« Le numérique est un nouveau révélateur des fragilités familiales dont il ne faut pas négliger l’importance ». Dans sa chronique consacrée au numérique, Bruno Devauchelle interroge le rôle de l’école et la parentalité : « au moment où le monde scolaire expérimente l’interdiction des portables, où la loi impose des outils de contrôle parental, où des interdictions voient le jour à propos du numérique, est-il possible de rendre des usages du numérique apaisés dans notre société » écrit-il.
L’ouverture récente du site PIX Parent est une bonne nouvelle. Annoncé dans la newsletter PIX du 26 novembre, cette « inauguration » annonce-t-elle un renouvellement de la manière de penser la parentalité à l’ère numérique ? On pourrait le penser si l’on s’en tient à l’idée que les parents peuvent accéder eux-mêmes à des activités qui vont leur permettre de mieux comprendre les usages du numérique aujourd’hui. L’ambition annoncée est d’abord de fournir des petits modules courts pour évaluer ses compétences face à des situations variées : ce site prolonge le référentiel PIX parent présenté comme « Parentalité numérique, Développer les compétences numériques essentielles pour mieux accompagner ses enfants » disponible dans sa première version depuis novembre 2023 (https://pix.fr/parentalite-numerique).
Des efforts, l’exemple de TNE
La parentalité est une préoccupation importante apparue en particulier à l’occasion de la crise sanitaire de 2020. Le projet de l’Éducation Nationale « Territoires Numériques Éducatifs » (TNE) comporte un volet appelé e-parentalité dont l’association « Trousse à projets » a porté la mise en place. Toutefois, atteindre certains parents s’avère difficile et trop souvent, les parents les plus impliqués ne sont pas toujours ceux qui ont des enfants ayant des pratiques du numérique à risque. Aussi aborder cette problématique en fournissant des conférences (site https://tne.trousseaprojets.fr/) ou des ressources, des conseils et autres à consulter est bien sûr une bonne chose, mais aux effets limités. La consultation des sept parcours thématiques proposés sur le site PIX parents est d’ailleurs significative de cette approche basée sur des ressources ou des activités à consulter.
Dans quelles directions s’orienter ?
Sur le site PIX Parent, sept parcours thématiques, pour l’instant, ont été mis en ligne, en attendant d’autres développements :
- Bien vivre le numérique à la maison,
- Mon enfant joue aux jeux vidéos comment l’accompagner,
- A la découverte du contrôle parental,
- Réseaux sociaux, les comprendre et les paramétrer pour mon enfant,
- Réagir face au cyberharcèlement,
- Accompagner mon enfant dans ses recherches en ligne,
- Le numérique et l’école
Au moment où le monde scolaire expérimente l’interdiction des portables, où la loi impose des outils de contrôle parental, où des interdictions voient le jour à propos du numérique, est-il possible de rendre des usages du numérique apaisés dans notre société ? La lutte entre les « marchands » et les « consommateurs » est rude. Elle fait apparaître des vulnérabilités importantes de la part des adultes. Il s’agit en particulier des problématiques liées aux difficultés de la vie familiale quotidienne qui donnent aux moyens numériques des espaces de déploiement importants. C’est pourquoi, le monde scolaire est sollicité aussi pour participer à l’accompagnement des familles et des jeunes. Lié à l’obligation scolaire dès 3 ans, le monde scolaire est un point de passage obligé des parents, des enfants et constitue donc un potentiel d’agir pour tous. Mais face à l’adoption massive des technologies dans la société, des comportements sociaux et éducatifs se sont installés en dehors de tout cadre. Rappelons ici que longtemps le cadre religieux était actif dans ce domaine (et il le reste chez certains) et apportait, en apparence au moins, des repères pour l’utilisation de ces moyens nouveaux.
La cellule familiale, des liens renforcés avec le numérique ?
Désormais le cadre de l’activité familial se fabrique entre trois pôles : culturel, social, numérique. Si la culture reste importante dans la transmission de la parentalité, elle s’estompe depuis plusieurs années. La dimension sociale et économique liée au travail apporte des contraintes qui rendent plus ou moins difficile l’éducation des enfants. Quant au numérique, il a pris une telle place dans le quotidien que l’on peut penser qu’il induit des transformations chez chacun de nous. Certains en ont même fait un combat global. On peut pourtant observer qu’une question centrale est apparue autour de la parentalité : peut-on amener des enfants à développer des pratiques raisonnables, dans un cadre apaisé, de ces moyens technologiques. L’exemple du cordon ombilical virtuel que constitue le smartphone connecté est aussi une métaphore, fonctionnant en un sens dans un premier temps puis dans les deux sens ensuite : l’enfant baigné dans un bain numérique se construit avec. Les déplorations multiples sont basées sur des évènements et incidents qui renvoient davantage à la question de l’autorité parentale que de la maîtrise des technologies et de leurs usages.
L’école ne peut faire autant que certains le pensent
L’école peut-elle alors apporter sa contribution à la question de la parentalité dans un tel contexte ? La tentative engagée autour des TNE mériterait d’être analysée et approfondie en particulier en direction des associations et structures partenaires de l’école et du périscolaire. Au vu des intentions on s’aperçoit que c’est probablement en agissant directement auprès des familles et de leur quotidien, adultes et enfants ensemble, que l’on trouvera des pistes et l’école ne peut être qu’une partie prenante de cela, mais pas un acteur essentiel. La fameuse co-éducation n’est pas la co-parentalité…
PIX Parent est une bonne nouvelle si chacun s’en empare dans le contexte d’action qui est le sien et sans négliger les contextes de vie difficiles de nombre de familles. La crise sanitaire de 2020 a révélé combien les conditions de vie personnelles et familiales sont des milieux fragiles et souvent inconfortables, en particulier dans les milieux les moins favorisés. L’école, comme monde à part, ne peut agir au-delà de ses limites physiques et institutionnelles. Toutefois elle peut accompagner, via les enfants et aussi un vrai travail sur la « co-éducation » au plus près des réalités quotidiennes. Le numérique est un nouveau révélateur des fragilités familiales dont il ne faut pas négliger l’importance. Il faut en mesurer les effets, au lieu de s’en tenir à des discours de bonnes intentions.
Bruno Devauchelle