Depuis 50 ans, la radio télévision scolaire accompagne le quotidien des enseignants ; le CNDP, associé à l’Université Paris Diderot, lui consacrait mercredi 28 novembre une journée de colloque : « Pour une histoire de la radio télévision scolaire », sous la direction de Thierry Lefebvre (Paris Diderot) et de Laurent Garreau (CNDP). L’occasion d’évoquer les grandes figures qui en ont jalonné le parcours et de puiser dans les archives quelques moments choisis pour scander les conférences des intervenants. Entre nostalgie, curiosité et parfois une note d’amusement – le ton et le style vieillissent très vite, dans ces domaines – on voyait se profiler des débats familiers, dont on oublie souvent qu’ils sont anciens, sur les dommages et décadences imputables à l’intrusion de l’image et des écrans dans les pratiques pédagogiques. L’inquiétude liée aux transformations technologiques du rapport au savoir se révèle ainsi, décidément, recouvrir d’autres enjeux.
Un monopole de la parole savante ?
Si l’INP (Institut National Pédgogique) s’est doté de moyens autonomes dès 1962, comme le rappelle Alain Carou de la BNF (Bibliothèque Nationale de France), chargé d’étudier les conditions de numérisation des documents d’archives, les tentatives de pédagogie sur supports auditifs ont commencé bien plus tôt : l’usage du chronographe, puis du Pathégraphe, en 1912 pour l’apprentissage des langues, fait déjà polémique : il menace le monopole de la parole savante du maître dans sa classe. Comment lui conserver la prérogative du discours magistral ? En intégrant des blancs, des silences (un système de cache sur le Pathégraphe) qu’il remplira à sa manière et à son rythme pédagogiques. Les bases d’une insertion de l’audio-vision en classe sont posées.
Préférence aux images fixes
Sur ce présupposé, et pour éviter la dispersion de l’attention des élèves, la préférence pédagogique se tourne vers les images fixes, accompagnées de commentaires lus par l’enseignant ou enregistrés sur disque souple. Privilégier l’attention au savoir sur sur le divertissement reste en effet une gageure importante face aux nouveaux outils d’animation. L’image mobile se fraiera difficilement un chemin vers les pratiques enseignantes. La radio entre plus facilement dans les salles de classe, mais la contrainte d’horaires fixes est trop lourde : les enseignants réclament d’être équipés en matériel d’enregistrement pour une écoute en différée. L’expérimentation des magnétoscopes se fera au lycée dès 1966, alors que la technique en est encore toute récente.
Lenteur de rythme et rigueur oratoire
Réalisateur pour le télévision scolaire, avant de se tourner vers des portraits de grands cinéastes, Philippe Pilar était convié à titre de grand témoin de cette période épique. Deux extraits projetés , l’un issu de son documentaire sur Les abeilles de Mr Gentet, l’autre de Lire le journal, datés de 1974, surprennent le spectateur actuel : le premier par son incroyable lenteur de rythme, d’une très forte puissance d’expression ; l’autre par le ton de l’orateur, Jacques Fauvet, directeur du Monde, dont l’analyse lapidaire de la faiblesse du niveau de lecture en France, des apports culturels de la télévision pour tous et de ses dangers pour la presse écrite, exprimée dans une langue impeccable sur un ton sans réplique, témoigne d’un rapport lettré à l’oral disparu des médias mais d’une saisissante présence à l’image.
« Toute télé est pédagogique »
Pour Philippe Pilar, « toute télévision est pédagogique, même dans la vulgarité et la bêtise ». Le pouvoir spontanément instructif de ce média se prête à tous les usages de transmission : l’enjeu réside dans le « niveau où l’on place le curseur », ajoute-t-il. La juste mesure dans le niveau du contenu pédagogique est au centre du propos de Viviane Glikman sur la formation des adultes à la télévision, dans une brève séquence préparée pour l’exposition du cinquantenaire au Musée national de l’Éducation à Rouen : après une période très féconde, dans les années 60, les programmes de formation pour adultes ont tourné vers une forme plus savante, mal adaptée au public, avant de prendre, au début des années 80, un ton assez abscons qui lui a fait perdre sa vocation, déplore-t-elle.
La radio, support pédagogique par excellence
Une table ronde réunissait en fin de journée Yvan Amar de RFI, Alexandre Duval, du CNDP, Hélène Jarry-Personnaz (Radio scolaire) et Thierry Lefebvre (Université Paris Diderot), sur le thème de la Radio scolaire. Un panel d’expériences évoquées librement, ponctuées d’extraits : Façons de parler, 1001 mots : apprendre une langue étrangère avec la radio, qu’anime Yvan Amar depuis 1986 ; Les Enfants d’Orphée, émission d’éducation musicale, menée par Hélène Jarry-Personnaz, professeur d’éducation musicale, jusqu’au début des années 80. Découverte de la musique et travail sur le son pour celle-ci, analyse des clichés du langage de l’actualité et des pièges de la langue courante à l’intention des publics francophones pour l’autre, leurs conclusions sont les mêmes : la radio est un support d’exception pour la transmission de la culture. Revigoré par la libération des ondes dans les années 80, présent sans être intrusif au sein de la classe, secondé par des moyens d’enregistrement plus rapide que pour la télévision (la cassette venue à point nommé remplacé le disque souple), la radio est moins affectée par les bouleversements technologiques et conserve toute sa force d’évocation.
Une histoire marquée par des audaces et des innovations oubliées à force d’être devenues familières – meilleur signe de la réussite de ces pionniers de l’audio-visuel pédagogique – que l’on retrouvera dans les fonds de la BNF, à travers les archives du CNDP et de l’INA, et que l’on pourra bientôt visiter au Musée de l’éducation à Rouen.
Jeanne-Claire Fumet