L’égalité réelle et l’égalité professionnelle entre les sexes restent un enjeu, également dans les métiers de l’Education Nationale, majoritairement féminins. A l’aune d’une répartition genrée des métiers, leur revalorisation salariale, et sociale, ne serait-elle pas un levier essentiel pour une égalité réelle femmes-hommes, pour une société plus égalitaire et solidaire ? Parce que les femmes sont majoritaires dans l’Education Nationale, la lutte contre la dégradation salariale et des conditions de travail, comme celle contre la réforme des retraites, révélatrice des inégalités « héritées », est une lutte féministe. Une amélioration des conditions salariales et de travail dans l’Education nationale représenterait une amélioration réelle pour les femmes, et donc pour l’égalité femmes-hommes. Il s’agit à la fois d’éducation à l’égalité à l’Ecole mais aussi d’une lutte contre les inégalités structurelles et culturelles héritées.
L’éducation, une affaire de femme et un travail mal payé ou non payé ? Le temps de travail des femmes, entre travail (mal) rémunéré et travail non rémunéré les pénalise donc doublement, alors qu’elles enchainent parfois une double journée de travail, ni visible ni marchande, consacrée à l’éducation, à l’Ecole comme à la maison : la répartition du travail domestique et parental reste inégale et très genrée comme le soulignent les études de l’Insee. La question de l’égalité femmes-hommes dans l’Education Nationale est corrélée à la question salariale, mais aussi à la question du temps de travail et donc des pensions et à celle de la place de l’éducation dans notre société.
Des métiers essentiellement féminins, mais des écarts salariaux entre les femmes et les hommes
Les femmes représentent 73% des personnels de l’Éducation Nationale : elles sont 89% parmi les professeur.es des écoles, 62% dans le 2nd degré, 73,5 % parmi les Conseiller.ères Principales d’Education, 90 % parmi les Accompagnement.es des Elèves en Situation de Handicap, contre seulement 48,6 % parmi les personnels d’encadrement. Les femmes accèdent moins souvent aux catégories mieux rémunérées (chez les enseignant.e.s, elles représentent 62% des certifiée.e.s mais 47.7% des agrégé.e.s) et leurs progressions de carrière et promotions sont beaucoup plus lentes (72.9% des CPE sont des femmes mais elles ne représentent que 65% des promu.e.s à la classe exceptionnelle). Les femmes occupent également moins de postes avec des possibilités de compléments de salaires (indemnités de direction d’école dans le 1er degré, indemnités pour missions particulières dans le 2nd degré). Elles perçoivent moins de rémunérations que les hommes pour heures supplémentaires.
L’écart de salaire entre les femmes et les hommes est de près de 300 euros mensuels. Une des causes de cette inégalité est aussi la surreprésentation des femmes dans les catégories les moins rémunérées et les plus précaires ou avec les perspectives de carrière les plus faibles.
Des inégalités en chiffres
78% des temps partiels, 66% des non-titulaires sont des femmes. Egalité, vraiment ?
Plus de 90 % des Accompagnant·es des Élèves en Situation de Handicap (AESH) sont des femmes, ce sont près de 100 000 femmes qui sont maintenues par l’Éducation nationale dans une précarité structurelle à cause de la contractualisation, de temps partiels imposés avec des conditions de travail dégradées par les PIAL. Elles font parties des personnels les plus touchées par la forte inflation de ces derniers mois. Les AESH sont pleinement concernées par l’injustice de la réforme des retraites.
En 2020-2021, les femmes bénéficiant de Heures Supplémentaires Année (HSA) ont touché en moyenne 2 994€ contre 3 638€ pour les hommes. Pour les agrégé·es, la différence est de 1 324€ (4 867€ pour les femmes et 6 191€ pour les hommes). Pour les Heures Supplémentaires Effectives (HSE) le montant moyen est de 988€ pour les femmes et de 1 358€ pour les hommes. Enfin, si 59,6% des bénéficiaires des Indemnités pour Mission Particulière (IMP) sont des femmes, elles touchent en moyenne 800€ contre 1 000€ pour les hommes. Ces chiffres montrent les inégalités entre les femmes et les hommes dès qu’il s’agit de missions supplémentaires aux obligations réglementaires des services.
En 2020, les enseignantes perçoivent 90 % du salaire net moyen des enseignants. Ces données de l’Education Nationale reflètent un volume de travail inégal puisque, selon l’Insee, « en moyenne, le volume de travail des femmes est inférieur de 10,6% à celui des hommes en 2021».
Les femmes victimes de la dégradation des conditions salariales
La dégradation des conditions salariales pénalise donc les femmes et par conséquent leur pension. La retraite, reflet de la carrière des femmes, révèle les inégalités avec des pensions de 42% en défaveur des femmes. En toile de fond de cette journée du 8 mars, il y a cette année la mobilisation contre le projet de réforme de retraite qui vient accentuer la dégradation continuelle des conditions de travail et l’allonger de deux années. Les mesures du dispositif de revalorisation salariales, primes d’activités contre mission supplémentaires, ne rentrent pas dans le calcul pour la retraite. Les femmes seront particulièrement touchées par la réforme des retraites : elles perdent en pension et le départ à la retraite est plus tardif. La réforme accroit donc les inégalités entre les hommes et les femmes et précarise davantage les femmes (que les hommes) les plus précaires, puisque les AESH, AED, personnels de catégorie C, majoritairement des femmes ne sont pas concernées par les primes.
Un projet de réforme de retraite sexiste, reflet d’inégalités
Les inégalités salariales entre les hommes et les femmes ont un effet sur les pensions, effet accru par les inégalités structurelles et culturelles de la répartition des tâches domestiques et à l’éducation des enfants qui conduisent plus de femmes à travailler en temps partiel. L’INSEE met en lumière que la conciliation vie professionnelle-vie familiale repose sur les femmes : 33% des mères de 2 enfants et 41% de celles de 3 enfants ou plus sont à temps partiel en emploi salarié, contre 5 % et 7 % des pères.
L’égalité professionnelle et salariale est donc en partie bloquée par la maternité et des inégalités structurelles et culturelles, comme par les choix de carrière et d’orientation des femmes vers des métiers de soin, de service moins rémunérés et l’accès limité aux postes les plus élevés. « Dans les trois fonctions publiques, les femmes occupent 42 % des 9 000 emplois de direction, alors qu’elles représentent 63 % des emplois». Cette situation va de pair avec des inégalités de salaires, la durée de carrière, les temps partiels pénalisent les femmes et donc leurs pensions.
Des propositions féministes
La réelle revalorisation salariale -sans contrepartie de mission complémentaire ou supplémentaire qui sont préjudiciables aux femmes- permettrait d’améliorer les conditions de vie des personnels de l’Education Nationale, et donc particulièrement les femmes. Le dégel de la valeur du point d’indice (gelé depuis 2010) à hauteur de l’inflation permettrait une amélioration réelle du pouvoir d’achat des fonctionnaires, après une paupérisation des dernières décennies. Selon un rapport du Sénat, « en euros constants, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25 % de rémunération au cours des 20 dernières années ». Le rapport précise que le salaire statutaire des enseignants du primaire comme du secondaire après dix ou quinze ans de service est inférieur d’au moins 15 % à la moyenne de l’OCDEet qu’il reste inférieur à la moyenne de l’UE jusqu’à la fin de leur carrière, alors que « les enseignants en France passent davantage de temps à enseigner devant les élèves que leurs collègues dans les pays européens en moyenne » et que les effectifs de classes sont plus chargés. « Les jeunes enseignants sont passés d’un salaire équivalent à 2.3 fois le SMIC en 1980 à un salaire à peine au-dessus du SMIC aujourd’hui (1.2x le SMIC). Un déclassement radical, résultat d’un sous-investissement chronique dans la fonction publique » pour Lucas Chancel, codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales de l’École d’économie de Paris.
Une étude de l’Insee de mars 2023 établit que « Les stéréotypes et les normes de genre (…) influent encore sur les inégalités femmes-hommes, par exemple en termes de choix d’orientation. » La lutte contre les stéréotypes de genre est donc nécessaire : les filles s’orientent davantage vers les filières d’enseignement supérieur les moins scientifiques et les moins sélectives alors qu’elles réussissent mieux à l’école. Dans une enquête de l’Insee de 2022, les femmes soulignent le manque de modèles féminins (40 %), l’influence de l’institution scolaire (33 %), comme le manque de confiance en soi dans ces domaines (30 % contre 22 %). Une formation -initiale et continue des personnels- dédiée à la lutte contre les stéréotypes sexistes et aux inégalités entre femmes et hommes contribuerait à une réelle politique d’Education à l’égalité Fille-Garçon.
Djéhanne Gani
Liens
– L’égalité Homme-femme, encore du boulot
– Rapport annexe du PLF 2022 sur l’enseignement scolaire.
– Étude de l’OCDE sur les salaires des enseignants.
– Etat de l’Ecole 2022, Ministère de l’Education Nationale :
– https://blog.insee.fr/sur-les-taches-domestiques-l-homme-est-remplacant/
–Évolution des inégalités entre les femmes et les hommes : faut-il se réjouir ou se désoler ?
Ressources
Ressources nationales et européennes pour l’égalité entre les filles et les garçons