’enfance, Charlotte Caubel, pour demander le maintien des deux présidents.
Pourquoi c’est important ? Parce que Nathalie Mathieu et Edouard Durand incarnent la doctrine de la Ciivise, la manière de faire de cette commission. Si on a réussi à réaccueillir près de 30 000 témoignages, c’est que les victimes – dont je fais partie – nous ont fait confiance.
A titre personnel, je pense que la parole du juge Durand gêne. Il n’hésite pas à dénoncer les dysfonctionnements – c’est tout de même le but de cette commission. On nous reproche peut-être aussi d’être allés plus loin que ce que l’on nous demandait. Notre mission montre que les violences sexuelles faites aux enfants sont un fait social.
Pour les victimes, notre action compte, beaucoup nous ont dit : on a attendu ça toute notre vie. Le fait qu’Édouard Durand soit un juge est symboliquement très fort lorsque l’on sait que seulement 4% des enfants victimes de viol déposent plainte. Et vous savez pourquoi ? Parce que 73% de ces plaintes sont classés sans suite, car les faits ne sont pas suffisamment caractérisés selon le magistrat. Moins de 1% de ces plaintes sont considérées comme des crimes et aboutissent aux assises. Tout le reste est correctionnalisé, et le fait devient donc juste un délit. C’est d’une extrême violence pour les victimes.
La double présidence permet d’avoir les deux facettes de la réception de la parole des victimes : l’associatif qui accompagne, la justice qui reconnait.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda