« Il faut signaler que la question affective et sexuelle est le plus souvent un non-dit au cœur des familles ». Bruno Devauchelle présente un rapport sur un travail qu’il juge essentiel piloté par le Conseil National du NUMérique « Éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle Donner le pouvoir d’agir ». Il rappelle la nécessité d’agir dans un contexte de reculs. « C’est autour des relations et du genre que devrait se centrer l’action éducative et culturelle » préconise-t-il.
Dès les premiers pas des technologies numériques en ligne, on se rappelle le Minitel (rose) en France, se pose la question de la place des questions concernant la vie affective, la sexualité et la pornographie. Ce qui pose particulièrement question désormais, c’est que l’accessibilité permise à des informations en ligne, mais aussi les communications (téléphone, forums, réseaux sociaux…) sont au coeur de la vie quotidienne, des jeunes et des adultes. Ces pratiques quotidiennes et ces moyens nouveaux sont à mettre en lien. En témoigne la question du cyberharcèlement, entre autres dérives reconnues des pratiques en ligne.
Analyser pour aider à agir
Le CNNUM publie un rapport intitulé « Éveil à la vie affective, relationnelle et sexuelle Donner le pouvoir d’agir ». Ce travail est présenté ainsi : « Alors que les outils et pratiques numériques occupent une place prégnante dans nos vies, la question de l’adaptation de l’EVARS (Éveil à la vie affective relationnelle et sexuelle) à la révolution anthropologique que représente le numérique se pose naturellement ». Rappelons ici le travail de Dominique Pasquier : La culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents (Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1999, 236 p.) à propos de cette série créée en 1992 et dont le succès important auprès des jeunes interrogeait justement à propos de l’éducation affective des jeunes.
Un phénomène de société face à des non-dits
Il faut signaler que la question affective et sexuelle est le plus souvent un non-dit au coeur des familles. Les plus jeunes sont parfois confrontés à des éléments sur lesquels ils ne peuvent mettre des mots avec l’aide de leurs proches (adultes). L’omniprésence des moyens numériques n’a fait qu’amplifier les occasions de confrontations sur ces sujets. La médiatisation de certains évènements et en particulier leur dramatisation ou la focalisation sur certains éléments est parfois un écran à une réalité complexe. Une des personnes interrogées par le CNUM déclare : « On se focalise souvent sur l’exposition des mineurs à la pornographie alors que ce sujet est intimement lié à la représentation des corps et aux stéréotypes de genre à la télévision, dans les films d’action et dans les médias traditionnels. » (Diane de Saint Riquier).
Un travail essentiel piloté par le CNNUM
Le travail du CNNUM est d’abord un travail mené par un groupe d’étudiants de Sciences Po que le rapport évoque et commente. La somme des témoignages et entretiens à la base de ce document constitue une vision que l’on peut qualifier de kaléidoscopique, tant les différents éléments portent de sens, et tant leur agencement met en évidence la nécessité de faire évoluer les représentations de l’affectivité, la sexualité, la pornographie, les relations de genre…
Le constat général est alarmant : « les violences sexuelles et sexistes ne font pas que perdurer, elles augmentent et se cumulent les unes aux autres, que ce soit en ligne ou hors ligne ». Dans son souhait de promouvoir « l’apaisement de la vie en ligne », le CNNUM, dont le dossier comporte l’idée de « donner le pouvoir d’agir », s’est donc engagé dans un travail d’analyse, d’écoute et de propositions éventuelles par des spécialistes d’un domaine particulier au sein de cet ensemble. Sociologues, Gynécologues, enseignants, chercheurs… ont été mis à contribution et ont apporté, à partir d’entretiens des éléments de compréhension. Trois tables rondes (disponibles en vidéo ici : https://cnnumerique.fr/penser-la-place-du-numerique-dans-leducation-la-sexualite) proposent des pistes pour agir : la première a pour thème « Cyberharcèlement, exposition à la pornographie : en quoi l’éducation à la sexualité peut-elle favoriser un apaisement de la vie en ligne ? », la seconde : « Éducation aux médias et à l’information et éducation à la sexualité : quels liens ? », la troisième : « Éducation aux médias et à l’information et éducation à la sexualité : quels liens ? »
L’accompagnement éducatif et culturel : un défi !
L’axe principal des synthèses proposées porte sur la nécessité d’un accompagnement éducatif, une démarche constructive qui se base sur ce que vivent réellement les jeunes pour définir, avec eux les manières d’agir. Loin d’être répressif ou injonctif, l’ensemble de ces documents met aussi en évidence la nécessité de mieux connaître les mécanismes en amont des contenus auxquels sont exposés les jeunes. Il faut y inclure la manière dont les adultes, eux aussi, vivent avec. De nombreux évènements dramatiques et souvent judiciarisés récemment médiatisés montrent bien que l’omniprésence des moyens numériques interroge notre manière de vivre avec et combien les fragilités individuelles peuvent être exacerbées, et parfois mises en actes sous l’effet des usages de moyens numériques.
Nécessité d’agir, face à des reculs …
Ce qui semble se dégager d’un tel travail, c’est de faire que la vie affective, relationnelle et sexuelle ne soit pas mise à mal par la manière dont les humains et la société dans laquelle ils vivent envisagent le vivre ensemble dans un monde globalement numérisé. C’est autour des relations et du genre qui devrait se centrer l’action éducative et culturelle. Les dérives constatées depuis quelques années, autour principalement des usages d’Internet sont inquiétantes. Sans tomber dans un passéisme trop facile et confortable, rappelons, à la manière d’Hartmut Rosa, la nécessité d’une pédagogie de la résonance, ou encore, à la manière d’Erick Prairat, mais sur un autre registre, l’importance du tact. Peut-être faut-il rappeler aussi que la devise nationale en France (Liberté, égalité, fraternité) permet d’engager une réflexion de fond autour de la manière dont a évolué notre société face au fait numérique. si le CNNUM ne semble pas avoir encore été sur ce chemin, mais on peut penser que ce questionnement ne lui est pas étranger….
Bruno Devauchelle
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