» À chaque occasion de désespérer de l’éducation, nous devons nous rappeler que le pari de l’éducabilité reste notre raison d’être, ce qui nous fait tenir debout, nourrit notre inventivité et nous sauve de l’esthétisme de la désespérance. C’est pourquoi, après – et peut-être en même temps – que l’ébranlement nous devons renforcer notre détermination. Remettre en perspective notre métier : tout professeur doit être un témoin d’humanité. Il n’enseigne pas seulement pour transmettre des connaissances mais aussi pour témoigner que, malgré les histoires singulières et les croyances différentes de ses élèves, ils peuvent partager les mêmes savoirs et les mêmes valeurs qui permettent ce partage. Il montre ainsi, au quotidien et dans le moindre geste, que ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare, et que l’humain, en nous et dans les autres, est sacré… Cela peut apparaître très abstrait et très loin du quotidien de la classe, mais ce n’est pas vrai : cela renvoie à une pédagogie de la coopération plutôt que de la concurrence mortifère, à une pédagogie du respect de l’autre où la moquerie et l’humiliation sont bannies, à un enseignement où l’on se soumet ensemble à l’exigence de précision, de justesse et de vérité ». Dans Direction (n°271), la revue du Snpden Unsa, Philippe Meirieu revient sur l’assassinat de S Paty et la laïcité. » Il y a bien une forme de « délitement », de morcellement, de balkanisation de notre société. C’est la montée des ghettos qu’analysent les sociologues : ghettos de riches et de pauvres, ghettos de jeunes et de vieux, ghettos sociologiques et idéologiques, ghettos professionnels et affinitaires… ghettos de toutes sortes, renforcés par une machinerie publicitaire qui dispose désormais de l’immense puissance du numérique pour faire de nous des « coeurs de cible » et démultiplier à l’infini le principe même du repli sur soi et du communautarisme : « qui se ressemble s’assemble ». Mais, pour ma part, je ne veux pas voir dans ce phénomène le signe d’une décadence inéluctable. Je veux y voir le tâtonnement d’individus qui ont brisé de vieux carcans mais n’ont pas encore pris la mesure du danger qu’ils courent s’ils ne s’engagent pas pour faire ensemble l’autre moitié du chemin, celle qui conduit vers une démocratie authentique et peut nous permettre d’échapper à la catastrophe sociale, politique et écologique à laquelle nous condamne l’exaspération des individualismes. C’est pourquoi le rôle de l’École est si essentiel. Comme je le dis souvent, nos enfants ne vont pas seulement en classe pour apprendre, mais pour apprendre ensemble, pour apprendre à se découvrir différents et capables néanmoins d’accéder aux mêmes savoirs ».
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