Pierre et Marianne sont directeur et directrice d’école en primaire. Dans leurs 2 écoles respectives, le portail a une sonnerie mais pas de caméra ni d’interphone. Lorsqu’ils sont en classe, il peut arriver que quelqu’un sonne au portail et Pierre et Marianne aimeraient savoir qui c’est.
« Je demande aux élèves de remonter les stores et je leur dis que je vais 5 minutes au portail »
Marianne détaille la manière dont elle s’y prend lorsqu’elle entend sonner le portail alors qu’elle est en classe : « Alors moi j’ai une technique. Mais d’abord j’essaye de voir si de la fenêtre je vois une personne que je reconnais. Souvent je n’arrive pas à voir, bien que ma classe donne dans la cour et que tout au fond se trouve le portail. Dans ce cas je demande aux élèves de remonter les stores et je leur dis que je vais 5 minutes au portail. Ils savent que je ne suis pas loin et surtout que je les vois. Sans doute que le niveau sonore doit vite monter mais au moins je les vois et eux ils savent que je les vois.
J’ai pas de classe contre la mienne puisque ma classe est au rez-de-chaussée, à côté de mon bureau. Donc je dois m’assurer de la sécurité des élèves aussi hein. Après je sors et je vais vite au portail, parfois même en chemin je parle fort et je demande qui c’est. Et là je vois vite. Si c’est une personne de la mairie par exemple qui vient pour les arbres ou une réparation, je lui ouvre vite fait et je lui demande si elle peut attendre la récréation avant de repartir ou bien de passer par la classe pour que je puisse aller refermer le portail. Ça ne me prend pas 5 minutes.
Par contre, si c’est un truc qui n’est pas urgent ou important, genre un éditeur qui vient présenter des bouquins, je dis de repasser à la récré ou un jour de décharge. Là ça prend encore moins de temps. C’est sûr c’est pas confortable et c’est pas la panacée niveau sécurité mais ça fait partie de mon boulot aussi de gérer les affaires courantes de l’école. »
A chaque fois ça interrompt un moment où je m’adresse aux élèves
Pierre lui répond immédiatement : « Mais c’est pas que une question de sécurité. A la rigueur, sortir 5 minutes de la classe, avec des CM, c’est pas le bout du monde. Par contre moi je n’accepte plus d’être dérangé pendant que je fais classe. A chaque fois ça interrompt un moment où je m’adresse aux élèves ou bien où je les écoute. C’est hyper important. Je suis directeur OK mais d’abord je suis prof et mon cours ça passe avant tout. Quand tu t’interromps pour aller au portail, mais c’est vrai aussi pour un coup de fil, un texto, un élève facteur qui vient te dire un truc, le personnel de la cantine qui te demande un truc … c’est à chaque fois un coup de canif dans la qualité de ton travail d’enseignant. Et ça c’est le plus difficile à vivre pour moi en tant que directeur : me dire que je ne suis pas à 100% avec mes élèves de ma classe.
Alors aller ouvrir le portail pendant que je suis en classe, c’est non. Enfin dans l’idéal parce que je sais que parfois tu as pas le choix. Du coup pour moi la question d’avoir une caméra ou un interphone au final ça changerait pas le fond du problème. Si je dois interrompre mon cours pour répondre à un interphone ou regarder qui sonne au portail, c’est exactement le même dérangement, celui que je ne veux pas. »
Petite analyse : Les enseignantEs en charge de direction et qui ont aussi une classe, ont des préoccupations tournées tout à la fois vers la gestion de la classe et vers la gestion de l’école. Parfois ces préoccupations se télescopent. Il leur faut alors faire des choix, qui dépendent de leurs expériences, des normes qu’ils et elles se sont construites, des valeurs portées en tant que travailleuses et travailleurs, du sens donné à leur métier. Ces choix sont aussi des renoncements, avec lesquels il faudra compter.
Et vous, pensez-vous que les collègues en direction, lorsqu’ils ou elles sont en classe, doivent s’occuper de la personne qui sonne au portail ? Et plus largement, ne faire aucune tâche de direction ?
Frédéric Grimaud