« Que l’on soit dans une école, un collège ou un lycée, la pratique du média scolaire […] fédère, permet de prendre collectivement des décisions, dans une relation non plus verticale avec les enseignants » affirme Jean-Pierre Véran. Co-auteur avec Régis Malet de Oser une école commune, il a consacré un article à la pratique du média scolaire. A l’occasion de la semaine de la presse et des médias à l’école, le Café pédagogique lui pose quelques questions.
Vous parlez de pratique des médias scolaires plutôt que d’EMI (Education aux médias et à l’information), pourquoi ?
Ce n’est pas une question de mots, mais une question d’approche. L’éducation aux médias et à l’information peut connaître, malgré l’engagement irremplaçable du Clémi, une palette de mises en œuvre très variée, depuis la mise en œuvre zéro jusqu’à des parcours de formation approfondis, en passant par une séance unique de travail à l’occasion de la Semaine de la presse et des médias à l’École. La pratique d’un média scolaire suppose, elle, une activité sur le long terme, et la mise en activité des élèves dans un cadre coopératif, avec une évaluation différente du travail accompli. Si, il y a dix ans, la mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République avait conduit le ministère à appeler à la création d’un média collégien ou lycéen dans chaque établissement scolaire, on est aujourd’hui très loin du compte. Mais il est intéressant d’aller observer ce qui se joue, pour les professeurs comme pour les élèves, dans cette pratique non exclusivement scolaire.
Avez-vous des exemples ?
Ils sont variés. Ce qui me paraît commun à tous ceux que j’ai observés, c’est la motivation. Celle des élèves, que manifestent par exemple des lycéens absents de cours toute la journée mais qui viennent au lycée à 16 heures pour prendre leur part du travail commun sur un podcast. Celle des enseignants, qui apprécient de travailler en équipe et de sentir l’engagement plus fort des élèves dans la pratique d’un média, qui les fait progresser dans des domaines scolaires essentiels – lecture, écriture, expression orale, esprit critique, connaissance du monde- comme dans des compétences socio-émotionnelles, informationnelles et civiques majeures. Que l’on soit dans une école, un collège ou un lycée, la pratique du média scolaire, notamment celle de podcasts, fédère, permet de prendre collectivement des décisions, dans une relation non plus verticale avec les enseignants, et d’échapper au verdict de la note, parce que les productions sont évaluées autrement. Paradoxalement, on peut dire que la pratique des médias scolaires donne un sens plus fort à la présence des élèves à l’école et à leurs relations entre elles et eux et avec les enseignants qui les accompagnent.
Une nouvelle culture enseignante ?
Accompagner un média scolaire suppose en effet de rompre avec certains legs de la culture enseignante héritée du passé. L’enseignant est toujours porteur de sa discipline de formation et d’enseignement, mais il est aussi porteur d’une culture de l’information et des médias qu’il approfondit en travaillant notamment avec des journalistes locaux. L’enseignant ne travaille plus seul dans sa classe, il travaille avec un, une ou plusieurs collègues, notamment avec le ou la professeur(e) documentaliste, au centre de documentation et d ‘information qui abrite souvent le studio d’enregistrement. L’équipe de professeurs est porteuse d’une culture professionnelle et civique élargie, et avec les élèves engagés dans la pratique d’un média, elle dérange l’ordre scolaire ancestral : une classe, une discipline, un professeur, une salle, une heure. C’est sans doute ce « dérangement » qui explique la difficulté à généraliser la pratique des médias scolaires, mais aussi le bonheur professionnel réel éprouvé par les professeurs qui s’y emploient.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
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