« Etre enseignant ne se conjugue pas de la même façon au masculin et au féminin », rappelle Stéphanie Dauphin dans un ouvrage sur l’histoire des enseignantes (« Les enseignantes en France (XVIème – XXème siècle), Presses Universitaires de Rennes). La féminisation du corps enseignant ne s’est pas accompagnée d’une réelle égalité entre les genres dans l’institution scolaire. Mais l’ouvrage met à jour une dialectique intéressante pour l’ensemble de la société française. Si les femmes enseignantes n’ont pas conquis l’égalité dans l’Education nationale, elles ont trouvé dans le métier enseignant des ferments de libération. Surtout, ces enseignantes ont puissamment contribué à changer la société. C’est cette approche féministe qui fait, avec la richesse des savoirs, la particularité et la richesse d’un ouvrage qui concerne tout le monde enseignant. Stéphanie Dauphin (Université d’Artois) présente les apports du livre qu’elle a dirigé.
Comment ce livre est-il né ?
Il résulte de deux journées d’étude organisées à l’Université d’Arras. Je voulais faire dialoguer les disciplines sur une question socialement vive : celle de la place des femmes. Le livre accueille des travaux d’historiens mais aussi de sociologues, comme Marlaine Cacouault-Bitaud.
Pour les femmes, entrer dans l’enseignement est-ce une libération ou une autre aliénation ?
C’est une tension. Le métier est, à l’origine, un métier d’homme aussi bien au primaire qu’au secondaire. C’est à partir des années 1880-1890 que le métier se féminise. Ce métier permet aux femmes de trouver une place dans la société et de jouer avec les codes du genre. En partie elles s’y soumettent. En partie elles s’en émancipent.
Par exemple, Mélanie Fabre montre comment trois femmes se sont émancipées intellectuellement à travers l’école et sont devenues des intellectuelles qui ont un rôle politique important grâce à leur place dans l’institution scolaire. Ce sont des féministes averties qui, grâce à l’Ecole, ont fat une carrière et porté une parole politique.
En sens contraire, on voit au 19ème siècle des femmes institutrices qui ont subi leur condition et ont du mal à s’émanciper. Elles sont reléguées dans des écoles rurales et sont très contrôlées du point de vue moral, de leur tenue. Finalement elles ne peuvent pas faire de pas de coté et dénoncent dans des écrits littéraires leurs frustrations.
Il faut lire les rapports d’inspection de l’époque. Il y a une liberté de ton des inspecteurs qui dit quelque chose des attentes au niveau des normes de l’institution et aussi des tensions dans ce qu’on demande à ces enseignantes. On attend d’elles une autorité reconnue et en même temps on leur reproche cette qualité !
Peut-on dire que l’enseignement a été un moteur de l’émancipation des femmes? Et que ces enseignantes ont été motrices pour l’émancipation des femmes ?
Les enseignantes se sont émancipées à travers l’Ecole. Mais pas totalement. Par rapport aux carrières offertes aux hommes elles n’ont pas les mêmes possibilités. Marlaine Cacouault-Bitaud montre dans l’Entre Deux Guerres et dans les années 1950, que les femmes ont eu des possibilités de promotion, devenir cheffe d’établissement ou avoir des responsabilités administratives importantes. Mais l’institution n’était pas réellement prête à cela. Par contre, dans les années 1960-1970, quand l’institution était davantage prête, les femmes le sont moins. Il y a aussi une forme d’autocensure chez les enseignantes qui cherchent un équilibre entre vie professionnelle et personnelle et le payent au niveau de leur carrière.
Quelles carrières ont eu ces femmes par rapport à celles des hommes ? Doit-on parler « d’exceptions consolantes » ?
Il y a des femmes qui ont eu des trajectoires exceptionnelles. Par exemple Odette Brunschwig qui a œuvré pour la mixité scolaire et s’est battue pour être professeure de lettres. Grande pédagogue, elle termine sa carrière comme inspectrice générale. Dans leur majorité, les femmes se sont battues pour accéder à l’égalité politique et à celle des salaires et des carrières.
Ces femmes enseignantes ont-elles introduit une autre façon d’enseigner ou d’être enseignant ?
On le voit par exemple pour l’école maternelle. Pourtant il y avait des préjugés liés aux stéréotypes sur les femmes qui collaient à la fonction. Or les institutrices de maternelle ont construit une professionnalisation pour s’éloigner de ces représentations et faire prévaloir des qualités professionnelles fortes qui étaient peu reconnues. Elles le sont toujours peu aujourd’hui alors que l’école maternelle est très importante pour les enfants. Les institutrices de maternelle ont professionnalisé leur métier pour le détacher des représentations pesant sur leur profession avec leur association, l’AGIEM.
On accuse souvent la féminisation du métier de tous les maux. Quel impact a-t-elle eu sur le métier ?
A la fin du XIXème siècle, quand le métier enseignant est devenu moins attractif pour les hommes, il s’est féminisé pour le primaire. Mais cela interroge davantage la place de l’Ecole dans la société, la dévalorisation du métier que sa féminisation.
Pour vous, « la théorisation du genre fonctionne pleinement dans l’enseignement ». Que voulez-vous dire ?
Les représentations genrées, qui véhiculent des représentations négatives, fonctionnent aussi au cœur de l’École. On lie toujours le monde enseignant à une représentation de la femme qui est une construction sociale qui doit être mise en question. Par exemple, la manière dont les femmes s’orientent davantage vers le primaire que les hommes renvoie à ces représentations. On sait que les femmes réussissent mieux dans le cursus scolaire . Mais elles s’autocensurent davantage. Cela existe aussi dans le monde enseignant. Plus on grimpe dans les sphères de l’Education nationale moins les femmes sont présentes.
Ce livre est un ouvrage militant ?
Ce n’est pas son objectif. Mais il essaie de poser des questions qui sont encore très vives aujourd’hui et qui interrogent la place de l’Ecole, celle des femmes et des hommes dans l’institution et la manière dont ils peuvent développer leur devenir professionnel pour avoir une reconnaissance dans la société.
Il montre que la place des femmes dans l’institution scolaire va de pair avec l’évolution de la société. Encore aujourd’hui, dans l’Education nationale, les femmes ont une connaissance du terrain mais sont peu entendues. Il faut donc repenser leur place . En travaillant sur la place des femmes dans l’institution scolaire et la société ont améliore la représentation du métier enseignant pour les hommes comme pour les femmes.
Propos recueillis par François Jarraud
Stéphanie Dauphin (dir.), Les enseignantes en France (XVI-XXème siècle). Sexe , genre et identité professionnelle, Presses Universitaires de Rennes, ISBN 978-2-7535-9197-4, 26€.