Appelées soft skills en anglais, les compétences de vie permettent d’installer l’élève dans de bonnes conditions pour apprendre et lui permettent de s’initier à la coopération. Michel Develay, professeur de sciences de l’éducation à Lyon 2, donne des pistes de réflexion et de mise en pratique dans son livre « Les compétences de vie en classe ». Il répond aux questions du Café pédagogique.
Qu’est-ce que les compétences de vie?
Ce sont des compétences, c’est-à-dire des savoir agir réfléchis d’ordre cognitif, socio émotionnel et relationnel que l’élève, comme toute personne, met en œuvre au quotidien et qu’il doit pouvoir expliciter. Coopérer, se montrer curieux, créatif, résilient, empathique, autonome, confiant en soi, respectueux de la diversité sont autant de compétences de vie. On parle de compétences de vie au double sens du terme vie : des compétences pour vivre – au sens d’exister, et des compétences utiles toute la vie – de la naissance à son terme.
En 1996 Jacques Delors dans le cadre de l’UNESCO coordonne un ouvrage intitulé « L’éducation, un trésor est caché dedans ». Il évoque l’importance à développer quatre familles de compétences pour le XXIè siècle – les 4 C : la Collaboration, la Communication, la pensée Critique, la Créativité.
En France avec le socle on a parlé de l’importance des compétences transversales. Aujourd’hui à l’Unesco, à l’Unicef, dans de très nombreux pays, le terme de compétences de vie est parfois prolongé par le vocable citoyenneté. Compétences de vie et de citoyenneté, laissant entendre leur fonction socio politique et pas seulement personnelle. Les anglosaxons parlent des life skills.
Les taxonomies employées sont différentes selon les pays, mais se regroupent généralement autour de trois familles de compétences de vie – et de citoyenneté. Il existe des compétences relationnelles – pour vivre ensemble, la coopération, le respect de la diversité, l’empathie. On recense aussi des compétences cognitives – pour apprendre, la pensée critique, la créativité, la capacité à relier les savoirs. Et pour finir, des compétences socio-émotionnelles – pour être soi, l’autonomie, la gestion du stress et la résilience. Un récent article du journal le monde montrait comment ces compétences de vie sont développées au sein des universités et sont prises en considération par les employeurs.
Quel intérêt de les développer à l’école?
Le premier intérêt est leur importance pour l’apprendre. Imaginons un enseignant qui demande à ses élèves de se regrouper pour accomplir une tâche déterminée. Pour satisfaire à cette tâche les élèves devront non seulement maîtriser les contenus disciplinaires en jeu, mais aussi être capables de s’organiser et de coopérer. Et on pourrait multiplier les exemples les plus variés, réussir un examen écrit et à fortiori oral implique de maîtriser les connaissances en jeu, mais aussi d’avoir une suffisante capacité à gérer son stress, à être autonome… Il n’y a pas d’activité d’apprentissage sans la double maîtrise de savoirs disciplinaires et de savoirs adisciplinaires que sont les compétences de vie.
Leur deuxième intérêt est lié à leur dimension citoyenne car au quotidien, à la maison, dans la rue, dans des activités de loisirs des compétences de vie sont en jeu. Pensons à un jeu collectif, à la participation à une chorale, à une option théâtre, à un projet de quartier, on retrouvera la nécessaire maîtrise de ces compétence de vie et de citoyenneté. On conviendra dès lors que l’intérêt à développer des compétences de vie à l’école conduit à les prendre en compte dans le cadre des apprentissages disciplinaires et dans le cadre général des activités de la vie scolaire.
Le troisième intérêt place les compétences de vie en relation avec l’orientation des élèves. Dans cette terminale, la professeur de philosophie qui fait réfléchir ses élèves à propos des compétences de vie qu’ils maîtrisent ou non a conduit ces derniers à s’interroger à propos de l’avenir professionnel qu’ils ambitionnent à juger de leur maîtrise ou non des compétences de vie impliquées et des progrès ainsi qu’ils devraient développer au cours des activités scolaires.
Des idées pour les travailler ?
On ne peut chercher à développer des compétences de vie telles l’autonomie ou la coopération ou la créativité ou … sans que les pratiques pédagogiques soient isomorphes à la nature de ces compétences de vie. Dès lors que ce principe est posé, il convient de s’interroger sur la pédagogie le plus en phase à ce projet.
La pédagogie en phase avec l’existences des compétences de vie en classe nous paraît pouvoir être illustrée par quatre termes : investigation, problématisation, structuration, transfert. Investigation dans le but de confronter la classe à une situation qi n’a pas de réponse immédiate et qui de ce fait nécessitera une recherche, une investigation. La situation déclenchante alors en œuvre nécessitera d’identifier le problème à résoudre – on parlera de problématisation. Dans une classe de géographie, afin de réfléchir à la notion de territoire, la question est « quelle activité économique le maire peut-il développer dans tel quartier de notre ville ? ». Dans une classe de maternelle, la situation déclenchante est « comment organiser la récréation pour que tout le monde puisse jouer sans être gêné ? » …
Pour chaque situation déclenchante il y aura à identifier le – ou les – problème à résoudre. Ainsi on problématisera en cours d’investigation. Au terme de la recherche il sera nécessaire de mettre en ordre ce qu’on a trouvé : on le structurera pour pouvoir en faire le tour et éventuellement le présenter à d’autres. La capacité à généraliser à d’autres situations ce que l’on a trouvé dans la situation investiguée conduira à chercher à le transférer à d’autres contextes.
L’identification des compétences de vie en jeu peut avoir lieu tout au long du processus par des temps de réflexivité sur l’action qui se déroule.
Mais comment les évaluer finalement?
Deux familles d’évaluation sont possibles. Du reste nous préférons le terme de jugement à celui d’évaluation qui se résume trop souvent à une appréciation chiffrée. Il ne s’agit pas de dire que tel élève est autonome avec la note de 6 sur 10 ou a confiance en soi avec la note de 8 ou 3 sur 10. Il s’agit d’aider l’élève à apprécier la maîtrise de ses compétences de vie. Pour se faire d’abord il convient de caractériser plus finement les compétences de vie en leurs possibles attributs. Dans cette classe la coopération a été convenue comme la très difficile capacité à accepter de travailler avec d’autres, comme la capacité à travailler facilement avec les autres, comme la capacité à savoir choisir avec qui travailler, et enfin comme la capacité à assumer totalement un leadership. L’empathie a été considérée à travers quatre attributs : essayer d’écouter plus que de parler, tenter de comprendre comment pense autrui, éviter des comportements négatifs, essayer d’aider les autres même si cela est difficile.
Le positionnement de l’élève vis-à-vis de chaque compétence de vie déclinée en attributs peut se faire de manière conjointe par l’élève et l’enseignant et donner lieu à une représentation graphique.
La deuxième manière d’évaluer les compétences de vie ressort de l’usage d’un portfolio personnel.
En conclusion, suggérons qu’une attention portée aux compétences de vie à l’école constitue une articulation entre les processus d’éducation et d’instruction, développant les capacité de réflexivité et de transversalité chez l’élève et mettant en valeur les principes d’individuation et de socialisation requis par les finalités scolaires.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Les compétences de vie en classe », Michel Develay
ISBN 9782807351394