« J’envoie direct l’info aux autres collègues de se préparer à répartir les élèves »
Monique : Non mais ça, savoir immédiatement si on a un remplaçant, ça n’arrive quasi plus jamais. Avant peut-être mais maintenant c’est quasi sûr que la secrétaire va te répondre « on vous rappelle si on a quelqu’un ». Tu parles d’une info. Moi maintenant c’est simple, quand une collègue m’appelle pour me dire qu’elle va être absente, je lui demande « Tu as prévenu l’inspection ? ». Et ensuite j’envoie direct l’info aux autres collègues de se préparer à répartir les élèves.
De mon côté, je préviens les parents que je peux et au portail on dit aux parents que l’enseignante sera peut-être remplacée mais que faut pas trop y compter. Parce que les remplaçants qui arrivent à 8h45 ou 9h, c’es trop tard pour moi. Attention je parle des petits remplacements à la journée hein, quand la collègue doit garder son enfant malade ou qu’elle a eu un souci pendant la nuit. A ce moment pour moi, l’enjeu, c’est d’avoir le moins possible d’enfants à répartir. Et donc pour ça faut prévenir le maximum en avance.
Quand j’arrive à l’école, je vais direct au téléphone et je commence à appeler des parents. Y’a des classes où ça fonctionne bien, y’a des parents délégués qui font le relais aussi et qui ont leurs groupes whatsAp où l’info circule vite. Puis y’a des parents, même si tu les as appelés et laissé un message ils arrivent au portail et te laissent l’enfant parce que souvent ils ne peuvent pas faire autrement. A ce moment dans l’école on a un système de fiches pour répartir les élèves, avec ceux qui ont un PAI, ceux qui mangent ou non à la cantine et cetera, et je répartis. Mais pendant tout ce temps, moi je n’ai pas calculé l’inspection. Je n’attends pas d’eux je sais ce qu’ils vont répondre. En plus y’a un système de priorités d’écoles à remplacer ou je ne sais pas trop et nous on n’est jamais dedans. Donc je fais sans.
« Je rappelle toutes les 10 minutes, tant que je ne sais pas »
Pierre : Oui mais après, quand tu vois débarquer le remplaçant à 8h45 et que tous les élèves sont répartis ou chez eux, tu dois faire tout le chemin inverse et aller récupérer les élèves répartis, rappeler les parents… bref, c’est pas mieux non ? Alors moi je harcèle l’inspection jusqu’à ce qu’ils me donnent une réponse. Positive ou négative, ce n’est pas la question, mais je veux savoir. Je harcèle jusqu’à avoir un remplaçant. Enfin jusqu’à avoir une réponse claire. Parce que dans ma circo, ils laissent planer le doute. Déjà le plus tôt je sais qu’un collègue est absent le mieux c’est parce que nous, la règle dans la circo, c’est premier arrivé premier servi. Et moi j’appelle à 7h30 si je peux dès que je sais que la secrétaire est arrivée à l’inspection. Et puis je rappelle toutes les 10 minutes, tant que je ne sais pas. A l’inspection ils le savent et quand ils décrochent c’est « Oui Monsieur O, on a bien noté que vous voulez un remplaçant on vous rappelle dès qu’on sait qui est disponible ». Mais moi je ne veux pas être dans le doute, c’est le pire.
Alors je harcèle. Et ça marche hein, c’est un travail de sape. De toutes façons je le dis en réunion de drecteurs et tout le monde connait ma position : on doit savoir si oui ou non on a quelqu’un bien avant 8h30. C’est que comme ça que le service public il peut marcher correctement. Parce que ce que tu dis là, on met les enfants en répartition et après on retourne les chercher dans leurs classes, ce n’est vraiment pas du boulot correct. On nous fait faire un travail pas propre.
Ces histoires de répartition ça casse toute la dynamique de la journée. Nous aussi on a un système de fiches pour répartir les élèves, mais après dans la réalité, tu ne fais jamais ce qu’il y a sur la fiche parce que ce qu’il faut c’est pas qu’une classe elle ait 4 répartitions et une autre 0 non ? Donc au final tu te coltines une répartition et y’a rien de pire que de voir arriver un remplaçant à 9h00 alors que tu as la moitié des élèves rentrés chez eux, la moitié en répartition, si c’est pas en sortie. Et puis y’a aussi le remplaçant qui arrive et qui te dis « Mais je suis là que jusqu’à 11h30 après je suis sur une autre école ». Franchement c’est pas n’importe quoi ça ?
Le mot du chercheur : les conditions de travail sont, nous le voyons bien dans cet échange, un élément fondamental de la qualité du travail. Si Monique arrive à se faire une raison et à exécuter sa tâche « malgré tout », cela semble plus difficile à encaisser pour Pierre. Partir du principe qu’il n’y aura pas de remplacement ou harceler l’inspection, voici deux attitudes face à un empêchement qui témoignent de la diversité des postures professionnelles dans une même situation.
Frédéric Grimaud
