Comment aborder les probabilités avec les élèves ? Pas toujours la partie du programme la plus exaltante pour les professeurs de mathématiques. Pour Claire Lommé, travailler un exercice simple de probabilité a permis de remettre à plat les représentations des élèves.
Il y a quelques jours, en quatrième, nous avons réactivé le thème des probabilités. Les élèves l’ont déjà travaillé en cinquième : depuis les programmes de 2015, les probabilités sont étudiées mathématiquement dès le début du cycle 4. C’est plutôt un point positif, car c’est un sujet accessible, propice à la modélisation, riche en représentations diverses, en lien avec l’environnement des élèves, facilement appuyé sur le ludique, support intéressant pour développer le langage… Et puis l’étude des probabilités échappe un peu à l’aspect cumulatif des mathématiques scolaires, en demeurant abordable sans prérequis particuliers jusqu’à la classe de seconde. C’est une respiration bienvenue pour tout le monde, le moment de raccrocher sans peine des wagons. Mais il y a un revers à la médaille : nous, enseignants, nous répétons beaucoup en probas, sans grandes nouveautés sur plusieurs années. En cinquième on découvre la notion de probabilité, mais on peut déjà aller assez loin : on calcule des probabilités dans des cas simples, mais les élèves ont des tas de questions et sont aptes à comprendre au-delà des attendus de leur niveau de classe. En quatrième on modélise davantage, on convoque un vocabulaire plus développé, les situations étudiées sont plus riches. En troisième le lien entre fréquences et probabilités doit être posé, mais on peut l’avoir mis à jour bien avant. Les situations s’enrichissent encore, on utilise le tableur ou la programmation pour alléger les calculs répétitifs ou simuler l’aléatoire.
Des jeux pour travailler les proba
Alors il y a toujours un risque pour que les séquences de probabilités soient plan-plan, surtout en quatrième. Je n’aime pas trop ça, dans ma pratique, la plan-planitude. J’essaie de ruser en combinant inégalité triangulaire et probabilité, au travers d’une activité que j’aime beaucoup et qui rend les élèves actifs et découvreurs, ou bien nous mettons en œuvre l’expérience des aiguilles de Buffon, ou bien nous nous lançons dans des manipulations qui mènent à des modélisations intéressantes et des utilisations vraiment bienvenues des outils numériques, ou bien nous réfléchissons à partir de l’excellent jeu Avé ! ou de la cible dont j’ai équipé ma classe. Cette semaine, c’est pourtant un exercice de base qui m’a fourni un matériau de choix pour comprendre les besoins de mes élèves et devoir remédier au pied levé, ce qui me réveille toujours joyeusement les neurones.
Nous travaillions un exercice du manuel de classe, avec une situation classique : une urne, des boules de trois couleurs différentes, des probabilités à déterminer. L’urne contenait 20 boules, dont 7 vertes. A la question « quelle est la probabilité d’extraire une boule verte lors d’un tirage aléatoire », je m’attendais au classique « 7 », au prévisible « 7/3 » (car il y a trois couleurs différentes de boules), aux ricanements nerveux de quelques élèves car on parle de boules, ce qui est vraiment trop rigolo. Mais en fait, j’ai obtenu une erreur bien plus délicate :
L’élève, K, qui a résolu l’exercice au tableau a bien identifié les issues de l’expérience aléatoire, a dénombré l’effectif total de boules, a écrit une fraction de façon fort pertinente, et là, paf, a adjoint à son 7/20 un symbole de pourcentage. Lorsque je lui ai demandé de m’expliquer ce qu’il avait écrit, K m’a expliqué : « 7 c’est les boules vertes, 20 c’est toutes les boules possibles, donc 7/20. » Ok, ai-je renchéri, mais tu as écrit « % », après 7/20. « Bah oui », m’a répondu K, « c’est des chances donc faut que je réponde en pourcentages ».
Reposer les bases
Jolie représentation initiale, mais erronée. Alors j’ai fait appel aux camarades de K pour proposer de remédier à l’erreur de leur camarade, et j’ai globalement fait un flop. 7/20 ou 7/20 %, même combat. Bon bon bon. Le sens du pourcentage n’est pas posé. Les élèves savaient me dire que %, c’est « pour cent », mais que ce soit « sur cent » était un pas qu’ils n’étaient pas prêt à franchir. Ces élèves utilisent le symbole « % » comme un symbole d’unité. Ce qui est intéressant, c’est que toutes et tous, ou presque, savent calculer 50%, 10%, 1% d’une grandeur, et donc, si on leur en laisse le temps, à peu près n’importe quel pourcentage d’une grandeur. Et là, ils donnent du sens à ce qu’ils font. C’est un peu comme si le % avait là une « valeur » différente parce que nous nous plaçons dans le champ des probabilités, comme s’il était une signature des probabilités. Obstacle supplémentaire : K était entré dans sa phase de déception amère et d’auto-dénigrement que je lui connais bien maintenant. Mais je savais que je pouvais renverser la tendance, aussi, car K et moi sommes tous les deux du genre tenace, mus par le même projet : qu’il comprenne. Être tenace ensemble est un puissant moteur pour moi.
Je suis revenue à ce que signifie 7/20 : selon K lui-même, c’est « 7 chances sur 20 possibilités ». Et quand on écrit un nombre sous forme de pourcentage, que cela signifie-t-il ? Qu’« on a 100 possibilités » Mais alors pourquoi écrire ici un pourcentage, si on n’a que 20 possibilités ? « Parce qu’on peut faire comme si, et imaginer qu’on a 100 possibilités en faisant comme si c’était proportionnel ». Ah, c’est mieux, ça, ça m’ouvre une porte. Comment imaginer qu’on a une situation similaire mais avec 20 boules dans l’urne ? « C’est facile madame : on multiplie par 5 parce que 5×20 ça fait 100. Donc on multiplie aussi en haut sinon ça change tout. Ça fait 35/100 ».
Là, moment de suspension. Je vois des regards qui traduisent de la réflexion, d’autres perplexes. J’attends. Je me tais. C’est difficile, ça, pour moi, mais essentiel pour les élèves. C’est K qui reprend « mais madame, ça veut pas dire que ça fait 35%, quand même… » Hé si, 7 sur 20 ou 35 sur 100, c’est la même proportion. J’ai poursuivi sur ma lancée : voyons quelle écriture décimale a 7/20. 7/20, c’est égal à 3,5/10 (qui n’est certes pas une fraction, mais cela ne change rien), soit 0,35. Mmmmmh, 0,35 ? 35 centièmes ? Là, j’ai vu K accepter, parce qu’il recollait tous les morceaux.
Je pense qu’il faudra y revenir ; j’ai encore deux passages par les pourcentages dans ma programmation, ce qui me semble indispensable. Mais K a, je pense, compris, et n’est pas le seul dans la classe : il est passé de son traditionnel « je comprends rien de toute façon j’ai tout faux chuis nul » à « c’est super simple madame, c’est tout, là, y a que ça à comprendre ? », ce qui est un bon présage pour la suite.
Il demeure que c’est intéressant de voir comme certaines notions peuvent être utilisées correctement dans certaines circonstances, y être automatisées, même, et ne pas résister aux transferts vers un autre contexte. Et puis il y a le poids de pseudo-conventions, comme le fait de croire qu’il faut faire référence à des % si on parle probas. Pourtant, il y a sans doute derrière ceci une qualité : faire des liens entre mathématiques scolaires et environnement, avec les données dont sont si friands les médias, la plupart du temps exprimées en pourcentages. Le « de chances » ajouté par K à la fin de chaque ligne va en ce sens. C’est aussi pour ça que nous sommes là, nous enseignant(e)s : pour donner des clefs de lecture et de compréhension.
Claire Lommé