Claire Lommé a sauté le pas, elle demande à quitter son poste de professeure de mathématiques pour aller vers celui de coordonnatrice ULIS. En attendant les résultats du mouvement, l’enseignante se questionne et se projette dans l’enseignement de sa discipline, à laquelle elle est terriblement attachée, en ULIS.
Le deuxième trimestre est terminé. Il me reste donc un trimestre, un seul trimestre, en tant que prof de maths, si tout va bien : hier, j’ai formulé des vœux pour muter vers une Ulis l’année prochaine. Je saurai sans doute bientôt si je suis retenue pour la formation CAPPEI pour la session 2024, aussi. Je vis donc une espèce de transition, ce pour quoi je ne suis pas très douée : j’aime le mouvement, mais pas trop l’attente. Et pourtant, je n’ai guère le choix : je saurai au moins de juin si je pars en tant que coordonnatrice Ulis.
Alors je rationalise, je me concentre à fond sur mes élèves, je profite de la dernière fois où j’amène la découverte du théorème de Thalès, de l’ultime explication de la notation scientifique avec des exposants négatifs, de l’AlKindi et des Olympiades, événements auxquels beaucoup de mes élèves ont envie de participer cette année. Je prépare mes activités favorites avec gourmandise, pour aller encore plus loin que les années précédentes, portée par des classes toutes chouettes. C’est bien : je quitterai mon établissement avec de beaux souvenirs et aucun sentiment d’ennui. Et un sacré bazar.
Mais quand même, je toupine. Et j’ai beau faire, essayer de vivre « juste » le présent, je me projette. J’ai une idée assez claire de ce à quoi je voudrais que ressemblent mes activités de promotion de la culture mathématique. Mais à quoi ressemblera ma pratique des mathématiques en Ulis ?
ULIS : manipuler pour apprendre…
Aller régulièrement animer des séances dans l’Ulis dont est coordo mon mari m’aide à poser des repères. Un nombre non négligeable de mes activités de cycle 3, et quelques-unes des cycle 4 sont transférables : celles où on joue, où on manipule ou on bricole pour faire comprendre et développer la modélisation, et aussi des activités qui visent l’automatisation. Mon expérience dans les classes de primaire est un précieux atout. Les séquences et les séances que j’ai pu imaginer, avec Marion ou Christelle, les indéfectibles et super imaginatives copines professeures des écoles, me donnent des exemples concrets de mélange des genres : pour arriver aux mathématiques, on n’est pas obligé d’emprunter un boulevard. On peut se glisser par une fenêtre… J’ai des idées qui naissent, avec des associations plus ou moins réalisables selon la structure, les équipements et les envies des équipes de l’établissement dans lequel j’arriverai : j’ai jeté dans mon carnet de projets des idées d’associations entre maths et à peu près toutes les disciplines du collège, mais aussi maths-cuisine, maths-couture. Je rêve de projets appuyés à des lectures pas mathématiques du tout, en collaboration avec des personnels variés de l’établissement, avec des structures de personnes âgées… Il faut dire que j’ai de l’inspiration à la maison, et une idée assez précise des contraintes, des obstacles, des leviers. C’est pratique et rassurant.
… Mais avec beaucoup d’obstacles
Alors justement, réfléchissons aux obstacles. Il y a l’accès à la langue, déjà. Ce n’est pas un obstacle spécifique aux mathématiques, mais il en impacte fortement la transmission, car les mathématiques nécessitent de manipuler le langage courant, et en plus d’identifier, comprendre et mémoriser ce qu’on appelle le langage mathématique. Il y a la gestion de la différenciation, bien sûr : certains élèves auront un niveau apparenté partiellement ou complètement au cycle 2, d’autres au cycle 3, voire au cycle 4. Je cogite pas mal pour trouver des moyens de gérer les plans de travail individualisés (et ainsi pousser au maximum chacune et chacun dans ses apprentissages et ses compétences) tout en préservant des moments communs à un maximum d’élèves, et créer aussi une culture commune sur le groupe et avec moi. Pas fastoche, ça.
Mais l’obstacle auquel je me heurte le plus âprement pour le moment est beaucoup plus « philosophique » : je vais travailler avec des élèves dont au moins une partie sera en situation d’anxiété et de manque de confiance en mathématiques, voire de dépréciation de soi. Restaurer leur estime va demander du temps, et des gestes professionnels spécifiques. Or quand on est stressé, on n’est pas apte à accepter tranquillement l’erreur, ni à s’engager dans l’abstraction. On n’est pas forcément un modèle de patience, non plus. Faut-il alors que je me concentre sur les automatismes, justement, ou puis-je travailler la compréhension de façon plus conceptuelle ? Ou bien encore puis-je transiger et viser un juste milieu ? Par exemple, quand un(e) élève aura des difficultés sur le nombre décimal, comment lutterai-je contre la virgule qui se balade ? Jusqu’où irai-je ?
Je n’en sais rien. Mais je réfléchis. J’imagine des situations pédagogiques et didactiques, je teste sur mes élèves et ceux de mon mari, je crois avoir avancé et puis finalement pas du tout, je pense avoir fixé une idée et je change d’avis le lendemain… Bref, je m’amuse.
En fait, j’ai assez à penser pour attendre facilement jusqu’en juin… Là, il me faudra décrocher les affichages qui couvrent intégralement ma classe, trier le matériel (le peu qui appartient au collège, ce qui m’appartient mais qui va à la maison, ce qui m’appartient et qui part en Ulis). Mais rien que penser les mathématiques en Ulis est bien envahissant comme il faut. Et je ne vais pas enseigner que les maths… Mais je vais attendre l’été pour travailler des progressions dans les autres champs disciplinaires : ma réflexion en mathématiques est de toute façon transférable à d’autres pratiques, et au cas où je n’obtiendrai pas de mutation. Dans les autres disciplines, c’est différent.
Claire Lommé