Dans cette tribune, Daniel Bloch, père du bac professionnel, propose des pistes de réformes de l’enseignement professionnel. Certaines ont de quoi surprendre et ne manqueront par de faire réagir. C’est à dessein que l’ancien recteur fait le choix d’un propos volontairement provoquant. « Il s’agit d’apporter des éléments au débat » explique-t-il.
Le Président de la République s’est engagé à réformer l’enseignement professionnel. Carole Grandjean, ministre déléguée en charge de cet enseignement, a lancé, le 21 octobre 2022, quatre groupes de travail. Ceux-ci, trois mois plus tard, le 27 janvier 2023, lui ont remis leurs 247 propositions. Simultanément, Pap Ndiaye, Ministre de l’Éducation nationale a annoncé qu’il entendait réformer le Collège, « Homme malade du système éducatif ». Ces deux chantiers ne sont pas indépendants, en raison, notamment, de l’existence de formations préprofessionnelles, avec des élèves ayant le statut de collégien. Il faut savoir que le tiers des entrants dans l’enseignement professionnel tant en lycée professionnel qu’en centre de formation d’apprentis (CFA) en sont issus. Pourtant, aucune mention de ces formations préprofessionnelles parmi ces 247 propositions, alors que leur prise en compte pourrait fournir la clé d’entrée d’un débat fructueux et de propositions originales portant aussi bien sur le Collège que sur l’enseignement professionnel. La présence, au sein des collèges, de sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) – destinées aux élèves sortant du Cours Moyen présentant « des difficultés graves et persistantes » – n’est pas remise en cause, même s’il apparait que certains élèves – notamment allophones – ne devraient pas y être, alors que d’autres pourraient en tirer profit. Il n’en est pas de même en ce qui concerne les classes préprofessionnelles qui, accueillant majoritairement des élèves en échec lors de leurs deux ou trois premières années en Collège, divise. Pour certains, défenseurs du Collège unique, leur existence, au vue de l’absence de mixité sociale qui les caractérise – leurs élèves étant essentiellement issus de familles socialement défavorisées – constitue un déni démocratique, alors que pour d’autres il s’agit de classes où les élèves cessent d’être stigmatisés en raison de leurs difficultés scolaires – comme ils l’étaient dans les premières années du collège – et qui se voient offrir, dans ces classes préprofessionnelles, une seconde chance dans un cadre davantage bienveillant.
Les classes préprofessionnelles.
Pas de trace, parmi ces 247 propositions, des classes de troisième intitulées prépa-métiers et de leurs plus de 30 000 inscrits. Rien non plus à propos des classes de troisième des sections d’enseignement général et professionnel adaptés (SEGPA) et de leurs 25 000 élèves. Pas un mot des troisièmes préparatoires à l’enseignement agricole avec ses 13 000 élèves. L’existence du Diplôme National du Brevet (DNB), série professionnelle, est également ignorée alors que 85 000 élèves sont inscrits aux épreuves de ce brevet spécifique. Des élèves issus, pour 80 % d’entre eux, de milieux professionnels défavorisés. Un silence d’autant plus surprenant que des professeurs de lycée professionnel sont présents dans ces trois dispositifs.
Les SEGPA, issues des anciennes sections d’éducation spécialisées ou SES, accueillent, en Collège, essentiellement publics, « des élèves présentant des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n’ont pu remédier les actions de prévention, d’aide et de soutien ». Avec notamment une approche pédagogique s’appuyant sur des heures de découverte professionnelle. Des élèves majoritairement de sexe masculin (60 %), pour la plupart issu de milieux défavorisés, entrés en SEGPA à l’issue du CM2 mais aussi, pour un nombre croissant, en fin de classe de cinquième. Les élèves de 3ème de SEGPA sont de plus en plus nombreux à se présenter aux épreuves du DNB, série professionnelle : jusqu’à 2/3 d’entre eux dans certaines académies, avec des taux de réussite au DNB proches de 50%. L’objectif principal à la sortie de la SEGPA : la préparation d’un CAP. Le quart des entrants en lycée professionnel afin de préparer un CAP sont désormais des élèves des SEGPA. Certains poursuivent, au-delà du CAP, leur formation en vue d’obtenir un baccalauréat professionnel. Un niveau qui peut être atteint par 10 % des sortants de troisième de SEGPA.
Jusqu’au Collège unique.
La loi Haby du 11 juillet 1975 avait bien instauré un « collège unique » – mais unique seulement jusqu’à la fin de la classe de cinquième. Au milieu des années 80, le Collège n’est pas même un Collège pour tous : un tiers des collégiens sont mis de côté à la fin de la cinquième, certains étant orientés vers des classes – les CPPN (ou classes préprofessionnelles de niveau) ou les CPA (classes préparatoires à l’apprentissage) – où ils patientent jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire – 16 ans –, alors que d’autres, plus âgés, vont directement préparer, pendant trois ans, un CAP (CAP-3) en lycée professionnel ou en CFA.
René Monory introduit, en septembre 1987, des classes de 4e et de 3e, pour les unes à coloration technologique et, pour les autres, à coloration professionnelle, cependant que les CPPN et les CPA sont progressivement fermées. Sans orientation imposée. Les CAP-3 – post cinquième – disparaissent et le CAP en deux années (CAP-2), avec une préparation entamée à l’issue de la classe de troisième devient la norme. Il n’y a plus que des collégiens. Le Collège n’est pas encore unique, mais c’est le Collège pour tous. En 1997, les 790 000 candidats au Brevet se répartissent en 84 % pour la série générale, 11,5 % pour la série technologique et 4,5 % pour la série professionnelle. Soit 16 % des élèves pour l’ensemble de ces deux séries optionnelles : près d’un élève de troisième sur six.
A la création de ces classes optionnelles, sont associés non seulement une hausse du niveau moyen des élèves, mais également un resserrement de l’éventail de leurs niveaux individuels. Pourtant François Bayrou supprime les 4e et les 3èmes à coloration technologique en 1996, trop coûteuses. Et, en 1999 Ségolène Royal supprime celles à coloration professionnelle, non démocratiques. Le niveau des élèves à la sortie du Collège – en forte baisse – s’en ressent fortement. Mais il s’agit bien alors d’un Collège unique.
Le retour au Collège pour tous.
Jean-Luc Mélenchon, nommé le 27 mars 2000 comme ministre délégué à l’enseignement professionnel auprès de Jack Lang, a l’occasion, en 2002, dans Le manifeste pour une école globale. La République Sociale, de préciser son point de vue sur le Collège unique tel qu’il est alors devenu : « La massification réussie de l’accès à l’école satisfait-elle la démocratisation que nous voulions ? Le supplice du collège unique, le tue-la-joie du modèle pédagogique unique […] doivent-ils rester des secrets de famille bien gardés ? […] Parce que nous sommes fiers des formidables réussites de notre système et que nous ne voulons pas faire chorus avec les ennemis de l’école républicaine ou avec les pisse-vinaigre pour qui tout va toujours plus mal, sommes-nous tenus de fermer les yeux ? » Le Manifeste présente le collège unique comme à l’origine d’une « mystification cruelle ». Ainsi, le Collège tel qu’il est devenu « n’est pas unique du point de vue des savoirs fondamentaux partagés auxquels il devrait mener les élèves. Il est unique en ce qu’il impose un modèle pédagogique dominant et des contenus calés sur ceux des lycées d’enseignement général, ainsi qu’un lieu d’apprentissage unique […] Il faut bien sûr garder l’objectif d’un tronc commun de savoirs fondamentaux, sanctionné par le même brevet d’études de fin de collège ». Cependant, pour y parvenir, il faut non seulement rééquilibrer les méthodes pédagogiques, mais également diversifier les voies d’accès à ce brevet et offrir la possibilité de lieux d’apprentissage différents ». Ce manifeste met en avant la nécessité de revenir sur les décisions prises par François Bayrou, comme par Ségolène Royal : « Pour diversifier les chemins de réussite vers le brevet, deux voies sont possibles. D’une part, des classes spécifiques de 3ème à projet professionnel, implantées dans les lycées professionnels doivent être offertes systématiquement aux élèves dont l’objectif personnel est a priori de poursuivre leur scolarité en lycée professionnel. » L’autre dispositif, enclenché dès la classe de quatrième, serait implanté au sein des lycées des métiers regroupant des filières tant professionnelles que technologiques.
Cette deuxième voie ne sera pas retenue. La première s’imposera progressivement, de façon anarchique, lors des ministères de Jacques Lang puis de Luc Ferry. Apparaissent ainsi des classes de troisième rassemblant les élèves les plus en difficultés, selon des modes et avec des appellations variés. Elles rassemblent environ 15 % – comme précédemment – des élèves de troisième. On y trouve des classes présentées comme préprofessionnelles ou à caractère technologique ou encore dites aménagées, ou même souvent aménagées sans être étiquetées comme telles. Un dispositif remis en ordre, en 2005, par François Fillon, avec la création des troisièmes de découverte professionnelle, majoritairement implantées en lycées professionnels et plus rarement en collège. A ces classes de troisième de découverte professionnel (DP) ont succédé, en 2011, Luc Chatel étant alors ministre de l’Éducation nationale, des classes de troisième alors intitulées préparatoires aux formations professionnelles (PP), puis, avec Najat Vallaud-Belkacem, des classes de troisième dites préparatoires à l’enseignement professionnel (Prépa-Pro), et plus récemment, avec Jean-Michel Blanquer, des classes de troisième étiquetées prépa-métiers, traduisant des modifications seulement cosmétiques des programmes, des modifications d’intitulé qui ne contribuent pas à leur lisibilité. Il s’agit dans ces classes de prendre appui sur les compétences spécifiques des professeurs de lycée professionnel pour donner aux élèves une seconde chance, en faisant largement appel à une pédagogie de projet, sans pour autant renoncer à l’acquisition et à la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Avec des enseignements de consolidation en mathématiques et en français, des taux d’encadrement renforcés, et de 5 à 6 heures – suivant les années – de découverte professionnelle mobilisées comme support pour l’acquisition du socle commun.
Les classes de troisième prépa-métiers (2022-2023). Un exemple : l’académie de Nice.
Dans l’académie de Nice, 17 lycées professionnels publics, 8 lycées professionnels sous contrat et un lycée agricole proposent cette classe, avec près de 700 élèves. Le choix académique de les implanter seulement en lycée professionnel permet de s’appuyer sur l’expertise des PLP et de recourir aux plateaux techniques des établissements pour la découverte professionnelle. Les taux de pression généralement élevés pour entrer dans ces classes ne permettent pas d’y accueillir tous les élèves qui y trouveraient un bénéfice. Les équipes de direction des lycées concernés et les équipes pédagogiques ont été accompagnées notamment au travers de séminaires, de la rédaction d’un vademecum, de formations interbassins, de visites-conseils par les inspecteurs. Les équipes pédagogiques y sont globalement stables, investies et volontaires. Les professeurs qui accueillent ces élèves après la classe de troisième en CAP et en BacPro notent la plus-value apportée par ce dispositif. Les élèves sont remobilisés et bien préparés à leur poursuite d’études dans la voie professionnelle. Au regard de la fragilité des élèves accueillis dans ces classes, les taux de passage vers les 2nde professionnelles dénotent une orientation ambitieuse. Quelques élèves, ayant retrouvé confiance en eux, s’orientent en 2nde générale et technologique. Les élèves qui se sont orientés en seconde professionnelle ont été affectés dans une spécialité conforme à leur premier choix, à près de 90 %. On note des taux plus faibles, voisins de 55% pour les CAP, compte tenu du nombre réduit de classes de CAP dans l’académie.
Les classes de troisième de l’enseignement agricole (2022-2023).
L’enseignement agricole a maintenu un dispositif préprofessionnel complet, comportant tout à la fois des classes de 4ème et des classes de 3ème, comme il en demeure dans certains collèges privés. Cependant ces classes de 4ème agricoles, d’accès réservé à des élèves ayant au moins 14 ans, ont vu leurs effectifs fondre avec la suppression ou presque, en amont, des redoublements. Peu présentes en lycée agricole, elles sont essentiellement implantées dans des établissements privés sous contrat, les Maisons familiales rurales, avec 11 000 élèves en classe de 3ème – au deux tiers des garçons. L’internat y est largement prépondérant. Parmi les entrants, seulement 4 % d’élèves dont les parents sont exploitants agricoles. Le taux de réussite au DNB, série professionnelle, a été de 87% en juin 2021. Ces élèves poursuivent majoritairement leur scolarité dans l’enseignement agricole et, de façon équilibrée, en apprentissage ou en lycée agricole.
Un clivage à l’intérieur de la gauche.
Dans son avis du 8 juin 2016, le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (CNESCO) affirme que ces classes préprofessionnelles sont « stigmatisantes » et appelle en conséquence à les « fermer d’urgence. »
L’Inspection générale de l’Éducation nationale s’était pourtant penchée, l’année précédente, en 2015, sur ces classes préprofessionnelles. Est particulièrement instructive la partie du rapport qui permet de percevoir l’appréciation des élèves – en grande difficulté jusque-là au collège – à l’égard de ces classes : « La majorité des élèves rencontrés est satisfaite de leur passage en 3ème préprofessionnelle. Tous ont vécu difficilement les années au collège. Pour certains, l’entrée au collège a correspondu à une fracture : jusque-là le parcours scolaire était plutôt bien vécu mais les difficultés liées à l’entrée en classe de sixième n’ont pas été surmontées (problème de maturité, d’autonomie, de difficultés scolaires, de milieu familial, moindre différenciation pédagogique…) alors que, pour d’autres, les soucis sont apparus progressivement. Mais dans tous les cas, on observe une mise à l’écart de l’élève, un sentiment de dévalorisation amplifié par certaines remarques ou attitudes d’enseignants, et l’apparition de comportements déviants (absences, perturbations de cours). Les élèves ne souhaitaient plus rester au collège et ont accueillis ce dispositif avec intérêt. La classe de 3eme PP (Prépa-pro) crée une véritable rupture (accentuée par une implantation en lycée professionnel) avec leur ancien environnement : cela leur permet concrètement de prendre conscience d’entrer dans un nouveau dispositif et de prendre un nouveau départ. Les élèves sont très lucides sur leurs parcours et leurs changements. Ils expliquent comment la bienveillance des enseignants leur permet d’oser dire leurs difficultés, même importantes ou anciennes, et qu’en comblant ainsi leurs manques, ils comprennent mieux et reprennent goût à avoir envie de réussir. Un élève d’une classe de 3ème préprofessionnelle installée en collège interroge les inspecteurs généraux : « pourquoi n’étaient-ils [les enseignants] pas comme cela en quatrième ? »
Les Inspecteurs généraux n’ont pas rencontré d’élèves se considérant comme stigmatisés du fait de leur appartenance à ces classes. Alors qu’ils l’étaient auparavant.
Faut-il fermer ces formations préprofessionnelles, car symboles de la discrimination sociale, comme les considère le CNESCO, ou mieux répondre à la demande des familles en leur proposant, plus systématiquement, au sein même de l’Éducation nationale, des dispositifs bienveillants offrant une réelle seconde chance aux élèves les plus en difficulté, comme le proposait Jean-Luc Mélenchon, en 2002, alors qu’il était Ministre en charge de l’enseignement professionnel ? Tout sauf un débat entre la droite et la gauche.
Daniel Bloch
Daniel Bloch, Une histoire engagée de l’enseignement professionnel. De 1984 à nos jours. Presses universitaires de Grenoble, juin 2022.
Daniel Bloch, Découverte professionnelle en classe de troisième, Office national d’information sur les emplois et les professions, juin 2005.