Dans une semaine, des centaines de milliers de lycéens passeront l’épreuve de philosophie. Jusqu’à la réforme Blanquer, cette épreuve ouvrait le bal du baccalauréat. Aujourd’hui, c’est l’avant-dernière épreuve. Claude Lelièvre revient sur l’histoire du baccalauréat et interroge la pertinence du bac Blanquer.
Mercredi prochain 14 juin, les élèves de terminales générales et technologiques – soit la moitié de leur classe d’âge environ – passeront l’épreuve de philosophie : ils auront à choisir soit l’un des deux sujets de dissertation soit l’explication d’un texte philosophique.
Depuis des années, le grand rituel – de »passage », disaient certains – »du baccalauréat » commençait par l’épreuve – dans tous les sens du terme – de philosophie. Et nombre de grands médias n’hésitaient pas à citer les différents sujets de dissertation ‘’urbi et orbi’’ : une singularité française indéniable.
On peut s’interroger pour cette année, car l’épreuve de philosophie est désormais en avant-dernière position – juste avant le ‘’grand oral’’, les jeux étant déjà faits pour l’essentiel avec les résultats des épreuves de spécialités passées en mars et déjà connus – pris en compte – eux pour les accès aux études supérieures dans le triage effectué selon la procédure ‘’Parcoursup’’.
Cette place à part de la philosophie – visible dans la place symbolique particulière qui lui était accordée – venait de loin, à savoir de la vision de la philosophie comme »couronnement » des études secondaires.
Selon Victor Cousin, le principal maître d’œuvre d’une solide implantation de la philosophie dans l’enseignement secondaire français sous la Monarchie de Juillet, « notre système d’instruction secondaire dont les humanités sont la base, que les sciences agrandissent et que la philosophie couronne n’est point un système arbitraire qu’une main puisse impunément mutiler » ( « Défense de l’Université et de la philosophie »).
Après les tentatives d’ébranlement de l’enseignement philosophique au début du règne de Napoléon IIII – momentanément allié à l’Église, on peut noter aussi la ferme détermination – après un renversement d’alliance – de son nouveau ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy – qui crée en 1864 une dissertation de philosophie comme épreuve au baccalauréat, en lieu et place d’un simple oral : « Le Conseil impérial de l’Instruction publique a discuté dans sa session de juillet un programme qui rend aux études philosophiques leur importance et leur nom. Ce couronnement des études languissait. Le grand dispositif dont elles ont été dotées leur rend leur éclat ».
Cette inversion de la place de la philosophie – au moins dans le déroulement des épreuves – est le résultat de la mise en place de la réforme des lycées et des baccalauréats généraux ou technologiques initiée par l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer.
C’est ce même ministre qui n’a pas hésité à affirmer le 7 juillet 2019 sur TF1 que « c’est un sacrilège d’abîmer le baccalauréat, un des plus beaux rendez-vous républicains » et qui a réitéré dans le l’’Hebdo » du 11 septembre 2019: « c’est évidemment à dessein que j’ai utilisé l’expression »sacrilège ». Le viol de certains principes et valeurs républicaines représente lorsqu’il est commis, un sacrilège. C’est le cas lorsqu’on s’attaque au baccalauréat et à sa passation ».
Mais qu’est-ce qui est d’origine ’’républicaine’’ dans la lente construction du baccalauréat? En fait, rien! Le fait que les examinateurs ne peuvent appartenir au lycée d’origine du candidat? Mais c’est instauré dès la fondation du baccalauréat que nous connaissons par… l’empereur Napoléon I. Le baccalauréat étant avant tout alors un examen d’entrée à l’Université, le jury n’est composé que d’universitaires – il ne saurait donc a fortiori être question que des professeurs du lycée d’origine du candidat soient membres du jury. La possibilité d’un écrit évalué anonymement? Sous le Premier Empire et la Restauration, le baccalauréat était certes uniquement oral. Mais l’écrit apparaît sous… la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe), avec assez vite une évaluation distincte du moment de l’oral et anonyme. Les mentions, typiques d’une visée »méritocratique »? Jean-Michel Blanquer leur a fait un sort à part, tout à fait significatif, dans son long entretien sur le baccalauréat paru dans le »1 Hebdo » du 11 septembre 2019 : « Le baccalauréat contribue à la dimension d’unité du pays; à celle de méritocratie, très présente dès les origines – bien que la démocratisation de l’institution ait atténué cette dernière dimension , elle l’a conservée, notamment par le maintien des mentions. Le baccalauréat est donc bien une institution républicaine ». Petit rappel historique – et il ne manque pas de sel en l’occurrence – les mentions au baccalauréat ont été créées en 1840, c’est à dire en pleine… monarchie constitutionnelle (celle de Louis-Philippe) et en un moment »libéral » – ce qui est leur véritable sens, les »libéraux » historiques étant pour la reconnaissance et le classement des »mérites », des »capacités ».
Bref, c’est le même ministre de l’Éducation nationale qui en a fait des tonnes – dramatisant à outrance, hors de toute vérité historique – qui a initié l’inversion de place de l’épreuve de philosophie, l’un des fleurons ‘’du baccalauréat’’ – considérée même par certains comme sa clé de voûte’’. Ainsi va le monde. Le commencement de la fin ?
Claude Lelièvre