Le volet e-parentalité des Territoire Educatifs Numériques est bien loin d’avoir atteint ses ambitions ! Au-delà des bonnes volontés des associations (Trousse à projets…) et autres parties prenantes au sein des départements concernés, il semble bien que les grandes lignes signalées dans les présentations du projet soient loin d’avoir une traduction concrète dans de nombreuses écoles, collèges etc. Il y a bien longtemps que nous avons signalé que l’attention de l’Education Nationale envers les parents et les familles était davantage un discours récurrent (cf. les circulaires de rentrées successives) que des transformations effectives. Même s’il ne faut pas négliger les initiatives locales d’une part et la présence des parents dans certaines instances des établissements scolaires. Le monde numérique a transformé la donne (L’école du Like – Aksel Kilic, Jean-Paul Payet, PUF, 2024) et la généralisation des Environnements Numériques de Travail (ENT), bien davantage que les préconisations institutionnelles, ont permis des évolutions.
Repenser la co-éducation ?
Dans son intervention pour le site québécois « L’école branchée », Jean François Cerisier (laboratoire Techné, Poitiers ) invite à repenser la co-éducation à l’ère du numérique. Celui-ci, perçu parfois comme un danger, mais aussi comme une opportunité, ne transforme pas les relations écoles familles. Ce sont les acteurs eux-mêmes qui pourront inventer de nouvelles relations. Constatant les constantes de la réussite scolaire (meilleur accompagnement des adultes, établissements scolaires à taille humaine), on est amené aussi à prendre en compte ce que les enquêtes internationales confirment concernant les familles ou cellules familiales très défavorisées qui sont le plus éloignées de l’école.
Le numéro 22 de la revue « Recherches Familiales » est un bon complément à cette première approche. Yves Favier et Michel Messu, dans leur introduction, mettent en avant l’évolution des sociabilités avec le numérique : relations intrafamiliales, relations externe, gestion du temps et des activités etc. C’est probablement autour de cette question centrale que la relation école famille doit être, entre autres, repensée. Nous sommes face au temps long de transformations culturelles profondes et non pas dans le temps raccourci des progrès technologiques. Même l’avènement de l’IA ne doit pas être considéré comme un nouveau levier de cette transformation possible.
Une école ritualisée, enfermée ?
L’école, le système scolaire, s’est installée dans un mode de fonctionnement ritualisé, amenant de plus en plus certains à envisager l’école comme l’exécutante de la volonté politique. Le souci de l’innovation, de l’invention, comme l’a montré Philippe Meirieu dans son propos lors du forum de l’innovation pédagogique du Café Pédagogique, est à la base de la possibilité de transformation culturelle du monde enseignant. Toutefois, le risque est celui de l’innovation pour elle-même ou pour ses promoteurs. Car transformer l’éducation n’est pas uniquement transformer l’école à l’aide de « moyens techniques ». Si la place prise par les ENT et autres produits d’échanges numériques entre l’école et « le monde extérieur » semble apporter les bases de ces transformations la thèse de Théo Martinaud a montré qu’après le confinement tout, ou presque, était rentré dans l’ordre scolaire… Et pourtant au sein de l’institution scolaire, comme dans de nombreux secteurs professionnels, la visio-conférence et parfois le télétravail sont désormais plus « ordinaires » qu’ils ne l’ont été auparavant de la crise sanitaire de 2020 – 2022. La normalité scolaire reprend le dessus dans les représentations sociales… même après une crise aussi importante que celle de 2020.
Les parents absents, parents empêchés ?
Lors de mes débuts en tant qu’enseignant de lycée professionnel (1979 -1989) j’ai souvent remarqué, avec mes collègues, cette absence de « certains parents » lors des invitations aux rencontres faites par l’établissement. Au cours des cinquante dernières années, c’est toujours le même discours sur les « parents absents » encore entendu en ce début d’année dans des entretiens avec des parents d’élèves de l’école primaire : déploration mais sentiment d’impuissance voire de fatalité. Au moment où certains élus tentent de modifier la responsabilité familiale dans les délits des jeunes (proposition Renaissance), et dans la suite des fameux « sauvageons » de M.Chevènement, il peut être tentant de culpabiliser et de marginaliser une partie de la population, la plus fragile. Ne faut-il pas renverser la manière de penser ?
Une autre approche possible
En rappelant l’effet « implication » des parents mais aussi des enseignants dans la réussite des élèves, des jeunes, n’est-ce pas sur ce registre qu’il faut tenter d’agir ? Face aux fragilités scolaires de certaines familles, il y a besoin d’accompagnement. Alors que l’on évoque cela à propos des fragilités numériques, ne faut-il pas interroger cette fameuse fragilité parentale et adulte dans l’accompagnement des jeunes ? Le monde scolaire est ancré dans une organisation institutionnelle dans laquelle, sur la base de l’étude des circulaires de rentrées des vingt dernières années, on évoque toujours les liens école famille, parfois appuyés sur de modestes actions concrètes (lieux d’accueils des familles dans les collèges). Mais les témoignages sont constants : le monde scolaire ne parvient pas à développer un « partenariat de fond » avec les familles. Si les possibilités de lien numérique ont permis quelques assouplissements, ils n’ont pas amené à des transformations essentielles.
Pour commencer, il semble essentiel de permettre le partage de sens entre les différents acteurs du système éducatif et de la société entière. C’est d’abord une question de cohérence culturelle et sociale. Ce que certains enseignants ont tenté depuis plusieurs années grâce aux moyens numériques, mais aussi grâce à des projets d’établissement s’appuyant sur une attention spécifique est loin d’être généralisé. Certes la question des moyens reste essentielle surtout dans les regroupements importants de population. Mais la proximité qui se construit est aussi essentielle, ce qui, étonnamment, a été mis en avant par les familles et les équipes éducatives lors de la crise sanitaire.
Une véritable mutation culturelle
La transformation culturelle que nous appelons de nos vœux s’inscrit plus globalement dans l’importance du « faire société » qui ne se limite pas au fameux « vivre ensemble » souvent porté par l’école. Cette école qui, malgré tout, favorise les concurrences de toutes natures, parvient faiblement à réduire les inégalités. Le numérique est-il en train de dissoudre le lien social ? Si nous n’y prenons garde, il y a effectivement une dérive individualiste qui est sous-jacente aux pratiques du numérique. Le rapport à la parentalité a aussi évolué, en lien avec la possibilité de choisir d’être parent et la montée en puissance de la recherche du bien être personnel. La relation parent enfant est devenu un enjeu de plus en plus pesant dans le discours adulte. La surmédiatisation des réseaux sociaux numériques amplifie largement cette tension croissante. Ils sont devenus un « autre lieu éducatif » pour de nombreux jeunes qui mettent de côté le discours institutionnel porté par l’école et par de nombreux parents.
Il est donc nécessaire de réinvestir le champ éducatif pour y travailler les transformations réelles, avec et sans le numérique, plutôt que de simplement tenter de les mettre de côté voire de les ignorer. Si le numérique est parfois vu comme un simple outil, il ne faudrait pas oublier qu’il est devenu un instrument culturel central aussi bien pour la sociabilité que pour l’apprentissage et l’éducation.
Bruno Devauchelle
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